MANIFESTANTS - Lors de la présentation du dispositif policier du 1er mai, mardi, Christophe Castaner a évoqué le terme "black bloc" régulièrement utilisé à l'occasion des mobilisations des Gilets jaunes. Mais qu'est-ce qu'un Black bloc ? Souvent assimilé à l'idéologie anarchiste, il s'agit en réalité d'une pratique manifestante bien particulière.
"Les black blocs, ça n'existe pas, ce ne sont pas des individus en soit. C'est un mouvement, une méthode [...] Par contre il y a des activistes qui se constituent, à un moment donné, en black bloc". L'explication de texte a été donnée par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, mardi, alors qu'il présentait le dispositif sécuritaire du 1er mai.
S'agissant de manifestants masqués, habillés en noir et parfois armés, comme on a pu en voir lors des récentes mobilisation, on pense forcément à ce terme, souvent utilisé pour désigner les mouvements d’ultragauche et les casseurs présents dans les cortèges de gilets jaunes. Pourtant, la définition originelle de "black bloc" ne se résume pas à une tenue sombre et à des actions violentes. Il s'agit d'un mode d'action vieux de plus de 30 ans, et bien organisé.
Le dernier "black bloc" en France, c'était le 1er mai 2018
Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l'université de Tours
"C’est un abus de langage. Le dernier "black bloc", en France, c’était le 1er mai 2018", explique à LCI Olivier Cahn, professeur à l'université de Tours, spécialiste de l'anarchisme et du militantisme violent. "Il y a des activistes d’extrême gauche, d’extrême droite, et ce qu'on appelle désormais les 'ultras jaunes'. Mais il n’y a pas de 'black bloc'."
En réalité, il ne s'agit pas d'un mouvement ni d'un groupe mais d'une tactique de lutte contre les forces de l’ordre lors de manifestations. Par conséquent, il est plus juste de parler "d'un black bloc" et non pas "des black blocs". Ce mode d’action est apparu pour la première fois dans les années 1980 dans l’ex-Allemagne, plus précisément à Berlin-ouest. Lors de manifestations étudiantes contre le nucléaire et les néonazis, des regroupements autonomes en tenues sombres ont été surnommés "schwarze block" par la police allemande, c’est à dire "bloc noir". Dans les années 1990, à Seattle (Etats-Unis), la technique a évolué et s'est combinée à des actions violentes symboliques dirigées contre deux cibles principales : "d’abord le capitalisme, en visant des enseignes de multinationales et des banques, puis les forces de l’ordre, pour montrer que l’Etat ne tient pas la rue", explique Olivier Cahn.
Selon ce spécialiste, ce n’est pas un hasard si cette méthode est apparue alors que la diffusion de l'information commençait à se démocratiser à la télévision : "Un black bloc se destine à créer une image pour s’opposer à celle que l’Etat construit", indique l'universitaire. "L’idée de départ est de s’habiller en noir et de se disperser dans un cortège selon la technique du coucou. Lorsque le signal est donné, ils se rassemblent et forment ce fameux drapeau noir. L'objectif principal est de donner à la presse des images à diffuser. Le fait de se regrouper masqués, tout en noir et en bloc, c’est tout de suite très impressionnant."
Une tactique inhabituelle fondée sur la solidarité
Le Centre de recherche de l'école des Officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN) a analysé cette méthode d'attaque dans une note de 2016. "Lors d’un rassemblement, le black bloc s’infiltre et se forme rapidement dans la manifestation, ensuite il va tenter de se séparer du cortège [...] dans le but d’atteindre plus facilement les cibles visées", peut-on lire. "Au moment des actions, ils peuvent se diviser en petits groupes pour saturer les services d’ordre, puis ils se rassemblent à nouveau en bloc pour assurer une défense de manière solidaire". Cette technique est comparée à celle des bancs de poissons "qui sont une agrégation d’individus de la même espèce mais sans aucune hiérarchie […] Cette recomposition perpétuelle est un défi pour les forces de l’ordre, plus habitués aux casseurs traditionnels qui se dispersent après leurs actions et qui sont donc plus faciles à arrêter car ils sont seuls ou peu nombreux". Le black bloc n’existait pas avant la manifestation et il disparaît lorsqu'elle se termine, c'est un phénomène ponctuel et éphémère. Les personnes qui le compose ne sont pas forcément les mêmes d’une manifestation à l’autre.
Toujours selon la note du CREOGN, les membres du black bloc vont aussi utiliser la solidarité sur le plan défensif. Ils tentent par exemple de libérer les personnes arrêtées ou essayent de percer un encerclement de policiers : "Cette volonté de déjouer les tactiques des forces de l’ordre existe aussi quand les blacks blocs les empêchent de diviser le cortège pour isoler une partie des manifestants, notamment en investissant largement les trottoirs et les espaces sur les côtés du cortège".
"Les méthodes sont parfois très élaborées, comme à Seattle, où des barricades avaient été érigées à chaque bout d’une rue… Mais on n’a pas non plus affaire à des adeptes de la guérilla urbaine", explique Olivier Cahn. Pendant longtemps, ceux qui composaient les rangs d’un black bloc étaient généralement des jeunes éduqués politiquement issus de catégories sociales plutôt favorisées. Mais selon le chercheur, ces manifestants se sont diversifiés : "on trouve des personnes d’autres horizons et moins conscients de la manipulation des images, ce qui peut conduire à des écarts. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile de différencier les membres d'un black bloc d'un groupe de casseurs ou de pilleurs".
Des gilets jaunes dans un black bloc pour le 1er mai ?
Sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur la page « Black Bloc France », de nombreux posts revendiquent utiliser le ces tactiques lors des rassemblements de Gilets jaunes. Depuis quelques semaines, la page diffuse des appels au rassemblement pour le 1er mai 2019 et plus particulièrement à l’union "black bloc et gilets jaunes".
"Dans le contexte actuel, les gens sont excédés, donc il en faut peu pour qu’ils se radicalisent. Il est possible que des rencontres aboutissent à des recrutements individuels de Gilets jaunes dans certains mouvements d’ultragauche. Mais en termes de revendications, ils restent incompatibles. Les Gilets jaunes veulent gagner plus, boucler les fins de mois alors que l’ultragauche veut la révolution", juge Oliver Cahn.
Dans un de nos précédents articles, la chercheuse Caroline Guibet Lafaye livrait toutefois une autre analyse : "selon moi, le 1er mai ‘jaune et noir’ est demandé parce que les Gilets jaunes revendiquent une justice sociale qui n’est pas possible dans le monde de production capitaliste actuel. Et les blacks blocs se reconnaissent là-dedans". Reste à savoir si un "Yellow black bloc" se formera demain dans le cortège du 1er mai.
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