Que contient le manifeste contre l'impunité des crimes sexuels remis à Marlène Schiappa ?

Publié le 20 octobre 2017 à 15h12, mis à jour le 20 octobre 2017 à 18h43
Que contient le manifeste contre l'impunité des crimes sexuels remis à Marlène Schiappa ?

VIOLENCES - La psychiatre et psychotraumatologue Muriel Salmona, également présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, a présenté ce vendredi à la secrétaire d'Etat en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes un manifeste pour mettre fin à l'impunité des crimes sexuels. Certaines mesures seront peut-être retenues dans la future loi contre les violences sexuelles.

Alors que le scandale Harvey Weinstein a remis sur le devant de la scène les violences et agressions sexuelles, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les hommes et les femmes a pu prendre connaissance, ce vendredi matin, d'un rapport rédigé par Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue et présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. Le gouvernement va étudier avec attention le rapport et pourrait inclure certaines recommandations dans sa future loi contre les violences sexuelles.

Avant d'exposer les mesures qu'elle préconise, Muriel Salmona rappelle dans son manifeste qu'"en France, les crimes sexuels bénéficient d'une impunité quasi-totale" : seules 10% des victimes de viols et tentatives de viols arrivent à porter plainte, et seul 1% de l'ensemble des viols et tentatives de viols amène ensuite à une condamnation en cour d'assises. Sur les 10% de plaintes, 60% sont classées sans suite pour les victimes mineures, 70% pour les victimes majeures, 20% sont déqualifiées et 10% aboutissent donc à une condamnation. La psychiatre explique également que les victimes sont souvent abandonnées et maltraitées, leurs droits fondamentaux peu respectés. Enfin, elle démonte l'impact des violences sexuelles et des viols sur la santé : 97% des victimes de viols (98% pour les viols incestueux) subissent des conséquences sur leur santé mentale et 43% sur leur santé physique. 

Ainsi, pour "déconstuire le déni, la loi du silence, la culture du viol et l'impunité", le rapport présente plusieurs mesures, classées en huit catégories :

Informer et éduquer

Le point de départ de tout, selon Muriel Salmona, c'est l'éducation et l'information. Elle propose d'éduquer les Français à la non-violence, au respect du non-consentement, à la solidarité et à la protection des victimes. Elle juge nécessaire la sensibilisation du grand public sur la gravité des violences sexuelles, leur ampleur, leurs conséquences sur la vie et la santé des victimes. Elle écrit également qu'il est important de rappeler à tous les lois sur les crimes et délits sexuels.

Former les professionnels

Constatant que les professionnels de l'éducation, du social, de la santé, des forces de l'ordre et de la justice n'étaient pas toujours bien armés pour accompagner les victimes de violences sexuelles et comprendre les conséquences que cela peut avoir sur leur santé et leur vie, la présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie juge incontournable de réformer leur formation.

Libérer la parole des victimes grâce au dépistage précoce des violences

Comme indiqué dans le rapport, seules 20% des victimes de violences sexuelles parlent à des professionnels. Muriel Salmona préconise de former en initial et en continu les professionnels du social, de l’éducation et de la justice et plus particulièrement les professionnels de la santé à la compréhension des mécanismes psychotraumatiques, à l'écoute, à l'accompagnement, à l'information et à l'orientation des victimes.

Mieux protéger les victimes

Le manifeste propose de former les professionnels à prendre en compte et évaluer les situations de dangers avec des protocoles (ordonnance de protection, téléphone grand danger, mise à l’abri, attribution en urgence d’un logement social, changement de prénom et/ou nom). Il suggère aussi d'améliorer l’accès aux aides sociales, juridictionnelles et administratives, d'améliorer la protection de l’enfance et les protections sociales, et de créer un organisme inter-ministériel dédié à la protection des victimes.

Prendre en charge et soigner les victimes

Partant du constat que 82% des étudiants en médecine n‘ont pas eu de formation sur les violences sexuelles, Muriel Salmona préconise qu'il faut former tous les professionnels de la santé à la psychotraumatologie et la victimologie. Elle estime même qu'elles devraient être des matières obligatoires et devenir une spécialisation à part entière. La psychotraumatologue pense aussi qu'il faut améliorer et sécuriser l’offre de soin, notamment par une prise en charge à 100% de la Sécurité sociale. Elle souhaite créer des centres de crise accessibles 24h/24 dans les services d’urgences des hôpitaux, créer des centres pluridisciplinaires de soins en psychotraumatologie holistique pour les victimes, sans frais, avec des professionnels formés. 

Améliorer la possibilité de porter plainte et l'accès à la justice

Seules 10% des victimes de violences sexuelles portent plainte et 82% ont mal vécu le dépôt de plainte. Muriel Salmona prône l'imprescriptibilité des crimes sexuels, estimant que les victimes menacées, contraintes au silence, culpabilisées, gravement traumatisées, mettent souvent très longtemps à avoir la capacité de parler (elles sont 40% à présenter des amnésies traumatiques qui peuvent durer jusqu’à plus de 40 ans). Sur ce point, elle ne devrait pas être suivie par le gouvernement, Marlène Schiappa ayant déjà prévenu que cela ne passerait sûrement pas le filtre du Conseil constitutionnel. Le gouvernement a en revanche évoqué la possibilité d'allonger le délai de prescription des viols sur mineurs de 20 à 30 ans.

Le rapport de la docteure mentionne aussi le droit à l'information des victimes : elles doivent savoir qu'elles peuvent porter plainte dans n’importe quel poste de police et de gendarmerie, auprès du procureur de la République, par écrit ou enregistrement via des plate-formes sécurisées sur internet. Mais elle pense aussi que ces plaintes doivent pouvoir être recueillies en milieu médical par la police ou la gendarmerie.

Améliorer les lois et les procédures judiciaires

L'auteure du rapport estime importante la création de juridictions spécialisées avec des magistrats formés aux psychotraumatismes. Elle souhaite abroger la possibilité de disqualifier les viols en délits, et définir à 15 ans la présomption irréfragable d’absence de consentement pour les mineurs (le gouvernement a laissé entendre qu'il pourrait être fixé à 13 ans). Muriel Salmona pense que l’absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’incapacité neurologique à exprimer sa volonté et son discernement (psychotraumatisme, handicap, autisme, altération de la conscience), et que l'absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’atteinte à l’intégrité physique et du non-respect de la dignité qui est inaliénable.

Elle veut également que le viol soit défini non seulement par la pénétration sexuelle de quelque nature qu’elle soit, sur la personne d’autrui mais également du corps de l’agresseur par la victime (pénétration passive, fellation sur la victime). Elle prône aussi l'introduction de l’inceste dans la définition de l’infraction de viol, et propose l'extension des circonstances aggravantes "par partenaire ou ex-partenaire" et "par personne ayant des liens familiaux et/ou vivant dans le foyer de la victime". 

Sécuriser les procédures judiciaires pour assurer une protection aux victimes

Enfin, la psychiatre veut mettre l'accent sur la protection des victimes par rapport à leurs agresseurs, en les accompagnant  tout au long des procédures. Elle estime qu'elles ont le droit à la protection de leur santé et propose pour elles un accès à un soutien et à des soins. Elle pense aussi qu'elles ne devraient pas être exposées à des procédures traumatisantes et à des confrontations avec leurs agresseurs. En cas de viols conjugaux ou incestueux, Muriel Salmona souhaite que les enfants soient protégés de l’agresseur. 


Justine FAURE

Tout
TF1 Info