AGRICULTURE - Ce mercredi, les agriculteurs ont manifesté en région parisienne pour exprimer leur malaise et dénoncer l'agribashing dont ils seraient victimes. De plus en plus mis en avant par une partie de la profession, ce dénigrement des éleveurs et des producteurs est-il néanmoins réel ? Et aussi massif qu'ils l'avancent ?
"Aujourd'hui, trop c'est trop ! Il y en a assez de ce dénigrement permanent, de ce malentendu entre la société civile, les métropoles et la ruralité, entre les agriculteurs et leurs concitoyens." C'est notamment par ces mots que le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume a dénoncé le malaise du monde agricole ce mercredi 27 novembre sur Europe 1, alors que les agriculteurs manifestaient en région parisienne pour exprimer leur ras-le-bol.
Parmi les doléances de ces derniers : mettre fin à l'agribashing. Ce terme récent désigne le dénigrement dont estiment être victimes les agriculteurs. Un dénigrement qui prend la forme de critiques contre leurs méthodes de travail, et pousse certains détracteurs à aller jusqu'à l'agression physique et la destruction de bâtiments ou de récoltes. Il peut aussi faire référence à des politiques agricoles défavorables (accords commerciaux internationaux, taxations sur les exportations, mise en place de zones de non-traitement de pesticides).
Cet agribashing est particulièrement mis en avant par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA). "En ce moment, dans un certain nombre de médias, sur le terrain, dans les journaux, les agriculteurs sont critiqués. Ils sont victimes d'incivilités, d'intrusions dans les élevages : le jour, la nuit, filmées, postées sur Facebook", déplorait en octobre dernier Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Citons par exemple l'agression d'un agriculteur de l'Ain dans son champ le 3 mars dernier alors qu'il répandait des pesticides, ou l'incendie d'un élevage hors sol de volailles dans l’Orne en septembre dernier.
Les agriculteurs souffrent de la vision médiatique donnée de l’agriculture
François-Xavier Lévêque, céréalier en Côte-d'Or, membre des JA
Joint par LCI ce mercredi, François-Xavier Lévêque, agriculteur à Bressey-sur-Tille (Côte-d'Or) et membre des JA départementaux confirme : "Les agriculteurs souffrent de la vision médiatique donnée de l’agriculture, via des émissions à charge, sur le glyphosate notamment. Les gens ont perdu confiance en l'agriculture, nos efforts permanents ne sont pas pris en compte. Il suffit de voir les gestes que vous adressent les gens lorsque vous êtes dans les champs avec un pulvérisateur."
Selon lui, le phénomène s'est accentué ces cinq dernières années, et serait le fait d'une minorité. "Or nous accordons trop d'importance à cette minorité qui nous fait énormément de tort, et l'Etat va trop dans le sens des anti-spécistes ou anti-pesticides", ajoute le céréalier.
Reprendre en main leur communication
"Nous avons mis beaucoup de temps à prendre notre communication en main, alors que la communication négative va plus vite que la communication positive", continue celui qui est l'un des initiateurs de la campagne agriloving, construite en opposition à l'agribashing. "Nous devons faire un gros travail de communication pour expliquer notre métier aux gens", estime-t-il, même s'il se dit conscient que l'immense majorité de la population soutient les agriculteurs.
C'est d'ailleurs l'argument avancé par certains observateurs qui estiment que l'agribashing n'existe pas. Une position notamment tenue par François Veillerette, directeur de l’association Générations futures, dans une tribune publiée sur le site Reporterre. "La FNSEA met tellement en avant ce supposé agribashing qu’elle en a même fait un de ses principaux motifs de récrimination lors de ses dernières manifestations. Et il ne s’agit pas d’une simple plainte pour la forme : en demandant l’arrêt de l’agribashing, le but n’est pas seulement de faire capoter quelques réformes contraignantes mais aussi de restreindre la liberté d’expression des personnes ou organisations critiquant le système agricole actuel", poursuit-il.
Or, selon lui, il est légitime de mettre des sujets comme l'utilisation des pesticides dans le débat public. "Cela ne constitue en aucun cas une volonté d’agresser l’agriculture mais l’expression d’une exigence croissante sur les questions sanitaires et environnementales." Il pense également que les agriculteurs doivent être en mesure d'écouter ces critiques, sous peine de ne pas réussir à évoluer ou remettre en question leur modèle et leurs méthodes.
"L'agribashing cache la forêt"
Dans Le Monde, l'essayiste Gilles Luneau s'en prend également à la FNSEA et à l'agribashing. "Quoiqu'en dise la centrale syndicale, la société aime ses paysans. Les citoyens affirment leur amour de l’agriculture et des paysans en plébiscitant les produits bio, en adhérant à des circuits courts, en finançant des installations agricoles de jeunes urbains, en se mobilisant à l’appel de paysans contre les pesticides de synthèse, contre l’artificialisation des terres, pour préserver les ressources en eau etc. En faisant la cuisine. La France aime ses paysans, elle n’aime guère la FNSEA, il ne faut pas confondre. En démocratie, cela ouvre normalement un débat à l’aune des attentes alimentaires des citoyens, de l’occupation de l’espace et des 15 milliards d’argent public annuels distribués à l’agriculture. Débat que la FNSEA ne souhaite pas voir ouvrir."
Interrogés par franceinfo le 22 octobre dernier, des agriculteurs affiliés à des syndicats minoritaires adoptaient une autre position, plus mesurée, et critique envers la FNSEA. "L'agribashing cache la forêt", assurait Bernard Lannes, céréalier et président de la Coordination rurale. "La priorité reste d'augmenter les revenus des agriculteurs et de les tirer du bourbier administratif dans lequel ils sont plongés."
"Ce n'est pas l'agribashing qui pousse au suicide des agriculteurs, c'est l'absence de revenus et de sens à ce que l'on fait !" abondait Emilie Jeannin, éleveuse de vaches charolaises allaitantes en Côte-d'Or, syndiquée à la Confédération paysanne. "Evoquer l'agribashing est un moyen commode de se poser en victime et d'éviter d'aborder des sujets à propos desquels la société s'interroge légitimement, comme la place des pesticides ou la qualité de l'alimentation" continuait-elle.
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