Ratification du CETA : c'est quoi le "veto climatique", au cœur de déclarations contradictoires ?

Anaïs Condomines
Publié le 5 juillet 2019 à 18h04
Ratification du CETA : c'est quoi le "veto climatique", au cœur de déclarations contradictoires ?
Source : AFP / John Thys

A LA LOUPE - Les députés devraient ratifier le CETA, accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, le 17 juillet prochain. Mais le député Matthieu Orphelin, ex-marcheur, demande l'ajournement d'une telle décision, en raison d'un "veto climatique" pas assez verrouillé. De quoi s'agit-il et quels enjeux comporte-t-il ?

Le feu vert est donné mais les critiques restent vives. Mercredi 3 juillet, le gouvernement français a autorisé la ratification de l'accord commercial bilatéral de libre échange entre l'Union européenne et le Canada : le fameux CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement). 

Le texte doit encore être approuvé par les 38 assemblées nationales et régionales d'Europe mais d'ores et déjà, en France, des voix s'élèvent pour demander à l'Assemblée nationale de repousser la date de ratification officielle, fixée au 17 juillet prochain. En cause, notamment : le "veto climatique", dont certains assurent qu'il ne serait pas verrouillé dans le texte. Qu'est-ce que c'est ? On vous explique cette notion-clef, dont dépendent de nombreux enjeux écologiques. 

Le "veto climatique", d'où ça vient ?

A l'origine, le principe d'un "veto climatique" a été suggéré par un comité d'experts, nommé par le gouvernement, dans le but de rendre le CETA davantage éco-compatible. Ces experts étaient en effet chargés d'évaluer l'impact de cet accord commercial sur l'environnement et la santé humaine. Ensemble, ils avaient alors souligné plusieurs insuffisances et proposé la création d'un veto. C'est-à-dire d'un pouvoir attribué à chaque pays lui permettant de faire valoir ses principes de préservation de l'environnement face aux éventuels investisseurs, dans le contexte d'un affrontement dans les tribunaux d'arbitrage.

Ces tribunaux, qui existent dans le cadre du CETA, ont pour mission de juger les conflits entre les Etats et des investisseurs qui estimeraient leurs profits réduits d'une manière discriminante. Et c'est justement dans le cadre de ces procès que les standards écologiques des Etats pourraient être remis en cause, en l'absence d'un tel veto. 

Une mesure portée par la France

Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, a défendu en son temps cette proposition du comité d'experts. En octobre 2017, il s'est donc dit "déterminé" à mettre en place des barrières, sortes de garde-fous, dans le cadre du CETA. Voici comment il définissait le "veto climatique" :  "On va mettre en place ce qu'on peut appeler une forme de veto climatique qui doit nous assurer dès maintenant que les dispositions qui sont destinées à mettre en oeuvre nos propres engagements climatiques ne puissent en aucun cas, et notamment dans le cadre des tribunaux d'arbitrage, être attaquées par un investisseur." 

Plus tard, en février 2018, Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, avait davantage détaillé la forme souhaitée pour ce fameux veto : il "va prendre la forme d'une déclaration juridique interprétative, qui sera adossée à la partie consacrée aux investissements dans le CETA. Les services du ministère travaillent à son opérationnalisation concrète" avait-elle ajouté. Toujours selon elle, la Commission européenne se serait saisie de l'idée. Brune Poirson précise ainsi : "Nous avons sollicité la commissaire européenne au Commerce qui a indiqué, en décembre dernier, être d'accord pour travailler sur le veto climatique. C'est une avancée qui est importante. C'est une mesure qui était portée par la France et qui est, maintenant, portée au niveau européen."

Le "veto climatique" est-il maintenu dans le CETA ?

Sur la définition du "veto climatique" travaillée et avancée depuis 2017, tout le monde est d'accord. Mais la chose se complique quand il s'agit de savoir si ce principe sera finalement retenu dans la version définitive du CETA. L'ancien "marcheur", Matthieu orphelin, est notamment monté au créneau. Il ne compte pas voter pour la ratification de l'accord en l'état, justement parce que la proposition d'un veto climatique n'est pas verrouillée. Contacté par LCI, le député nous renvoie vers un communiqué détaillant sa position. Selon lui, il faudrait davantage graver dans le marbre cette disposition, pour l'instant trop sujette aux fluctuations politiques :

"L'indispensable veto climatique demandé par la France et dont l'idée semble avoir été reprise par la Commission européenne n'a pas pour l'instant été accepté par les Canadiens. Le parti conservateur canadien mené par Andrew Scheer, qui avait pris position contre l'Accord de Paris, pourrait remporter les prochaines élections fédérales en octobre prochain. Que se passerait-il s'il baissait l'ambition climatique du Canada ? Rien ! Le CETA ne permet pas de revenir sur la levée des barrières au commerce en cas de non-respect des engagements climatiques ou environnementaux. Au-delà de mes doutes sur la pertinence d'une cour d'arbitrage ad hoc réservée aux investisseurs, j'estime que nous n'avons pas de garanties suffisantes pour préserver la liberté des Etats d'élaborer des politiques environnementales et sociales ambitieuses." Ce qui conduit donc Matthieu Orphelin à demander une "motion d'ajournement" afin que la ratification "soit décalée à la fin 2019, lorsque nous aurons plus d'assurances". Sera-t-il entendu par ses pairs ? Rien n'est moins sûr. 

Un "veto climatique" bien attaché ?

Nicolas Hulot, sur le sujet, ne dit pas autre chose. Dans une tribune au JDD publiée le 30 juin dernier, il indique : "Regarder la réalité en face, c'est aussi reconnaître que, dans quelques mois, le futur Premier ministre du Canada pourrait être Andrew Scheer, un conservateur qui a voté contre la ratification de l'Accord de Paris. Que fera-t-on alors du CETA, si le Canada décidait de ne pas tenir ses engagements climatiques ou de suivre Donald Trump en quittant à son tour l'Accord de Paris ?"

"Cette crainte n'est pas fondée" indique de son côté Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères. Dans une interview au Monde le 3 juillet dernier, celui-ci assure au contraire : "Nous avons décidé de mettre en oeuvre un veto climatique, qui garantit aux Etats leur souveraineté pour légiférer sur l'environnement et le social. Aucun investisseur ne pourra le contester." Alors entre ces deux positions contraires, qui dit vrai ? Pour savoir à quel point le "veto climatique" est cimenté, ou non, au CETA, LCI a sollicité le ministère des Affaires étrangères, mais celui-ci, en fin d'après-midi ce vendredi 5 juillet, n'avait pas donné suite. 

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Anaïs Condomines

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