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Réforme des retraites : on a passé au crible les slogans des manifestants du 19 janvier

Publié le 20 janvier 2023 à 17h09, mis à jour le 3 mars 2023 à 12h11

Source : JT 20h WE

Entre 1 et 2 millions de personnes se sont mobilisées jeudi 19 janvier à l'occasion de la première journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Nombreux sont ceux qui, sur leur pancarte, avaient un message à faire passer.
Nous avons vérifié plusieurs slogans repérés dans les cortèges.

Cette première journée sociale contre le projet de report de l’âge de départ à la retraite a mobilisé plus d’un million de personnes dans les rues, selon le ministère de l'Intérieur, et jusqu’à deux millions, selon la CGT. De Toulouse à Paris, en passant par Marseille, les grévistes ont battu le pavé en brandissant pancartes et slogans chocs contre la réforme du gouvernement. Nous avons vérifié les affirmations les plus présentes sur les banderoles.

"1154 euros pour les femmes, 1930 euros pour les hommes"

Le montant moyen des retraites touchées en France est écrit au feutre, insistant sur la disparité de revenus entre les femmes et les hommes. "Retraite en moyenne : Femme 1154 euros. Homme 1930 euros", relevait ainsi une pancarte à Clermont-Ferrand. Des chiffres authentiques et attribués à la Drees, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, rattachée à Bercy. Dans son dernier rapport sur l’état des finances autour des retraites, la Drees indique qu’en 2020, les Français ont touché en moyenne une retraite de 1509 euros bruts, soit 1400 euros nets et de bien préciser que la pension moyenne s'élève effectivement "à 1154 euros par mois pour les femmes, et à 1931 euros pour les hommes".

Selon ce slogan, la pension de retraite moyenne d'une femme est de 1154 euros, contre 1930 euros pour un homme
Selon ce slogan, la pension de retraite moyenne d'une femme est de 1154 euros, contre 1930 euros pour un homme - AFP

"Les femmes touchent 40% de moins que les hommes"

Autre slogan repéré par le magazine Notre Temps et mettant en évidence la situation des femmes retraitées, moins avantageuse que celle des hommes. Le message affirme que ces dernières "touchent toujours 40% de moins que les hommes". Ce qui est bien le cas aujourd’hui, toujours selon la Drees. Cet écart de revenu tombe à 28% après le versement des pensions de réversion, touchées par les veufs et veuves d'un assuré décédé et qui "bénéficient en majorité" aux femmes. Les choses s’améliorent toutefois, avec un écart qui "s’établissait à 50 %" en 2004 et qui tend donc à se réduire au fil des ans. 

En 2020, sur le champ des personnes résidant en France, la pension de droit direct des femmes est, en moyenne, inférieure de 40,2 % à celle des hommes. Une fois prise en compte la pension de réversion, l’écart
est de 28,4 %.
En 2020, sur le champ des personnes résidant en France, la pension de droit direct des femmes est, en moyenne, inférieure de 40,2 % à celle des hommes. Une fois prise en compte la pension de réversion, l’écart est de 28,4 %. - DREES, EIR, modèle ANCETRE.

"À 64 ans, 1/3 des plus pauvres sont morts"

Cet argument est revenu en force dans les cortèges, tout comme dans le débat ces dernières semaines. Celui de l’espérance de vie et des inégalités sociales face à la retraite. À Toulouse, on a argué qu’à 64 ans, nouvel âge de départ à la retraite souhaité par le gouvernement, "un tiers des plus pauvres (étaient) morts". Même constat, mais autre chiffre relevé à Strasbourg, où il s'agit cette fois de "29% des hommes les plus pauvres".

Aucune de ces deux estimations n’est correcte. En fait, 25% des Français les plus pauvres, qui représentent pour leur part 5% de la population, décèdent avant 62 ans, d’après une étude de l’Insee de 2018 largement reprise par les politiques et les médias. Et par nous même, lorsque Anne Hidalgo avait fait référence à ce chiffre pendant l’élection présidentielle. 

D'après ce manifestant, "à 64 ans, 1/3 des plus pauvres sont morts"
D'après ce manifestant, "à 64 ans, 1/3 des plus pauvres sont morts" - AFP

Si le constat n’est pas faux, il doit être nuancé, estiment les chercheurs Ulysse Lojkine et Michael Zemmour. "Le chiffre dit littéralement que si ‘une personne passe chaque année de sa vie parmi les 5% les plus modestes de sa classe d’âge, sa mortalité à chaque âge est beaucoup plus élevée que la moyenne, et son risque de décès avant 62 ans est de 25%’", avancent-ils dans un billet de blog d'Alternatives Économiques. Or, il parait difficile de connaitre le nombre exact de personnes passant toute leur vie dans cette tranche des 5% les plus modestes. Il faut ajouter à cela que "ceux qui meurent avant 62 ans sont déjà, pour la moitié d’entre eux, morts avant 55 ans. Autrement dit bien avant la retraite à toute époque". 

Pour les chercheurs, d’autres indicateurs sont plus parlants pour évoquer ces inégalités sociales face à la retraite. Comme le fait que 13 ans d’espérance de vie séparent les plus riches des plus pauvres, un chiffre relevé par l’Observatoire des inégalités en 2020 et que nous avions vérifié ici.

"Le travail nuit à la santé après 60 ans"

Autre raison de ne pas repousser l’âge de départ à la retraite, selon un participant au cortège parisien : "le travail nuit à la santé après 60 ans". Pris au mot, cet argument n’est pas tout à fait vrai. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) le dit lui-même, "l’état de santé aux âges élevés est un élément crucial pour l’équilibre des systèmes de protection sociale". Mais si la santé se fragilise à mesure que l’on vieillit, ce n’est pas le travail qui devient néfaste passé un certain âge. Ce sont les conditions de travail, quel que soit l’âge que l'on a. 

"Le travail nuit à la santé après 60 ans", pouvait-on lire dans le cortège parisien, jeudi 19 janvier
"Le travail nuit à la santé après 60 ans", pouvait-on lire dans le cortège parisien, jeudi 19 janvier - AFP

Une récente étude, menée sur une cohorte d’anciens salariés d’EDF-GDF, montre que "de mauvaises conditions de travail avant la retraite ont des effets néfastes à long terme sur la santé et la mortalité des retraités et que l'âge de la retraite ne module pas ces effets". Pour Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm et auteur de l’étude, le débat politique devrait donc plus porter sur la pénibilité que sur l’âge de départ. "Les conditions de travail sont le déterminant principal de l’état de santé" des futurs retraités, insiste le chercheur auprès de TF1info. L’étude trouve pour seule limite le fait que ces anciens salariés sont partis à la retraite vers 55 ans, soit plus tôt que la moyenne française. Mais selon le spécialiste, "l’effet de l’âge serait faible, même sur une population de salariés avec un départ plus tardif".

Mais attention : les accidents du travail mortels se révèlent plus courants chez les travailleurs à l'âge avancé, selon un article publié en 2020 dans l’International Journal of Occupational Safety and Ergonomics. Selon ces travaux, ayant comparé des milliers d’études venant de plusieurs pays, "les travailleurs âgés (45 ans et plus) ont tendance à être plus prudents, mais sont plus susceptibles de souffrir d'accidents graves ou mortels que les travailleurs plus jeunes". Ce qui "est dû aux changements physiques et psychologiques avec le vieillissement qui rendent certains risques plus dangereux pour les travailleurs âgés que pour les plus jeunes". 

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Caroline QUEVRAIN

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