"Une arme anti-grève" : le télétravail pèse-t-il vraiment sur la mobilisation ?

par Audrey LE GUELLEC avec AFP
Publié le 6 février 2023 à 18h59, mis à jour le 7 février 2023 à 9h43

Source : JT 20h Semaine

Une troisième journée de grève contre la réforme des retraites est organisée lieu ce mardi 7 février.
Le télétravail, apparu massivement à la faveur de la crise du covid, limite-t-il l'impact de la grève ?
Pas si sûr et pas partout, comme l'expliquent les professionnels des ressources humaines et les responsables syndicaux.

Le télétravail, une "anti-grève absolue", vraiment ? Glissée par un cadre de la majorité avant le début des mobilisations contre la réforme des retraites, l'affirmation doit être relativisée, selon les syndicats comme le patronat. En premier lieu parce que "60% des salariés ne peuvent pas télétravailler", rappelle Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l'ANDRH (Association nationale des DRH), à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. 

"Tous ceux qui ont la possibilité d'avoir des métiers éligibles au télétravail vont être bien moins impactés que ceux dont les métiers nous sont utiles, mais qui ne peuvent pas travailler à distance", concède-t-elle, avant d'ajouter : "c'est en cela que c'est regrettable, ceux qui vont être le plus impactés (travail, rémunération, temps de transports...) sont ceux qui n'ont pas le choix". Elle ajoute par ailleurs qu'"il y a des personnes qui n'aiment pas être isolées, et ce, encore plus depuis le confinement". 

Benoît Serre, vice-président délégué de l'association, met quant à lui en garde contre une vision "très centrée sur l'Ile-de-France", où 40% des postes peuvent être télétravaillés. "Si la grève commence à se multiplier toutes les semaines ou plusieurs jours d'affilée, l'arme va s'émousser", note-t-il, car cela "désorganise les entreprises et empêche certaines activités, les séminaires par exemple".

"Bouleversements minimes"

Directrice générale du Medef Ile-de-France, Marie-Sophie Ngo Ky remarque que si beaucoup de postes sont "télétravaillables" en région parisienne, les salariés y sont aussi "extrêmement dépendants" des transports en commun : "plus de 75% des personnes qui travaillent les prennent", rappelle-t-elle. "Toutes nos entreprises adhérentes sont perturbées par les journées de grève, même si pour près d'un quart d'entre elles, les bouleversements sont minimes", selon une enquête menée par le Medef Ile-de-France.

Pour palier les effets de la grève, 25% des entreprises se disent prêtes à prendre en charge les frais de taxis ou VTC de leurs salariés, 15% les nuits d'hôtel, selon cette enquête. Mais cela a "un coût". L'ANDRH, qui rappelle "avoir à cœur le maintien de l'entreprise et le bien-être des salariés", a de son côté élaboré un guide de bonnes pratiques contenant toute une série d'alternatives qui s'offrent aux entreprises, en période de mobilisation, outre le télétravail (hébergement, aménagement d'horaires, congés...)

"Ça gêne moins les salariés"

"On ne cautionne pas du tout cette idée d'arme anti-grève", réagit auprès de l'AFP Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME, la confédération des petites et moyennes entreprises. Mais "que ça gêne moins les salariés, c'est une réalité, tant mieux d'ailleurs, on ne va pas s'en plaindre". Côté syndical, on abonde. À Paris, "la multiplication des alternatives de mobilité et le phénomène du télétravail diminuent énormément l'impact d'une grève", reconnait Arole Lamasse, secrétaire général de l'Unsa-RATP, qui concède que face à cette nouvelle donne, les syndicats doivent "adapter (leur) manière de se mobiliser". D'autant que le télétravail "a également une influence sur la participation aux grèves : plus il est possible et répandu dans l'entreprise, plus les salariés vont faire le choix d'y recourir plutôt que de faire grève", analyse auprès du Point le docteur en sciences politiques Tristan Haute.

Depuis l'hiver 2019-2020, et la grève d'une longueur historique menée par les agents de la RATP contre la précédente réforme des retraites, le Covid est passé par là, poussant les employeurs publics et privés à étendre largement le télétravail. À titre de repère, en janvier 2021, 27% des salariés le pratiquaient, contre 4% en 2019, selon une étude de la Dares, la direction Statistiques du ministère du Travail, publiée en février 2022.


Audrey LE GUELLEC avec AFP

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