"Beaucoup de gens parlaient d'élevage sur Twitter mais ils n'y connaissaient rien" : les "ageekulteurs" nous racontent leurs motivations

par Hamza HIZZIR
Publié le 21 février 2020 à 17h25

Source : JT 20h WE

SIGNE DES TEMPS - De nombreux agriculteurs communiquent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, rencontrant parfois un succès certain. Focus sur une profession plus connectée qu'on pourrait le penser.

L'imaginaire collectif, surtout citadin, continue parfois de voir en l'agriculteur une personne en salopette méditant sur son tracteur en mâchouillant un brin de paille. Une idée à peu près aussi ancienne que celle consistant à penser qu'il ne peut vivre son heure de gloire qu'une fois l'an au parc des expositions de Paris, lors du rituel Salon de l'agriculture, si d'aventure une caméra de télévision s'attarde sur son stand. Une idée anachronique. 

Publiée le 10 septembre 2019, la dernière édition de l'étude "Agrinautes" révèle que 85 % des agriculteurs se connectent au moins une fois par jour sur Internet, que 70% d'entre eux utilisent un smartphone (contre 45% il y a trois ans), et que près d'un agriculteur sur deux consulte les réseaux sociaux dans un but spécifiquement professionnel. Il faut aussi noter que, pour ce qui est de ces seuls agriculteurs connectés, 57% d'entre eux ont créé un compte sur Facebook, Twitter, Instagram et/ou YouTube (contre 66% à l'échelle de tous les internautes français).

"Etienne, agri youtubeurre"

Parmi ces réseaux sociaux, Facebook reste le plus utilisé par la profession, avec un taux de 47%, mais YouTube, qui a enregistré la plus forte progression ces trois dernières années, le talonne désormais avec 44%. Les vidéos sont d’ailleurs le troisième contenu le plus recherché, et sont considérées comme une source d’information par un tiers des agriculteurs. Une tendance qui a eu pour effet des créer des stars, comme "Etienne, agri youtubeurre", se définissant dans sa bio Twitter comme "l'agriculteur préféré de ton agriculteur préféré", et dont la chaîne YouTube compte pas loin de 41.000 abonnés.

"J'ai 39 ans, je suis quand même un peu vieux, mais je fais partie de cette génération des réseaux sociaux, et j'ai toujours été très geek. Je me suis retrouvé sur Twitter il y a cinq ans de ça, j'étais élu dans le syndicat des jeunes agriculteurs, et donc au départ je faisais des tweets syndicaux, je relayais par exemple nos revendications sur le prix du lait, ce qu'on organisait sur le terrain, raconte-t-il à LCI. Et puis je me suis rendu compte que beaucoup de gens parlaient d'élevage sur Twitter mais qu'ils n'y connaissaient rien du tout. De là, je me suis pris au jeu de répondre aux questions, pour démentir de fausses informations qui circulaient. Mais avec ces messages très courts, c'était compliqué pour moi d'expliquer l'élevage, la rumination ou la reproduction de la vache laitière. Alors je me suis dit : 'Autant faire des vidéos sur des sujets bien précis.'"

Sa recette : développer un sujet spécifique dans des vidéos durant en moyenne de cinq à dix minutes, depuis la Sarthe où il vit et travaille. "Le succès a été assez rapide, mais surtout à partir du moment où je suis devenu régulier, explique-t-il encore. Au début, j'en sortais une tous les quinze jours ou trois semaines. Depuis un an, j'en sors une tous les dimanches matin. Et j'ai réalisé que les gens accrochaient mieux comme ça, qu'ils s'intéressaient et me posaient plus de questions. Qu'ils suivaient et qu'ils partageaient. Du coup, c'est devenu plus facile de mettre fin à certaines conneries qui circulaient sur l'élevage. Surtout, ça me permet d'échanger, j'ai toujours aimé ça. C'est vraiment un loisir pour moi. Et c'est assez gratifiant."

Denis Beauchamp, 39 ans, est, lui, président de l'association "FranceAgriTwittos", qui compte 300 membres dans le pays et plus de 12.000 abonnés sur son compte, et a publié Comment communiquer efficacement quand on est agriculteur... (et qu'on manque de temps !). "La démarche part du constat que tout le monde parlait d’agriculture... sauf nous, ce qui était assez dingue, confie-t-il à LCI. D’autant que l’agriculture dont on entendait parler, souvent, ne correspondait pas à ce qu’on vivait. On entendait que les pesticides sont utilisés massivement sans distinction, que les animaux sont maltraités, que l’agriculture est intensive... Alors on montre la réalité telle qu’elle est, pour apporter de la nuance."

Il y a trente ans, beaucoup de Français avaient un grand-père ou un oncle agriculteur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce lien familial, on peut le recréer avec les réseaux sociaux.
Denis Beauchamp, président de "FranceAgriTwittos"

C'est peut-être un paradoxe : selon ce responsable des céréales au sein d'une coopérative en Auvergne, les réseaux sociaux, si décriés par ailleurs, offrent "un contact direct et authentique, dont les gens ont besoin". Il développe : "En fait pendant longtemps, on a laissé parler à notre place plein de monde : politiques, syndicats , industriels... Les gens n’ont plus de lien familial avec l’agriculture. Il y a trente ans, beaucoup de Français avaient un grand-père ou un oncle agriculteur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et ce lien, on peut le recréer avec les réseaux sociaux. On veut montrer notre passion, on veut montrer aussi à quel point l’agriculture bouge et se remet en cause continuellement."

Il s'agit donc de redorer ainsi le blason du métier. Mais pas seulement. "Ça apporte un dialogue qui n’existait plus, ça permet aussi aux agriculteurs de sortir de l’isolement, on peut expliquer nos pratiques depuis n’importe où. Et puis, ça fait du bien au moral, on dialogue avec les gens qui mangent nos produits, on peut les rassurer sur la qualité et le mode de production. On peut donc faire tomber des idées reçues, mais aussi le faire avec un maximum de bienveillance et de pédagogie, insiste Denis Beauchamp. Sans ça, les agriculteurs n'auraient pas de possibilité de communiquer efficacement avec beaucoup de monde. C'est aussi pour ça qu'on a monté notre association, pour gagner en visibilité. D'ailleurs, nous serons au Salon de l'agriculture le 25, n'hésitez pas à passer nous voir." Des fois qu'une caméra de télévision passerait dans le coin ?


Hamza HIZZIR

Tout
TF1 Info