Si nuls et si bons à la fois : comment expliquer le paradoxe français en mathématiques

Publié le 12 février 2018 à 19h51

Source : JT 13h Semaine

CONTRASTES – En queue de classement pour ce qui est du niveau de ses élèves en mathématiques, la France n’en demeure pas moins l’une des nations phare de la matière au niveau international. Preuves en sont les douze médailles Fields – l’équivalent du prix Nobel – glanées par des mathématiciens de l’Hexagone. Comment expliquer ce paradoxe ? Eléments de réponse.

Un peuple de petits génies potentiels qui s’ignorent ? Voilà le constat que l’on serait tenté de dresser au sujet de la France et de son rapport pour le moins paradoxal aux mathématiques. De fait, si l’on se réfère, d’une part, au nombre de mathématiciens de l’Hexagone comptant parmi la fine fleur mondiale de la matière, et, de l’autre, au niveau plus qu’inquiétant des jeunes élèves français mis en lumière dans les enquêtes internationales, le contraste est saisissant. De quoi pousser le gouvernement à agir, alors qu’un rapport sur le sujet a été remis lundi 12 février par le député Cédric Villani et l’inspecteur Charles Torossian au ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer.  

En queue du classement des pays de l'Union européenne de l’étude-référence Pisa, qui compare les systèmes éducatifs et leurs résultats, la France domine – aux côtés des Etats-Unis – celui du "prix Nobel des maths" : la médaille Fields (que Cédric Villani a obtenue en 2010). Sur 55 récompenses décernées depuis 1936, douze sont revenues à ses ressortissants, ce qui représente plus d’un lauréat sur cinq (21,2%). Ce ratio grimpe même à un sur quatre en tenant compte de l’ensemble des médaillés issus des formations françaises, universités comme écoles supérieures. Même chose ou presque concernant le prix Abel (4 lauréats français sur 18), l’autre distinction de référence. 

Un système éducatif (très) élitiste

Comment expliquer cette apparente contradiction ? Que faire pour l’enrayer ? Comment améliorer la situation ? Aux yeux des mathématiciens et des spécialistes de l’éducation, le problème proviendrait surtout de l’approche culturelle de l’algèbre, de la géométrie et autre arithmétique. "On a, en France, un système éducatif très élitiste. Il est donc assez normal de former de bonnes élites alors que les citoyens dans leur ensemble ne reçoivent pas la même qualité de formation", souligne ainsi Ghislaine Gueudet, professeure en didactique des mathématiques, pour qui "le système d’enseignement des maths dans les classes préparatoires françaises est tout simplement excellent." Une excellence qui tranche avec la faiblesse manifeste des jeunes élèves du pays. 

"C’est une question de moyens et d’apprentissage des mathématiques aux professeurs", juge Sylviane Schwer, mathématicienne et professeure à l’université Paris 13. "Le problème n’est pas nouveau, mais les enseignants du primaire et du secondaire ne disposent que d’une formation minimale aux mathématiques. C’est pourtant dès ces premières années que tout se joue pour les enfants. Si l’on n’a pas le niveau de base, on est perdu en arrivant au lycée." Des conclusions auxquelles sont également arrivés Cédric Villani et Charles Torossian : leur rapport préconise d'intégrer dès 2018 un volume renforcé d'enseignements dédié aux disciplines fondamentales, dont les mathématiques, à la formation initiale des instituteurs tout en développant aussi la formation continue.

Nous n’avons pas assez de temps pour mettre les enseignants au niveau
Ghislaine Gueudet, professeure en didactique des mathématiques

Reste toutefois à savoir quels moyens concrets leur seront alloués. "Malheureusement, nous n’avons actuellement pas assez de temps pour mettre les enseignants au niveau", embraye Ghislaine Gueudet. "Par exemple, pour l’un des cours que je donne sur les structures multiplicatives (les multiplications, les divisions, la proportionnalité) qui représentent une grande partie du programme, je ne dispose que de huit heures alors que je le ferais volontiers en une centaine d’heures. À partir de là, difficile de faire des miracles", poursuit-elle, évoquant des aspirants-professeurs parfois sujets à de vieilles craintes personnelles concernant les maths. "Ces blocages, dans l’immense majorité des cas, découlent de la période du collège voire du lycée." 

Des années, estime la chercheuse, dans lesquelles se développent (ou pas) l’aversion pour les mathématiques quand les élèves de primaire restent plutôt malléables et enclins à apprendre. "C’est peut-être là, à cette période de l’adolescence, qu’il y a un travail à faire", explique Ghislaine Gueudet. "Il existe d’ailleurs des ressources sur le sujet au sein des Irem (Instituts de recherche sur l'enseignement des mathématiques, ndlr). Mais elles restent globalement méconnues et peu exploitées par manque de formation continue des professeurs. Elles pourraient peut-être permettre de rendre l’enseignement moins rébarbatif et montrer que les mathématiques constituent un outil pour répondre à des questions utiles." 


Alexandre DECROIX

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