Les réseaux sociaux se sont avec empressement emparés du meurtre de la jeune Lola.En ligne, la mobilisation a pris des airs de campagne organisée et a été vivement critiquée, au point, ce vendredi, d'être retirée par ces initiateurs.Retour sur l'orchestration d'une récupération en ligne d'un drame épouvantable.
Dans la soirée de vendredi, le corps d'une enfant est retrouvé dans une malle en plastique, dans le 19ᵉ arrondissement de Paris. C'est celui de Lola, 12 ans, une collégienne disparue plus tôt dans l'après-midi. Un drame qui indigne. Alors, peu à peu, les messages de soutien arrivent aussi sur les réseaux sociaux. Mais ce n'est que le dimanche soir que la mobilisation en ligne prend un tournant, avec une information : les quatre individus placés en garde à vue dans le cadre de l'enquête sur le meurtre sont d'origine étrangère.
Près de 1,5 million de tweets en une semaine
Les cercles proches d'Eric Zemmour sont les premiers à ouvrir la danse. En tout premier lieu, le militant d'extrême droite Damien Rieu. Dans l'après-midi, celui qui a échoué à se faire élire aux élections législatives sous l'étiquette Reconquête publie son tout premier commentaire sur ce meurtre. Il écrit : "Les quatre individus en garde à vue pour le meurtre de Lola sont Algériens". Deux heures après, c'est au tour d'Eric Zemmour de demander "justice" pour l'enfant. Suite à cela, les publications s'enchainent. Militants et élus du Rassemblement national, dont Marine Le Pen dans la soirée, idéologues et journalistes de l'extrême droite, anciens de la Manif pour tous, tous s'engouffrent dans la brèche.
Résultat, alors que l'information est rendue publique en début d'après-midi, plus de 111.000 tweets sont envoyés sur la journée. Soit trois fois plus que la veille, selon les données de Visibrain, l'outil de veille des réseaux sociaux. En tout, le mot "Lola" fera l'objet de près de 1,5 million de tweets en une semaine. D'après les informations collectées par Visibrain et que nous dévoilons, les deux hashtags les plus utilisés seront #ManifPourLola, avec 132.413 tweets et #JusticePourLola, 131.691 tweets.
Exactement les mots clés que l'on retrouve dans le nom de trois nouveaux sites qui voient le jour simultanément. Manifpourlola.fr, manifestationpourlola.fr et justicepourlola.fr. Des noms de domaines enregistrés par l'association Les amis d'Eric Zemmour. Celle-là même qui a créé une centaine d'autres sites durant la campagne du candidat à la présidentielle. Même constat pour la première pétition. Lancée dès le lundi 17 octobre, elle est hébergée sur Damoclès, le site de Samuel Lafont, le "monsieur internet" d'Eric Zemmour. Chargé de la stratégie numérique et de la campagne de financement du parti Reconquête, il s'inscrit dans une pratique bien connue. Celle que Stéphanie Lamy, spécialiste des stratégies de désinformation, appelle le "marketing extractif".
Au moment de renseigner l'adresse e-mail pour signer, l'option pour recevoir des informations de l'association est cochée par défaut. "Cette tactique consiste à exploiter les émotions, souvent liées à un fait divers, pour extraire des données privées et des dons", analyse auprès de TF1info l'autrice d'Agora toxica, la société incivile à l'ère d'Internet. Pétition que Samuel Lafont a ensuite défendu à grands coups de spam. Il a commenté, sous des centaines de publications, le même message pour appeler à la signer. En tout, près de 6000 tweets ont été publiés avec les mêmes mots, exactement, en moins de 48 heures.
Une semaine après la mort de Lola, dans la soirée du 21 octobre, le parti d'Eric Zemmour a finalement annoncé à BFMTV résilier les trois noms de domaine et mettre un terme à la pétition après que la famille de Lola a demandé que "cesse instamment, et soit retirée, toute utilisation du nom et de l'image de leur enfant à des fins politiques", et notamment sur internet.
Cette mobilisation en ligne concertée relève-t-elle de ce que l'on appelle l'"astroturfing" ? Derrière cet anglicisme, une pratique qui consiste à donner l'impression que des mouvements spontanés et citoyens se créent quand il s'agit en réalité d'une action orchestrée et coordonnée par des entreprises ou des partis politiques. Pour Stéphanie Lamy, cela ne fait aucun doute. Cette opération répond aux "trois caractéristiques" qui définissent cette opération.
Tout d'abord, "les campagnes d'astroturfing émanent d'un pouvoir vertical, de manière dissimulée". Ensuite, elles doivent "donner l’impression d’un engouement populaire en ligne, mais aussi dans le monde réel, ici avec des collages effectués par les militants Génération Z et un camion publicitaire de l'IPJ qui circule dans les rues et qui renvoie à une pétition en ligne". Et enfin, ces campagnes se fondent sur "des discours tendancieux". Cette fois-ci, "faire croire que le meurtre de Lola serait un meurtre raciste, qui s’inscrirait dans une volonté plus large d’un prétendu génocide de chrétiens blancs."
Une galaxie organisée aux outils aiguisés
Derrière cette opération, la spécialiste reconnaît la patte d'un "réseau international des nationalistes chrétiens". Elle est composée de sympathisants de plusieurs partis, dont le Rassemblement national et Reconquête, mais aussi Les Républicains, et plusieurs collectifs. Comme le think tank d'extrême droite "Institut pour la Justice", qui est à l’origine de l’appel à manifester à Paris, des anciens de la Manif pour tous ou encore le collectif de féministes identitaires Nemesis. C'est d'ailleurs ce groupe qui est à l'origine du visuel de la victime, qu'on retrouve désormais en photo de profil de plusieurs suprémacistes. Un groupe constitué de "jeunes acteurs", très organisés "grâce à la campagne présidentielle". Et avec des "ressources bien plus coordonnées qu'il y a deux ans. "
Comment expliquer la réussite de cette campagne ? Parce que les militants de cette galaxie exploitent un langage facile à assimiler. Ces groupes assument pleinement d'utiliser l'image de Lola comme les progressistes ont pu utiliser celle de George Floyd. Oubliant que dans l'un des deux cas, la famille était d'accord. "Ils se sont appropriés l’identité et le visage de la jeune fille pour en faire une 'fille de France'", relève notre interlocutrice, notant que la personne de Lola est "à la fois effacée et essentialisée." Même fonctionnement avec les collages, cités plus haut et directement inspirés de cette pratique féministe qui consistait à placarder les noms des victimes de féminicides.
L’objectif derrière cette mobilisation en ligne ? Dominer les discussions dans les médias, évidemment. Mettre des personnes dans la rue, éventuellement. Que ce soit à Lyon, à Strasbourg ou à Paris, ce sont toujours des membres de cette sphère qui ont appelé "le peuple à descendre dans la rue", pour reprendre l'expression de Stanislas Rigault, le président du mouvement des jeunes zemmouriens. Mais "le réel tour de force ici, analyse Stéphanie Lamy. C'est que cette mouvance finisse par supplanter la droite plus conventionnelle". À l'instar de ce qui a pu être observé aux États-Unis et en Italie. In fine, en simulant un mouvement spontané à partir d'un fait divers, ces groupes comptent influencer les politiques. Là où se prennent les décisions stratégiques.
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