Streeteo : qu’y a-t-il derrière cette société privée, à qui les villes sous-traitent la gestion des amendes ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 15 mars 2018 à 13h20
Streeteo : qu’y a-t-il derrière cette société privée, à qui les villes sous-traitent la gestion des amendes ?

FOCUS - Depuis début janvier, une des deux sociétés privées en charge du contrôle du stationnement payant à Paris et dans une vingtaine de villes se fait épingler pour de multiples dérives. Streeteo est dans le collimateur. Que sait-on de cette filiale d’Indigo, le plus gros gestionnaire de parking de la capitale ?

Elle a au moins un fait d’arme : à l’heure d’internet, elle sait passer totalement inaperçue quand on la cherche. Pas de contact sur son site. Pas de compte alimenté sur les réseaux sociaux. Un numéro en 08 sur societe.com, et une adresse, à Puteaux, qui est celle d’Indigo, un gestionnaire de parking. Streeteo, cette entreprise privée chargée de contrôler le stationnement payant depuis janvier à Paris sait se faire discrète. Une discrétion d’autant plus... malvenue, ou curieuse qu’elle est, depuis ses débuts, sous le feu des critiques, épinglée pour plusieurs débordements. Et que les questions fusent sur son fonctionnement. 

En juin dernier, la Ville de Paris a en effet choisi les deux sociétés qui contrôlent désormais le stationnement : Streeteo, filiale à 100% d’Indigo, principal gestionnaire de parking de la capitale, est chargée des contrôles de 94 000 places de stationnement payant dans les arrondissements 1 à 7 mais aussi 11 à 16 ainsi que dans le 20e. Moovia, filiale d’Urbis Park, sévit dans les 8e, 9e, 10e, 17e, 18e, et 19e arrondissements. Et si depuis janvier Moovia se fait gentiment oublier, Streeteo, elle, cumule les premiers couacs : des usagers qui se font verbaliser alors que le ticket de stationnement est encore valable, des médecins en visite titulaires d’une carte qui se font alignés, des voitures de policiers bien garées qui se font flasher. Deux de ses agents ont également été contrôlés sous cannabis, l’un n’ayant pas de permis. Autre histoire, un troisième employé verbalisateur est interpellé, et s'avère avoir un casier chargé, avec pas moins de 13 infractions au compteur, allant du vol à l’étalage, à la violence, ou des menaces de mort...De quoi, déjà, susciter des doutes sur la formation et le recrutement des agents. 

Les affaires se succèdent. Mi-février, une vidéo fuse sur internet : un agent de la société a filmé de faux contrôles, réalisés depuis des bureaux, en scannant des plaques sur une feuille de papier. Et jeudi dernier, le Canard enchaîné en remettait une couche, révélant l’existence de milliers de faux PV. Sort, le lendemain, une autre histoire  sur RTL : des agents non assermentés ont été envoyés sur le terrain.

La situation est rentrée dans l’ordre, indique la Ville de Paris

Dans la tourmente, Streeteo demeure discrète. Sollicitée, la société nous répond qu’elle ne donne pas d’interviews. Et renvoie à deux communiqués, publiés les 7 et 8 mars derniers, dans la foulée des révélations du Canard. Lesquels indiquent que "suite à des lancements d'alerte, notamment de la part de la Ville de Paris", elle a "identifié des pratiques internes inappropriées, y compris de la part de certains managers, menés évidemment à son insu". Elle "condamne de la manière la plus ferme ces pratiques", a "diligenté une enquête interne pour identifier les causes réelles de ces défaillances et de renforcer tous ses process afin que de tels actes ne se reproduisent plus". 

La Ville de Paris avait dégainé la première, également le 7 mars. Dans un communiqué, elle indiquait avoir "rappelé à ses obligations Streeteo", ayant notamment constaté, après le premier bilan de fin janvier, que "les relevés des contrôles effectués par l’entreprise faisaient état d’un taux anormalement élevé de véhicules exemptés du paiement du stationnement". La municipalité indiquait qu’à l’avenir, elle ne "tiendrait compte que des contrôles effectués avec un matériel géolocalisé", qui démontre que l’agent verbalisateur se trouve bien dans la rue indiquée et qu’elle "appliquerait des pénalités financières à l’entreprise Streeteo pour tout contrôle non géolocalisé". "La situation est rentrée dans l’ordre depuis le 22 février", concluait le communiqué.  Et Streeteo a écopé d'un rappel à l'ordre et d'une sanction financière estimée à 60.000 euros. 

Des incidents dans d'autres villes

Streeteo est une toute jeune société. Fondée en juin dernier, pile pour répondre aux besoins de ce nouveau marché qui se dessinait. Car avec la dépénalisation du stationnement payant, plus d'une cinquantaine de communes ont décidé de confier la surveillance du stationnement payant à des sociétés privées. Et parmi elles, la plus importante est Streeteo, présente dans une vingtaine de villes françaises : Metz, Nancy, Strasbourg, Perpignan, Cagnes-sur-Mer, Chantilly, Biarritz, Rueil-Malmaison, Montargis ou encore Alforville. Elle est liée à ces municipalités par des contrats de six ou sept ans. 

Forcément, dans toutes ces villes, les révélations du Canard ont occasionné des remous. Et forcé à se pencher un peu sur ce nouveau prestataire. Parfois sans noter d’irrégularités. A Metz, l’adjoint à la mobilité Guy Cambianica explique au Républicain Lorrain avoir un comité de pilotage hebdomadaire. Et que si une telle affaire se produisait, la mairie mettrait fin à son contrat. A Nancy, l’adjoint au maire Thierry Coulom martèle à l’Est républicain être "en mesure de vérifier de A à Z la chaîne du contrôle" : "Les agents, au nombre de sept, sont tous assermentés et dotés d’un smartphone de contrôle qui leur est propre, identifié", dit-il.

Mais d’autres villes ont souffert de bugs, comme à Alfortville, et ce, dès la fin janvier : le Parisien relevait dès février qu’en trois jours, 537 habitants avaient été verbalisés alors qu’ils avaient payé leur carte de résident. La société avait alors évoqué un dysfonctionnement technique du dispositif de contrôle. A Biarritz, il est aussi prévu que Streeteo fournisse à la mairie des comptes-rendus de son activité. Sauf que dans cette période de mise en place, rapporte Sud Ouest, cela n’a pas encore été fait. Et déjà, plusieurs manquements semblent avoir été repérés, comme l’écrit Frédéric Domège, un élu d’opposition, dans un mail au maire publié sur un blog local.

Capture écran mail

Les PV pour stationnement, une manne substantielle

Pourquoi toutes ces villes ont-elles confié à Streeteo ce marché ? Visiblement, la jeune société est arrivée auprès des municipalités avec des arguments qui plaisaient aux porte-monnaies fauchés. A Metz, l’adjoint reconnait dans le Républicain Lorrain que "l’ancien délégataire, Urbis, nous donnait entière satisfaction", "mais Indigo est venue avec des arguments qui nous ont plu, comme la mise en service des vélos Indigo Weel ou le déploiement d’une quarantaine de bornes pour véhicules électriques".  A Strasbourg, la ville œuvrait jusqu’alors avec une Société d’économie mixte, Parcus, qui a d’ailleurs postulé au nouvel appel d’offre. Mais finalement, c’est Streeteo qui a emporté le nouveau marché. "Parcus aurait dû gagner l’appel d’offre", indique Thierry Roos, conseiller municipal d’opposition de centre droite, auteur d’une pétition sur "le racket du stationnement strasbourgeois". "Mais elle n’a pas été retenue, car elle avait une masse salariale plus élevée et donc une rentabilité plus faible".  

Selon lui, c’est une des raisons qui ont fait friser l’œil des municipalités au moment de s'en remettre à ces sociétés privées : à l’heure où l’Etat baisse ses dotations, il faut trouver de l’argent.  Et le constat des villes est qu’en matière de PV, il y a un gros manque à gagner : ils ne reçoivent que 30% des sommes dues au stationnement. "Pour eux, retenir une société privée professionnelle permettra d’atteindre 80% de taux de recouvrement, soit un potentiel de 100 millions d’euros", détaille Thierry Roos. Les villes attendent du rendement, et, ont d’ailleurs imposé aux opérateurs privés des minima de contrôles quotidiens, sous peine de sanctions. Ce qui incite les sociétés à tenir la cadence, sous peine de punition. A Paris, ils s’élèvent à 75.000 par jour. La Ville insiste sur le fait que c'est le nombre de contrôles qui est fixé par contrat, pas celui des FPS (forfait post stationnement, nouveau nom des PV). Mais Jean-Pierre Lecoq, maire LR du 6e l'assène :  "A Paris, en attend 350 millions d’euros, quatre fois plus qu’avant". Lui questionne aussi le fait que le contrôle du stationnement ait été attribué à des sociétés qui gère les parkings. Indigo gère ainsi 80% des parkings de la capitale "Ils ont le monopole ! D’un côté les gens peuvent se prendre 80 ou 100 euros d’amende par jour, cela les pousse au stationnement en parking. Ils sont gagnants sur tous les tableaux !"

Des semaines turbulentes en perspective

Quoi qu'il en soit, ce souci de tirer les coûts vers le bas, se répercute, forcément, sur les conditions de travail des salariés embauchés. En interne aussi, des voix commencent à s'élever.  D’après nos informations, à Paris, dans la foulée de l’article du Canard enchaîné, plusieurs salariés ou ex-salariés envisagent des actions en justice.

Si Streeteo est peut-être en train de lancer un grand ménage, les prochains conseils municipaux de plusieurs villes vont être agités. A Paris, il se tient les 20, 21 et 22 mars. Danielle Simonnet, coordinatrice du Parti de gauche, a prévu de déposer un vœu demandant la rupture du contrat avec Streeteo, mais aussi l'engagement de poursuites. Le groupe UDI-MoDem demande à la Ville de Paris, dans le cas où ces informations se révéleraient exactes, de mettre un terme au contrat la liant avec Streeteo. Le maire Jean-Pierre Lecoq, auteur d’une question d'actualité au nom de son groupe LR lors du dernier conseil, réitère sa demande, voulant "surseoir la réforme la réforme du stationnement, le temps de corriger certaines pratiques défectueuses."


Sibylle LAURENT

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