TF1info s'associe avec l'Inserm pour vous proposer une série d'articles consacrés aux médecines et pratiques médicales dites "alternatives".Premier volet de notre série : le jeûne, une pratique séculaire qui connaît un regain d'intérêt.
Très prisé des Français, Doctolib cherche à faciliter la prise de rendez-vous médicaux pour les patients. Fin août, la plateforme en ligne a été visée par une polémique, accusée de mettre en avant des praticiens dont l'activité pouvait relever du charlatanisme. Des médecins ont par exemple déploré la présence de naturopathes se réclamant de la très controversée Irène Grosjean, tandis que la mise en avant de sophrologues et autres professionnels du bien-être faisait grincer des dents.
Doctolib, qui a entendu ces critiques, a mis en place une concertation de plusieurs semaines à la rentrée. Elle a abouti à une décision forte : le "bannissement" de 5.700 praticiens, sur les quelque 170.000 référencés sur le site. Ils ne seront plus référencés d'ici à 6 mois.
Alors que plusieurs médecines et pratiques médicales dites "alternatives" connaissent un essor et que des doutes persistent sur leur efficacité, l'équipe des Vérificateurs a sollicité l'Inserm (dont elle est partenaire) afin de mieux en comprendre les origines et les ressorts. Cet article, premier volet d'une série à retrouver sur notre site, est consacré au jeûne.
Jeûne thérapeutique, intermittent... De quoi parle-t-on ?
Épidémiologiste en santé publique au sein de l'Inserm, Thibault Fiolet est un spécialiste des questions d'alimentation. Il connaît bien le jeûne et souligne qu'il se décline en pratique sous de nombreuses formes. "Certaines personnes vont jeûner en réduisant sur une période donnée de manière drastique les calories qui seront ingérées. Cela signifie restreindre son alimentation, voire ne pas manger et se contenter de boire. D'autres vont alterner des jours de jeûne avec des jours où ils mangeront normalement. On voit également se développer un jeûne dit 'intermittent 5/2', de 2 jours par semaine", note le spécialiste, "où l'on va cesser de s'alimenter deux jours dans la semaine". Parmi les nombreuses formes de jeûne, il en est une qui consiste à "s'alimenter, mais dans des fenêtres temporelles précises. C'est le cas du ramadan pratiqué par les musulmans, où l'on ne mange pas au cours de la journée, mais seulement à la nuit tombée."
Le jeune, une pratique aux origines anciennes ?
Adopté autant par les chrétiens, les musulmans que par les juifs, le jeûne est décrit dans tes textes religieux comme une pratique ancestrale. Dans une thèse soutenue en 2020, consacrée au jeûne et accessible en ligne, il est par ailleurs fait mention de références très anciennes à cette pratique, dès "l’antiquité grecque, vers 460-370 avant JC".
Sa dimension thérapeutique, quant à elle, est vantée depuis le XIXe siècle. En Europe, sa promotion a notamment été assurée par un médecin allemand, Otto Buchinger, dont la famille perpétue aujourd'hui l'héritage à travers des séjours cliniques dédiés au jeûne outre-Rhin. Aux États-Unis ou en Russie, d'autres personnalités issues du monde médical ont travaillé à la même époque sur la question. Des figures tutélaires qui ont contribué à en faire la promotion.
Quels sont les bienfaits attribués au jeûne ?
Thibault Fiolet distingue le jeûne pratiqué sur la base de motifs religieux (Ramadan, Carême, Yom Kippour...) et celui qui vise en premier lieu à améliorer la santé. Pour bon nombre de personnes, il s'agit d'une méthode utilisée pour perdre du poids qui "se rapproche d'ailleurs dans certains cas des régimes hypocaloriques", note l'expert de l'Inserm. Par ailleurs, on trouve des adeptes "qui pratiquent un jeûne de quelques jours en invoquant le fait que cela contribuerait à 'détoxifier' l’organisme". Cela se traduit par le fait "d'arrêter de manger des aliments décrits comme 'pleins de toxines', même si bien souvent, on constate que les gens ne savent pas trop de quoi ils parlent et peinent à expliquer par quels mécanismes leur corps se trouverait régénéré".
Une dimension thérapeutique se trouve enfin avancée dans la promotion du jeûne. Ses défenseurs "soutiennent qu'elle peut aider à traiter des maladies graves, en particulier le cancer". L'épidémiologiste remarque que le jeûne se trouve "parfois lié dans le même temps à la naturopathie, à la religion ou à des formes d'ésotérisme". Sont par exemple mis en avant "le rôle et l'action des organes dits 'émonctoires', tels que le rein ou le foie". Ces derniers, bien moins sollicités lors d'un jeûne, seraient ainsi "en mesure de se reposer". Pour autant, "cette idée de repos d’un organe n’a pas de réalité biologique. À moins d’avoir une pathologie réduisant les capacités des organes, ceux-ci fonctionnent très bien tous seuls sans avoir besoin d’aide".
Des résultats probants ?
Des études existent pour le jeûne, mais en quantité réduite, observe Thibault Fiolet. "Elles sont le plus souvent réalisées sur des animaux, et pas sur l'homme, et présentent en majorité des problèmes méthodologiques". Il peut s'agir d'une absence de groupe "témoin", mais aussi d'une durée d'étude trop courte, rares étant les travaux menés sur plus d'un an. "Or, en matière d'alimentation, il est souvent nécessaire de réaliser des observations dans un temps long : les études sur le lien entre la surconsommation de viande rouge et le risque de cancer colorectal par exemple ont été menées sur de grandes cohortes et sur une période temporelle très vaste."
En ce qui concerne les résultats pour la perte de poids, l'expert a consulté les dernières études disponibles et rapporte que certaines "montrent un bénéfice via le jeûne intermittent, en particulier chez les personnes en surpoids et obèses". Pour autant, les résultats ne sont "guère différents de ceux obtenus par le biais d'un régime classique basé sur une restriction calorique en continu (environ 1500 kcal jour)". Par ailleurs, "la grande majorité des études concèdent que le niveau de preuve apporté demeure limité", ce qui incite à la prudence à l'étude des résultats.
Le spécialiste de l'Inserm est plus tranché lorsqu'il évoque le jeûne dans le cas des cancers. "On n'observe pas d’effet notable", assure-t-il. Un rapport du Réseau national alimentation cancer recherche, dévoilé en 2017, l'écrivait en effet noir sur blanc : "L’examen de l’ensemble des données scientifiques concernant le jeûne et les régimes restrictifs, issues des nombreuses études expérimentales chez l’animal et des quelques études épidémiologiques et cliniques disponibles actuellement, n’apporte pas de preuve d’un effet (bénéfique ou délétère) chez l’homme en prévention primaire ou pendant la maladie (qu’il s’agisse d’effet curatif ou d’une interaction avec les traitements anticancéreux)." Thibault Fiolet ajoute que pour les patients atteints de cancer, "on fait très attention à la dénutrition", et que le jeûne n'est alors pas recommandé. "La chimiothérapie est un traitement difficile et l'on souhaite éviter les pertes de poids et de masse musculaire. Jeûner pouvant entraîner des problèmes de dénutrition, c'est une mauvaise idée". Pour d'autres pathologies (maladies cardiovasculaires, diabète), la recherche n'apporte pas d'éléments plus concluants : "Nous manquons très clairement de travaux scientifiques sérieux sur ces questions", reconnaît le chercheur.
Des dérives dénoncées par les autorités ?
Dans son dernier rapport, dévoilé il y a quelques jours, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a évoqué "ses observations du phénomène sectaire sur l’année 2021" et consacré deux pages au jeûne. Les auteurs soulignent "une diversification des pratiques et des offres". Ils ajoutent que les "les groupes ou individus à l’origine de dérives sectaires sont nombreux à y recourir. Ils organisent des stages de jeûne particulièrement onéreux, généralement d’une semaine et se déroulant en milieu rural."
"Alors qu’une telle pratique devrait être rigoureusement encadrée par des professionnels de santé, elle est de fait souvent encouragée par des charlatans qui prétendent que la médecine conventionnelle est inefficace, voire nocive", renchérit le rapport, qui insiste sur le fait que "l’absence de qualification des encadrants peut conduire à des situations dramatiques". La Miviludes prend ainsi l'exemple "d’une participante à un stage de jeûne" en Indre-et-Loire, décédée l'an passé.
Le rapport conclut ce chapitre par le rappel d'une recommandation formulée par le ministère de la Santé. Ce dernier assure que "tout jeûne important, qu’il soit partiel ou complet, avec apport calorique journalier inférieur à 300 kcal, ne doit être effectué qu’au sein d’une structure médicalisée pour éviter la survenue d’effets indésirables graves". Il ajoute qu'à ce jour, "aucune structure médicalisée ne propose ce type de pratique en France".
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