Touchers vaginaux sur patientes endormies : un tabou à l'hôpital ?

Aude Lorriaux
Publié le 2 février 2015 à 20h50, mis à jour le 22 mai 2017 à 14h49
Touchers vaginaux sur patientes endormies : un tabou à l'hôpital ?

ENQUÊTE - Des documents présents sur le site de l’université de Lyon-Sud suggèrent que des étudiants en médecine s’exercent au bloc opératoire au toucher vaginal sur des "patientes endormies". Des formulations qui interrogent sur les pratiques de certains gynécologues, et plus généralement, de la médecine hospitalière française.

En France, aujourd’hui, des étudiants en médecine s’exercent-ils au "toucher vaginal" sur des patientes endormies au bloc opératoire sans leur consentement, voire parfois, sans que cela soit nécessaire pour la soigner ? C’est ce que prête à penser une série de documents issue de la Faculté de médecine de l’Université Lyon-Sud que metronews s’est procurés. Sur l’un des textes mis à la disposition des étudiants, et publié comme "document officiel" à la  rubrique "formation" , il est précisé que l’examen clinique de l’utérus se fera en “apprentissage du bloc sur patiente endormie”.

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Une autre feuille de stage précise que l’étudiant devra être “présent parfaitement à 8h30 tous les jours, au bloc opératoire" pour rendre compte d’un certain nombre d’actes tels que le "toucher vaginal” (abrégé en “TV") sous “anesthésie générale” (abrégé en ''AG'')

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Le texte, qui sert de modèle à chaque étudiant pour la validation des acquis, a été récemment retiré par l’université de son site Internet  depuis son signalement sur Twitter par un pharmacien . "Si des faits de cette nature s’étaient produits, l’Ordre ne doute pas un instant que des professionnels de santé, infirmiers, aides soignants, travaillant au sein de cet établissement auraient saisi les instances compétences”, nous indique l’Ordre des médecins, alerté sur ce sujet.
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L’un des praticiens cité dans l’en-tête du premier document comme tuteur, et qui exerce à l'hôpital de Lyon-Sud, nie fermement avoir utilisé ce carnet, dont il affirme ne pas "connaître l’existence". Comme il réfute l’idée d’inciter ses élèves à pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc pour s’exercer. "Dans chacun des quatre blocs opératoires , il y a un interne et un externe qui participent comme aide à l'intervention”, précise-t-il, affirmant que de tels "entraînements” au bloc lui semblent "monstrueux". "Je n’ai jamais entendu dire qu’une telle pratique se fasse à Lyon Sud”, ajoute-t-il.

La délicate question du consentement

"Les médecins n’abusent pas de la personne qui est endormie. On travaille ensemble, et à l’occasion de la chirurgie, l’interne et l’externe vont apprendre”, explique de son côté la doyenne de l’UFR de médecine, Carole Burillon, reconnaissant toutefois que ce système "d’apprentissage" n’est pas parfait. "On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent."

Et c’est bien finalement ce qui pose problème. En droit médical, la notion de consentement est particulièrement floue. "Cette question est extrêmement délicate, explique Bénédicte Bévière, maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris VIII. Si, à la lecture des dispositions légales, les informations données sur l’intervention doivent être claires, précises, suffisantes, appropriées pour permettre à la personne de donner un consentement 'éclairé', en pratique, il est compliqué pour les praticiens de détailler chaque acte.”

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En revanche, et toujours selon la loi, le médecin doit requérir un second consentement concernant cette fois la présence d’un éventuel étudiant au bloc. “Le consentement doit porter non seulement sur la présence de l’externe mais aussi sur les actes qu’il réalise”, précise Bénédicte Bévière. Pas sûr, au vu de ce qui précède, que cette règle soit toujours scrupuleusement respectée. Et plus globalement, force est de constater que la feuille d'"attestation de l'information donnée" signée par les patients avant d'entrer en opération à l'hôpital de Lyon-Sud ne fait pas mention de la présence d’un externe, ni des actes opératoires que celui-ci pourrait éventuellement effectuer.

"Non seulement c’est un viol, mais c’est un viol couvert"

Sur des forums et autres lieux de discussion sur Internet, de nombreux internes et externes déclarent avoir été témoins de touchers vaginaux sur des patientes endormies. Christine Maynié avait rapporté  sur son blog “Sous la blouse"  une scène impliquant un “senior du service” recommandant à ses élèves d’”apprendre sur les patientes au bloc". Mais tous les étudiants ne sont pas choqués par ces pratiques. Sur le forum e-carabin, un jeune homme surnommé “La mouche” confiait, il y a dix ans de cela, avoir fait son premier toucher vaginal “sur une patiente sous AG”, concluant maladroitement : “Je vois pas en quoi ça dérange les patientes, parce qu'elles ne le savent pas."

Il est difficile de dire si la pratique de "l'exercice sur patient inconscient" est très répandue dans les hôpitaux français en l'absence d'études chiffrées sur le problème. Elle est en tous cas loin d'être un fait isolé, selon Martin Winckler, médecin et auteur du livre Le patient et le médecin. Contacté par metronews, le praticien estime que ces témoignages et documents mettent en lumière "le manque de respect chronique des médecins français, en particulier gynécologues, comme de l'absence de réflexion éthique des enseignants en médecine français." Pour lui, ceux-ci '''éduquent' les étudiants en leur présentant les patients comme des cobayes." L'essayiste reproche par ailleurs à l’ensemble de la profession, mais également aux pouvoirs publics, leur silence sur la question. Et n’hésite pas, sur son blog, à employer les grands mots : "Non seulement c’est un viol, mais c’est un viol couvert par les personnes responsables."


Aude Lorriaux

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