Une visiteuse a récemment pris la pose sur les rails menant au Mémorial d'Auschwitz, suscitant la colère du site, lassé de la fréquence de ces scènes indécentes.Une tendance en recrudescence ces dernières années sur plusieurs lieux de mémoire à travers le monde.Ces comportements sont plus marqués chez les jeunes générations, auxquelles les musées doivent porter une grande attention, estiment les spécialistes.
Face au soleil, une jeune femme pose, tout sourire et la tête basculée en arrière. La photo aurait tout l'air d'un banal souvenir de vacances, si la visiteuse n'était pas assise sur les rails menant à l'entrée du Mémorial d'Auschwitz, sur lesquels plus d'un million de personnes ont été acheminées vers ce camp d'extermination pendant la Seconde Guerre mondiale. Agacé par ce type de mises en scène indécentes sur ce lieu de mémoire, le site a lancé un rappel à l'ordre.
"Les images peuvent avoir une immense valeur émotionnelle et documentaire pour les visiteurs. Les images nous aident à nous souvenir", a convenu le Mémorial sur Twitter, sous la photo de cette visiteuse en train de poser, relayée par une journaliste britannique choquée. Mais "en venant à Auschwitz, les visiteurs doivent garder à l'esprit qu'ils pénètrent dans le site authentique de l'ancien camp où plus d'un million de personnes ont été assassinées", a-t-il poursuivi. "Respectez leur mémoire."
Today I had one of the most harrowing experiences of my life. Regrettably it didn’t seem everyone there found it quite so poignant. pic.twitter.com/3OdWavqC4P — Maria 🇬🇧 (@MariaRMGBNews) April 15, 2023
Ce n'est pas la première fois que le site historique polonais se voit contraint de faire une mise au point. En 2019, il avait pointé le comportement de visiteurs qui s'amusaient à jouer les funambules sur les rails, mais aussi une tendance consternante qui se développait alors sur TikTok : des internautes se faisaient passer pour des victimes de l'extermination, en scénarisant leur faux décès en vidéo.
À Berlin également, de nombreux touristes en visite au Mémorial de la Shoah en profitent pour se prendre en photo entre les blocs de béton dressés à la mémoire des millions de victimes du génocide. Certains allant même jusqu'à utiliser ces clichés sur des applications de rencontre, comme l'explique notre chronique à retrouver en tête d'article.
Ulcéré par cette tendance, l'artiste israélien Shahak Shapira, lui-même petit-fils de déporté, avait décidé en 2017 de détourner des photographies inappropriées trouvées sur les réseaux sociaux. Il replaçait ces clichés dans leur contexte, propulsant ces visiteurs amusés au milieu de charniers humains ou de baraquements de déportés. Fort heureusement, presque la totalité des douze personnes figurant sur les photomontages se sont excusées auprès de lui et ont décidé de retirer les images de leur profil, explique son site.
"Plus forcément de notion de sacré"
"Il y a une tendance à l’augmentation de ce type de comportements inappropriés sur les lieux de mémoire", relève le secrétariat d’État chargé de la Mémoire et des Anciens combattants, contacté par TF1info. "Souvent liés à l’usage de smartphones, ces comportements sont dans la majorité des cas dus à un manque de maturité conduisant à des actes maladroits, à une mauvaise appréhension du comportement à adopter sur ces lieux ou à une méconnaissance de l’histoire", développe-t-il.
Pour les spécialistes, cette tendance est spécifiquement marquée chez les plus jeunes, qui se trouvent les plus éloignés chronologiquement de ce passé douloureux, et de ses derniers témoins. "Pour des collégiens ou lycéens, il n'y a plus forcément de notion de sacré derrière ces lieux-là. Ils gardent donc des comportements assez ordinaires, comme continuer à se prendre en photo", explique à TF1info l'historien Fabrice Grenard, directeur historique de la Fondation de la Résistance. Si ces comportements ne sont pas "systématiques", les jeunes étant souvent "chavirés par la force des lieux" une fois sur place, "ces gestes n'existaient pas vingt ans auparavant", note-t-il.
C'est aussi une problématique intégrée par les musées, en évitant par exemple de présenter les armes en majesté
Fabrice Grenard, directeur historique historique de la Fondation de la Résistance
Il relève parfois aussi une volonté de certains adolescents se prendre en photo face à des armes ou des drapeaux frappés d'une croix gammée dans les expositions, "par esprit de provocation ou par méconnaissance". "Il faut faire un travail en amont lors de sorties scolaires, pour expliquer que certains comportements ne sont pas permis. De plus en plus, c'est aussi une problématique intégrée par les musées, en évitant par exemple de présenter les armes en majesté", explique l'historien.
"Les agents des sites sont formés pour faire respecter les règlements intérieurs mais également sensibiliser les visiteurs et apporter toute la pédagogie nécessaire pour prévenir ou interrompre ce type de comportement", confirme le secrétariat d’État chargé de la Mémoire et des Anciens combattants. Il souligne la volonté du ministère des Armées de "poursuivre son engagement en faveur de l’enseignement de Défense" dans les établissements scolaires, pour "former les citoyens de demain, qui auront pleine conscience de la solennité et du respect dus à ces lieux".
Pour Hélène Camarade, spécialiste de la résistance allemande au national-socialisme, cette tendance remonte déjà au début des années 2000, mais il ne faut pas pour autant blâmer les jeunes générations. "On ne peut pas à leur en vouloir de ne pas avoir la connaissance, de ne pas avoir été 'éduquées', formées, prévenues", estime-t-elle. "Si ces éclairages n'ont pas eu lieu, il faut au contraire s'interroger sur nos pratiques mémorielles, à nous, plus anciennes générations."
"Sensationnalisme"
La spécialiste signale aussi le rôle joué par les réseaux sociaux dans cette tendance. "C'est une pratique des jeunes et il paraît logique qu'il n'y ait aucune limite pour certains sur le caractère inapproprié de selfies dans certains lieux", relève-t-elle. Et de déplorer également le "sensationnalisme" qui entoure désormais certains sites, alors que se développe depuis plusieurs années un tourisme de l'histoire, par exemple à Tchernobyl, en Ukraine.
En 2019, le succès mondial de la série télévisée de HBO "Chernobyl" avait entraîné un brusque afflux de touristes sur le site du pire accident de l'histoire nucléaire. Nombre d'entre eux venaient s'y prendre en photo, voire parfois voler des objets abandonnés, au point que Craig Mazin, le créateur de la série, avait dû monter au créneau sur Twitter, appelant les touristes à "se souvenir qu'une terrible tragédie a eu lieu ici". "C'est aussi lié à la notion de transgression, de lieux interdits, dangereux, cela a existé de tout temps. Et ce n'est d'ailleurs pas forcément propre aux jeunes", note Hélène Camarade.
Pour Fabrice Grenard, les sites "ont une responsabilité très forte" pour tenter d'endiguer le phénomène. À Oradour-sur-Glane (par exemple, en Haute-Vienne, on impose aux visiteurs de passer par un musée sur le massacre des habitants de ce village en juin 1944 par les Nazis, avant de pouvoir déambuler sur le site. "C'est une bonne chose", salue l'historien. Il n'y a pas non plus de restaurant ou de café qui tenterait de profiter de la présence de touristes, de quoi éviter toute "confusion" des genres.
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