Jean-François Delfraissy veut rendre l'appli TousAntiCovid obligatoire au restaurant

par Cédric INGRAND
Publié le 20 novembre 2020 à 18h45
Jean-François Delfraissy, et l'application TousAntiCovid
Jean-François Delfraissy, et l'application TousAntiCovid

CONTACT TRACING - S'il voit "la sortie du tunnel", le président du Conseil scientifique craint déjà une troisième vague épidémique. Parmi ses préconisations pour l'éviter, un usage plus large de l'application mobile TousAntiCovid, jusqu'à même l'imposer dans les restaurants. Mais est-ce réellement possible ?

"Éviter ce qui s'est passé cet été, après le premier déconfinement". Si la seconde vague de l'épidémie pourrait durer au-delà des fêtes de fin d'année, le président du Conseil scientifique a déjà l'œil sur la suite, et sur les mesures à prendre dès maintenant. "Il faut continuer d’appliquer les gestes barrières, et poursuivre la stratégie 'tester-tracer-isoler', en l’optimisant", conseille l'infectiologue, dans un entretien au Monde.

Parmi les pistes qu'il évoque, celle d'un usage plus large de l'application mobile TousAntiCovid. Après des débuts pour le moins chaotiques, l'application est désormais largement téléchargée, elle a passé cette semaine la barre des neuf millions d'installations, selon les propres chiffres affichés par l'application. Difficile de savoir combien de ces neuf millions l'ont toujours sur leur smartphone, et la gardent activée, mais on est bien loin des chiffres plutôt piteux des débuts.

Comme elle l'affiche elle-même, l'application TousAntiCovid  a dépassé les neuf millions de téléchargements
Comme elle l'affiche elle-même, l'application TousAntiCovid a dépassé les neuf millions de téléchargements

Pas de resto sans appli ?

Pourtant, et on le voit bien en comparant  le nombre d'installations au nombre d'infections qui y sont déclarées, ce n'est qu'en utilisant l'application de la manière la plus large possible qu'elle peut avoir une utilité pour combattre l'épidémie, même si elle a désormais d'autres usages, comme la génération d'attestations de sortie. Surtout, l'application promet de remonter des contacts avec des malades potentiels au-delà du cercle familial ou professionnel, quand on l'utilise dans les transports, les commerces, et que l'on croise des inconnus. 

Et c'est cette possibilité-là qui intéresse aujourd'hui le professeur Delfraissy, au point d'en faire un sésame, une application d'usage obligatoire dans certaines conditions. "On peut (...) imaginer que certains lieux soient accessibles à condition de l’avoir activée", dit-il. Des lieux denses, fermés, où l'on est statiques, comme les bars et restaurants, avec qui l'exécutif n'a pas communiqué de date possible où ils pourraient se remettre à accueillir leurs clients. "La réouverture (...) d’endroits comme les restaurants début 2021 pourrait être accompagnée par cet outil numérique."

Un quart des Français n'ont pas de smartphone

Sur le papier, la logique est éminente, c'est d'ailleurs pour cela que ces applications de contact tracing ont été créées. L'exécutif pourrait-il rendre cet usage obligatoire pour autant ? C'est là que les écueils se font jour. D'abord, une Lapalissade : pour utiliser TousAntiCovid, il faut un smartphone. Or, en 2019, selon le Baromètre du Numérique que tient le ministère de l'Économie, si le taux d'équipement des Français en smartphones a passé celui des ordinateurs (77% contre 76%), cela laisse quand même près d'un quart de la population adulte sur le mauvais côté de cette fracture numérique-là. Et on peut douter que le "Quoiqu'il en coûte" ait intégré un budget pour offrir un smartphone au quart le moins bien équipé de la population française.

"Tousanticovid" : la nouvelle version de l'appli de traçageSource : TF1 Info

Surtout, l'écueil est à la fois juridique et politique. Avant de lancer l'application - alors baptisée StopCovid - au printemps dernier, le gouvernement était allé requérir l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), pour faire valider par les Sages les mécanismes de protection de la vie privée sur laquelle l'application repose. Dans un long avis rendu à l'époque, la Cnil rappelle par six fois que si l'application est acceptable à ses yeux, c'est entre autres parce que son usage est fondé... sur le principe du volontariat.

L'article 1er du projet de décret consacre le principe selon lequel le téléchargement et l'utilisation de l'application « StopCovid » doivent reposer sur une démarche volontaire de l'utilisateur.
Avis de la Cnil sur l'application StopCovid, 20 Mai 2020

Difficile d'imaginer alors le gouvernement revenir sur ce principe fondateur, alors justement que des millions de Français ont déjà l'application en poche. Et en faire un sésame requis pour entrer dans les restaurants mettrait l'application sur une pente un peu glissante : difficile alors de refuser de but en blanc de la rendre obligatoire dans d'autres lieux qui accueillent du public, par exemple pour permettre la réouverture des cinémas, des théâtres, des musées... et pourquoi pas l'imposer dans les transports.

TousAntiCovid commencerait alors à ressembler aux applications développées en Chine en février dernier, des applications où l'utilisateur est dûment identifié, et qui affichent par un code couleur le risque épidémique de chacun, selon l'endroit où il vit et la prévalence du virus, selon aussi les contacts déclarés qu'il a pu avoir avec des personnes infectées.

Resterait une solution qui permettrait à l'exécutif de ne pas mettre le doigt dans un mécanisme où il n'a rien à gagner : laisser les restaurateurs prendre la question en main d'eux-mêmes, et exiger de leurs clients qu'ils leur montrent l'application activée au moment de se mettre à table. Si l'idée aurait le mérite de l'efficacité, elle pose des questions à la fois commerciales et légales. 

Pour lutter contre les discriminations, la loi empêche un restaurateur de refuser un client pour des motifs autres que ceux de "l'ordre public", dont l'usage ou non de l'application TousAntiCovid serait une acception assez large. Pas sûr que les professionnels aient envie d'aller tester la chose devant les tribunaux, surtout quand tout refus de vente peut leur coûter 1500 euros d'amende, et surtout la fidélité de leur clientèle. Dans ces conditions, et pour toutes ces raisons, la proposition du Pr Delfraissy semble avoir peu de chances d'aboutir.


Cédric INGRAND

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