Tout comprendre de l'affaire d'agressions sexuelles et de viols aux Jeunesses communistes

par Claire CAMBIER
Publié le 6 mars 2019 à 22h01, mis à jour le 23 février 2023 à 14h23
Tout comprendre de l'affaire d'agressions sexuelles et de viols aux Jeunesses communistes

RECAP' - De nombreux témoignages ébranlent ces dernières semaines le Mouvement des Jeunes communistes français. Plusieurs victimes dénoncent des cas d'agressions sexuelles et de viols commis par des hommes, souvent "haut placés", du mouvement. Comment l'affaire a-t-elle éclaté ? Qui sont les victimes ? Le parti a-t-il réagi ? LCI fait le point.

C'est par un coup d'éclat à la tribune du congrès du Mouvement des jeunes communistes français (MJCF) que tout a commencé. Ce 27 janvier dernier, au siège du PCF, des jeunes femmes montent sur scène pour dénoncer "les violences sexistes et sexuelles" survenues au sein même du mouvement ces dernières années. Elles accusent des responsables de la direction de "protéger des agresseurs (...) en mettant systématiquement le blâme sur les victimes". D'un coup, une omerta est brisée. Relayé dans une enquête de l'Obs, ce coup d'éclat à la tribune est rapidement repris dans d'autres médias. L'Obs a pu obtenir le témoignage d'une jeune femme victime d'un viol, en marge du bal annuel de l'Union des étudiants communistes à l'été 2016.

Depuis ces révélations, la parole s'est libérée, la jeune femme en question ainsi qu'une autre victime ont décidé de raconter leur agression à visage découvert. Certaines de leurs camarades ont également choisi de sortir de leur silence, anonymement. L'ampleur de l'affaire touchant le MJCF a poussé le Parti Communiste Français à réagir publiquement et à annoncer la suspension d'un des agresseurs présumés. Si ces prises de parole ont permis d'étaler au grand jour ces agressions, les premières dénonciations ne datent malheureusement pas d'hier, que ce soit en interne ou dans les médias. Après EELV en 2016, avec l'affaire Baupin, après l'Union nationale des étudiants de France (Unef) et après le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) en 2017, c'est au tour du PCF de faire face à une affaire d'agressions sexuelles qui semble le dépasser.  

2016 : Premières révélations dans les médias

Déjà en novembre 2016, des membres du MJCF témoignent publiquement. Dans un article de Cheek Magazine, deux militantes dont Emma, élue au pôle anti-discriminations du Conseil national des Jeunes Communistes, révèlent plusieurs cas d'agressions sexuelles au sein du mouvement. Extrait choisi : "Victime d’une agression sexuelle enfant, (Emma) l’a toujours assumé dans son parti comme la motivation première de son engagement féministe. Un jour, alors qu’elle prend la parole, un de ses 'camarades' l’interrompt: 'T’es pas objective, toi, sur le féminisme, puisque t’as été violée.' Quelque temps plus tard, alors qu’Emma est dans une situation précaire et cherche un logement, ce même militant lui propose de la loger en échange de faveurs sexuelles."

Un peu plus d'un an plus tard, Le Monde publie le témoignage de cinq jeunes femmes, militantes à l'Union des Etudiants Communistes (UEC). Elles évoquent des agressions, tentatives de viols et viols. Seule l'une d'entre elles a porté plainte, après avoir mis deux ans à "dompter sa peur". Toutes cependant se sont tournées vers la direction de leur mouvement et toutes ont fait face à un mur.

"Après avoir parlé sur des baisers forcés ou des mains au cul, on m’a dit 't’es une femme, ça va t’arriver, faut te blinder'", se souvient Cécilia, membre de la direction de la JC puis de l’UEC de 2012 à 2016. A une victime de viol, on lui répond qu'elle veut porter préjudice à un militant prometteur. La jeune femme finira par quitter le mouvement pour ne plus avoir à faire face à son agresseur.

2019 : La direction du MJCF accusée en plein congrès

Ces révélations ne déclenchent pas d'indignations collectives ni dans la société française, ni même au sein du PCF et du MJCF. Le Parti Communiste met toutefois en place un dispositif interne appelé "Stop violences" "dont la saisine par mail stopviolences@pcf.fr garantit une réponse sous les huit jours dans le respect de l'anonymat et la prise en charge par des référent.es formé.es au recueil de la parole des victimes", explique le PCF. Pour autant rien ne bouge vraiment.

L'omerta règne, alors, quelques victimes, épaulées par des camarades, décident de ne pas baisser les bras. Une soixantaine de militants réalisent une action décisive en envahissant la tribune au dernier jour du Congrès du MJCF à Paris le 27 janvier. "L’immense majorité du mouvement se prononce radicalement contre les violences sexistes et sexuelles. Il est plus que temps de le mettre en pratique, et c’est pourquoi, aujourd’hui, nous refusons de nous taire", lance une porte-parole. Comme le montre le texte, publié sur Twitter (cf.ci-dessous), ces militants accusent nommément deux coordinateurs nationaux de protéger des agresseurs et dénoncent le fait qu'ils apparaissent sur la liste des potentiels futurs élus. 

"Lors de la lecture de textes, plusieurs hommes ont tenté d'empêcher l'intervention en couvrant la voix des camarades en criant et les empêchant de passer, menaçant de plaintes pour diffamation et de 'purge'", regrette un militant rennais.

L'Obs raconte la scène le 24 février, après avoir obtenu le témoignage d'une victime. Cette fois, l'affaire est reprise dans de nombreux médias. Après l'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, la parole se libère également sur les réseaux sociaux.

Le 2 mars, Léa Tytéca qui avait déjà témoigné anonymement, décide de raconter son histoire à visage découvert. Dans un long thread, elle explique que son "camarade" et "ami", conseiller municipal et élu au Conseil National de la Jeunesse Communiste, l'a violée. Une agression qu'elle a tenté de dénoncer en interne. La jeune femme qui est tombée en dépression par la suite explique que les réactions auxquelles elle a fait face lui ont donné "l'impression de faire perdre quelqu'un à l'organisation en le dénonçant, quelqu'un de précieux." "J'ai donc pris sur moi tout ce temps, sans me rendre compte que peut-être moi aussi j'étais précieuse pour l'organisation", indique-t-elle. 

Elle s'est finalement tournée vers la justice, en octobre dernier. "Il était beaucoup moins difficile, contre toute attente, d'avoir à porter plainte que d'avoir à entendre raison au sein du mouvement communiste à ce sujet", dit-elle amèrement.

Le lendemain, l'une de ses camarades âgée de 25 ans suit son exemple et dévoile au grand jour son agression. Les deux femmes raconteront à nouveau leur histoire dans l'Humanité quelques jours plus tard. "Nous avons tout essayé, mais rien n’a bougé avant que nous nous mettions à témoigner publiquement sur les réseaux sociaux", explique dans les colonnes du journal la fonctionnaire au ministère de la Culture, violée quant à elle il y a deux ans.

Sur les réseaux sociaux, d'autres personnes dénoncent des actes similaires, ainsi que l'absence de réaction de la direction du MJCF ou du PCF. Anaïs Leleux, formatrice égalité femmes-hommes & laïcité et militante féministe, compile les nombreux témoignages qu'elle reçoit et les rend publics - tout en préservant l'anonymat - sur Twitter (voir le thread ci-dessous.)

Les directions communistes pointés du doigt

Pour chaque agression, les victimes ont tenté de se tourner vers leur direction. Marie Jay, secrétaire à l'organisation de l'UEC, est l'une des "alliées" qui a tenté de faire remonter le viol de Léa au plus haut de l'organisation. A France Info, elle explique qu'elle a reçu une fin de non recevoir : "il ne fallait pas le sanctionner car il faisait du chantage au suicide et qu'il risquait d'aller très mal". 

Elle aussi regrette cette terrible omerta, face à la détresse des victimes : "Non seulement leur prise de parole n'a pas abouti mais ça a été l'occasion de leur mettre la pression, à eux, en disant qu'ils ne respectent pas les cadres." "Si le gars est prometteur, s'il a un réseau de soutiens importants, il n'y aura pas de sanctions mais si c'est un gars un peu lambda qui vient d'adhérer, il peut être facilement et rapidement écarté", ajoute-t-elle.

D'après Camille Lainé, secrétaire générale du MJCF depuis 2016, 11 dossiers seraient arrivés sur son bureau – six pour viols et cinq pour agressions. Elle ajoute que neuf adhérents ont été écartés et que trois cas ont donné lieu à une plainte en justice. Mais elle réfute un éventuel "deux poids deux mesures" : "Je n'ai jamais couvert d'agresseurs et je n'ai pas d'éléments pour dire que d'autres coordinateurs l'ont fait", assure-t-elle à nos confrères de l'Obs.

Au-delà de ces réactions, il faudra attendre le 28 février pour que le parti sorte de son silence, à travers un communiqué. "Le PCF invite l’UEC et la JC à mettre en place une commission pour prévenir et lutter contre les violences et agressions sexistes", peut-on y lire. 

Un passage chiffonne cependant les victimes : "Comme c’est déjà le cas au PCF, en cas de plainte auprès du tribunal, les mis en causes seront suspendus de leur fonction et de leur droit dans l’attente de la décision de justice et exclus en cas de condamnation. De la même manière que l’UEC et la JC doivent protéger chaque femme de toute forme d’agression, ils doivent respecter la présomption d’innocence et dénoncer toute mises en cause publique sur les réseaux sociaux qui sont elles-mêmes des violences et se font au mépris de l'indispensable protection des victimes." "Le communiqué, je le trouve complètement dégueulasse, mettre sur le même plan victimes et agresseurs, c'est juste immonde", confie une victime à France Info.

Quelques jours plus tard, dans un deuxième communiqué intitulé "Face aux violences sexistes et sexuelles, le PCF réaffirme : 'c'est tolérance zéro !'", le parti communiste exprime son "soutien sans faille à ces jeunes femmes et à l'ensemble des victimes". Il rappelle l'existence du dispositif interne "Stop Violences" et surtout annonce la suspension de l'agresseur présumé de Léa Tytéca. "Dès aujourd'hui et suite au dépôt de plainte d'une des victimes (Pour rappel, la jeune femme a porté plainte en octobre, ndlr), nous annonçons la suspension des droits d'un adhérent", indique-t-il. "Celui-ci étant également conseiller municipal, nous lui demandons de démissionner de son mandat électif". Un autre cas est en cours d'instruction.


Claire CAMBIER

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