"Tout était fait pour qu'on démissionne" : la députée Laetitia Saint-Paul révèle son parcours de femme à l'école militaire de Saint-Cyr

par Laure GIUILY
Publié le 26 mars 2021 à 20h08, mis à jour le 26 mars 2021 à 22h44
Laetitia Saint-Paul a intégré l'école des officiers de Saint-Cyr en 1999
Laetitia Saint-Paul a intégré l'école des officiers de Saint-Cyr en 1999 - Source : Olivier Roller

HARCÈLEMENT - Entre harcèlement et "indifférence courtoise", la députée LaREM du Maine-et-Loire et militaire Laetitia Saint-Paul a révélé à LCI son parcours douloureux au sein de la prestigieuse école des officiers de Saint-Cyr dans les années 1990. Un récit qui rejoint d'autres témoignages recueillis par le passé.

C'est un témoignage saisissant qui vient s'ajouter aux nombreuses révélations récentes sur le traitement réservé à de nombreuses femmes au sein des grandes écoles, celles qui forgent l'élite républicaine. Interrogée par Christelle Chiroux dans le cadre de son podcast "Expertes à la Une", Laetitia Saint-Paul, officier de carrière de l'armée de Terre et députée LaREM depuis 2017, s'est longuement confiée sur son parcours au sein de la très prestigieuse école militaire Saint-Cyr à l'aube des années 2000. 

Dans cet entretien, elle dénonce l'humiliation et le harcèlement dont elle a été victime parce qu'elle était une femme. Des propos qui viennent s'ajouter aux révélations de Libération sur le lycée Saint-Cyr, en mars 2018, qui dénonçait alors "une machine à broyer les femmes." "C'était difficile de tenir dans cet environnement où tout était fait pour que l'on démissionne", dénonce la députée LaREM du Maine-et-Loire, qui a intégré l'école en 1999, "au moment de la professionnalisation et de l'arrivée des premières femmes dans l'armée." 

L'intégralité de cet entretien est à retrouver dans le podcast ci-dessous : 

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Les hommes qui parlaient aux femmes étaient appelés 'Souz', pour sous-hommes
Laetitia Saint-Paul

"Nous étions 12 sur 150, réparties en six sections. Donc nous étions seulement deux par section", se souvient avec amertume la militaire. "Nous étions très isolées et malheureusement pour moi, l'autre fille de ma section, Marion, a démissionné très tôt donc je me suis retrouvée très vite très seule." Cette Rennaise de 40 ans raconte "l'indifférence courtoise" dont elle a été victime, qu'elle reconnait aujourd'hui comme du harcèlement. "Est ce qu'être ignoré, c'est faire preuve de harcèlement ? Avec du recul, puisque ça s'est passé il y a quasiment vingt ans, je dirais que oui."

Tout était fait pour qu'elles craquent. "Les hommes qui parlaient aux femmes étaient appelés 'Souz', pour sous-hommes. C'est quand même une échelle dans le sordide [...] et le but était à peu près atteint puisqu'un tiers des filles de ma promotion est parti dans les premiers mois." Mais Laetitia Saint-Paul n'a jamais renoncé. "Je ne voulais pas laisser quelqu'un d'autre décider de ma vie, il fallait tenir coûte que coûte, d'où le titre de mon livre", publié en février 2021, Mission : tenir. De l'Armée à l'Assemblée nationale (JC Lattès).

"Dénoncer, c'était comme se ridiculiser"

Alors qu'elle n'a pas évoqué ce sujet dans son livre, Laetitia Saint-Paul a décidé d'en parler aujourd'hui. "Il y a toujours cette difficulté : si l'on dénonce un jour le fait qu'on a été victime, on n’est plus vu qu’à travers un statut de victime. On est enfermé dans une formule qui soit nous brise, soit nous forge si l'on arrive à surmonter ces difficultés. Cela s'appelle la résilience et l'on peut s'en nourrir et en créer quelque chose de positif. Et je crois que compatir n'est pas pâtir. Je m'en nourris dans mes fonctions politiques aujourd'hui."

C'est aussi suite aux mouvements de dénonciation du harcèlement au sein des grandes écoles que Laetitia Saint-Paul a voulu s'exprimer. "Quand j'ai vu ce qu'il se passait à Sciences-Po, j'ai été heureuse de savoir que la parole pouvait se libérer, que la parole des femmes est enfin crédible", explique celle qui avait été soumise au diktat du silence. "Avec quatre autres femmes, nous avions voulu faire remonter l'information à notre chef, mais il nous avait dit qu'il valait mieux continuer d'être ignorées. Dénoncer, c'était comme se ridiculiser."

"Tolérance zéro" sur le sexisme et le harcèlement, selon le ministère des Armées

Interrogé par LCI après ce témoignage, le ministère des Armées rappelle que l'actuelle ministre Florence Parly a fait de la mixité au sein des Armées son chantier prioritaire. Suite aux révélations de Libération en 2018, "un plan d'excellence comportementale a été mis en place dans tous les lycées Saint-Cyr. Nous avons mis en place des référents mixité formés à ces questions, vers qui les élèves peuvent se tourner en cas de sexisme ou de harcèlement ainsi qu'un système de contrôle avec des inspections régulières. Nous appliquons désormais un principe de tolérance zéro sur ces sujets", assure le ministère. 

En ce qui concerne l'école des officiers de Saint-Cyr, la cellule Thémis avait été crée à l'époque de Jean-Yves Le Drian pour lutter contre le harcèlement sexuel et sexiste. "Cette cellule a été renforcée avec la mise en œuvre du plan mixité pour les Armées en 2018" qui a pour ambition de féminiser ce milieu très majoritairement masculin. Et selon le ministère, les chiffres de ce plan seraient plutôt encourageant : "Entre 2018 et 2020, les nombres de femmes dans les armées ont augmenté de 5% et aujourd’hui elles représentent 16% des effectifs militaires."

Selon le ministère, le moyenne sur dix ans à l'école des officiers de Saint-Cyr est de 10% de femmes par promotion. Mais en 2020,  seules 14 femmes ont été admises à l'école des officiers de Saint-Cyr pour une promotion de 179 étudiants. C'est moins que dans la promotion de Laetitia Saint-Paul, il y a près de vingt ans. 


Laure GIUILY

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