Toxicomanes évacués du jardin d'Éole : "On attend quoi pour se bouger ? Des morts?"

A.S
Publié le 6 juillet 2021 à 20h36, mis à jour le 6 juillet 2021 à 20h48
JT Perso

Source : JT 20h Semaine

REPORTAGE – Une semaine après avoir été évacués du Jardin d'Eole où la mairie les avait concentrés, les consommateurs de crack sont toujours présents dans le quartier de Stalingrad à Paris, dans la rue, dans les halls d'immeubles et sur les bords du canal.

"On attend quoi pour se bouger? Des morts? D'autres blessés? Des overdoses?", Malik comme beaucoup d'autres riverains du jardin d'Eole est à bout. "Ce qui se passe ici depuis une semaine est dramatique, pour les habitants, comme pour ces pauvres gens. Maintenant, tout le monde se pique sous les yeux des enfants !", soupire Anna, une autre habitante. Depuis le 30 juin, tous les consommateurs de drogue du quartier Stalingrad ont été sortis du jardin d'Eole où ils avaient été regroupés pendant plus d'un mois. 

Nous y sommes retournés une semaine après. Et le spectacle qui se joue sous le regard des passants comme des habitants est effectivement désolant. Rue Riquet une femme aux vêtements délabrés marche pieds nus et tient des propos incohérents. À quelques dizaines de mètres, à l'angle de la rue Riquet et d'Aubervilliers, un groupe d'hommes pipes à la main fument du crack sous le regard d'enfants à vélo ou en trottinettes et dont l'âge n'excède pas les 7 ans. Sous l'abribus de la station Maroc, un quinquagénaire torse nu se pique sous les yeux  de personnes attablées, bières à la main, au troquet du coin. "Ici on n'est même plus choqué, nous confie Keyta, mère de deux petits enfants. Ici, c'est tous les jours comme ça. Le parc est plus fréquentable qu'avant, mais autour, c'est la tristesse et la déchéance en permanence". 

"Le pire aujourd'hui, c'est le pont Riquet, relève Philippe, habitant du quartier qui promène ses chiens en cette fin de journée. Je n'ose même plus le traverser pour aller au marché de l'Olive de l'autre côté". Ce riverain du parc a vu au fil du temps la situation se dégrader, avec un summum atteint depuis une semaine. Il sort alors un objet de sa poche qu'il nous montre discrètement. "Désormais, je ne sors plus sans cette bombe lacrymogène. À chaque seconde, j'ai peur de me faire agresser. Dans notre parking, il y a des gens qui se droguent, qui défèquent, de la prostitution. Vous traversez la rue, vous risquez de vous prendre une canette de bière en pleine tête, un crachat en pleine figure, ou un coup de poing pour un mauvais regard". 

Un car de police a beau être là en permanence près du pont et des agents de la ville à l'entrée du parc, rien n'y fait. "Que peuvent faire les policiers avec ces gens. Même quand un dealer est interpellé il est relâché juste après. Et que peuvent faire 5 policiers face à près de 150 toxicomanes regroupés?" s'interroge Alexandre. 

Et dans le jardin, les dealers ont trouvé la parade, ils rentrent discrètement dans le parc, et vont fournir les toxicomanes derrière le grillage, pour ne pas vendre depuis la rue et être vus pas la police. 

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Sur les photos postées, une femme et son bébé enjambent un homme défoncé

Pour donner une idée du quotidien dans le quartier avant et depuis l'évacuation, des dizaines de photos et de vidéos sont postées chaque jour sur les réseaux sociaux. Ainsi, dès le 30 juin au soir, des images montraient des toxicomanes amassés devant les grilles du jardin d'Éole, à même le sol. Ont suivi des vidéos de bagarre entre "crackeux", des toxicomanes arrachant du mobilier urbain, d'autres ayant en main des armes par destination, des enfants jouant aux côtés de personnes alcoolisées ou droguées, une femme et son bébé enjambant un homme défoncé au sol pour rentrer chez eux.... 

"On s'était dit qu'en montrant tout ça, il y aurait une solution rapide, fusse-t-elle temporaire, indique Thomas, étudiant logé  rue Riquet le long du parc. Mais non. La maire de Paris est venue la semaine dernière, a fait sa promenade dans le parc, vu les chèvres. Elle n'a répondu à aucune question, et a laissé ces toxicomanes à l'abandon, promettant une solution éventuelle pour septembre. Mais d'ici là, il se passe quoi ! Ce qui se passe sous nos yeux est honteux". 

Marion, maman de trois enfants, est convaincue que si l'on transposait la situation sous les fenêtres de l'Hôtel de Ville, la réponse serait immédiate. "Avec des toxicomanes devant sa mairie, ou à côté de ses enfants, la maire de Paris aurait très vite trouvé un hébergement et des médecins pour ces gens. D'ailleurs, quand les tentes de migrants ont été installées là-bas, en 24 heures une solution a été trouvée. C'est trop facile de dire qu'on attend l'État. Pour d'autres choses, elle n'hésite pas à agir sans l'aide de l'État. La réalité, c'est que Stalingrad et Riquet, comme le jardin d'Éole, ça n'est pas sa priorité. Tout le monde le sait, elle est ailleurs, elle pense à la Présidentielle, pas à nous, un point c'est tout". 

"Invitation au conseil de Paris"

Joint par LCI ce mardi, Frédéric Francelle, porte-parole du Collectif 19 Riverains des Jardins d'Éole, confirme que depuis une semaine, il n'y a eu aucune avancée. Aucune nouvelle réunion ou solution de proposer par les autorités. "Personne ne nous répond, ni la mairie de Paris, ni les mairies d'arrondissements, ni les adjoints à la sécurité des différents quartiers concernés", nous dit-il. 

Ce jour, il a reçu comme porte-parole une invitation à "assister" à 9 heures mercredi 7 juillet à un débat au conseil de Paris. "Plutôt qu'une réunion avec des échanges ils nous demandent d'assister à un débat et de la fermer. De qui se moque-t-on?" s'agace Frédéric Francelle. 

Ce dernier rappelle par ailleurs que Paris Plages doit débuter samedi prochain, notamment du côté du bassin de la Villette. "On imagine bien qu'on ne va pas laisser les crackeux qui ont trouvé refuge là-bas sur place au milieu des glaces et des bouées. On va nous les ramener autour d'Éole c'est sûr, redoute-t-il. On se doute bien qu'après sa sortie dans le quartier, Mme Hidalgo ne va pas venir sur les transats du 19e, mais il paraît qu'elle viendra au bal des pompiers le 13 juillet prochain. L'occasion peut-être pour certains de  lui dire quelques mots", lâche-t-il. 


A.S

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