Trois questions autour de la charte de l'islam du CFCM, que plusieurs fédérations refusent de signer

Publié le 21 janvier 2021 à 13h29
Le président du CFCM, Mohamed Moussaoui, en mars 2019.
Le président du CFCM, Mohamed Moussaoui, en mars 2019. - Source : KENZO TRIBOUILLARD / AFP

PRINCIPES RÉPUBLICAINS - Adopté par le Conseil français du culte musulman, le document doit marquer le rattachement des principales organisations du culte musulman aux valeurs de la République. Trois organisations refusent toutefois de la signer. Éléments d'explication.

C'est un document de neuf pages, baptisé "charte des principes pour l'islam de France", qui a été adopté par le Conseil français du culte musulman (CFCM), association représentative des musulmans de France auprès des autorités du pays, le 18 janvier 2021. Un texte adopté non sans mal, après de longues discussions internes, qui constitue "un engagement net, clair et précis en faveur de la République", selon Emmanuel Macron, mais qui continue de créer des remous malgré sa ratification. Alors que l'ensemble des fédérations concernées doivent en principe la signer sous 15 jours, trois d'entre elles, composantes du CFCM, ont jusqu'ici refusé de le faire. LCI fait le point sur les enjeux autour de ce document.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il réclamé cette charte ?

Lors de son discours aux Mureaux, le 2 octobre, sur la lutte contre les séparatismes, point de départ du texte discuté au Parlement "confortant les principes de la République", Emmanuel Macron avait appelé de ses vœux la création d'une telle charte. Afin de "former une génération d'imams promouvant une vision compatible avec les valeurs de la République", le CFCM a été chargé par le chef de l'État de "finaliser un travail consistant à labelliser des formations d'imams, à assumer une responsabilité culturelle de certification des imams" mais aussi à rédiger cette charte rappelant le respect des principes républicains. 

Le travail a été mené sous l'égide du président du CFCM, Mohamed Moussaoui, et a mené à l'élaboration du texte adopté le 18 janvier. L'objectif du président de la République, a rappelé l'Élysée lors sa remise, n'est pas de "s'immiscer dans le culte musulman" mais d'avoir "une clarification et une affirmation de l'engagement des représentants des musulmans en faveur de la République". À ce titre, estime l'entourage présidentiel, le document constitue "un acte fondateur" pour l'islam de France, qui doit précéder la constitution d'un "conseil des imams", chargé de superviser la certification des imams.

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Que dit cette charte ?

La "charte des principes" pose en préambule que "ni [les] convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République". "Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens", précise aussi ce préambule. 

Partant du principe que "les valeurs islamiques et les principes du droit applicable dans la République sont parfaitement compatibles", la charte se compose de dix articles marquant le respect des grands principes républicains, liberté et laïcité (liberté de croire ou de ne pas croire, ou encore de renoncer à l'islam), égalité (notamment entre les femmes et les hommes), fraternité, rejet des ingérences politiques dans l'islam, attachement au libre arbitre, à la neutralité au sein du service public, ainsi que la lutte contre "la haine antimusulmane, propagande et fausses informations", avec le rejet explicite de la théorie d'un "racisme d'État"

La charte prévoit un mécanisme contraignant. Si "au moins deux fédérations" estiment qu'une infraction a été commise à l'encontre de cette charte, une enquête contradictoire peut être diligentée au sein des instances. Si l'infraction est constatée "par au moins deux tiers des fédérations", elle peut entraîner l'exclusion de l'auteur de l'infraction des instances représentatives. 

Qui refuse de signer ?

Les discussions autour de la charte ont suscité des tensions très fortes entre plusieurs organisations. Tensions qui ont culminé fin décembre, lorsque le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, a annoncé qu'il se retirait des discussions, décidant de "geler tous les contacts avec la composante islamiste du CFCM". Une composante, "notamment celle liée à des régimes étrangers hostiles à la France", qui a "insidieusement bloqué les négociations", a-t-il dénoncé, évoquant sans la mentionner la Turquie. 

La Grande Mosquée de Paris est finalement revenue dans les discussions et fait partie des signataires de la charte. À l'arrivée, cinq des huit fédérations du CFCM ont signé la charte, les trois dernières ayant 15 jours pour le faire. Parmi les points d'achoppement : la reconnaissance du droit à renoncer à l'islam comme religion, et la définition des "ingérences étrangères" et de "l'islam politique".

Si les trois fédérations restantes étaient censées donner leur accord de principe, ce n'est manifestement plus le cas trois jours après l'adoption du texte par le CFCM. Ces organisations, le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), Milli Görüs (CIMG) et le mouvement Foi et Pratique, proche des prédicateurs rigoristes du Tabligh, ont confirmé ce mercredi soir qu'elles refusaient de signer un texte qui, selon elles, "fragilise" la confiance à l'égard des musulmans. Une prise de position qui a conduit le président du CFCM, Mohamed Moussaoui, à dénoncer jeudi, dans un communiqué, "la sortie unilatérale" de ces fédérations de son organisation. Leur refus "n'est pas de nature à rassurer nos coreligionnaires sur l'état des instances représentatives du culte musulman", a-t-il estimé.

Ce refus des trois organisations constitue "une clarification importante", a estimé une source au sein de l'exécutif auprès de l'AFP. "On voit qui est capable de signer ou pas une charte qui rappelle tout bonnement les valeurs de la République et en particulier les valeurs de liberté et de liberté de conscience." "Si elles ne partageaient pas les valeurs de la République, il faudrait qu'elles en tirent elles-mêmes les conséquences", a également jugé, jeudi sur France Info, le président du Sénat Gérard Larcher. "Il n'est pas question, demain, qu'un culte, quel qu'il soit, aille prendre en quelque sorte ses instructions dans un pays étranger." 

Reste que ces organisations continuent de peser dans le paysage musulman français. Milli Görüs, organisation réputée proche du président truc Recep Tayyip Erdogan, compte 71 mosquées sur le territoire français, revendique 300 associations et plusieurs dizaines de milliers de fidèles en France. 


Vincent MICHELON

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