Les Jeux olympiques 2024 à Paris

"Un desserrement à marche forcée" : l'inquiétude des associations sur le transfert de sans-abri en dehors de Paris

Publié le 25 mai 2023 à 7h30
JT Perso

Source : TF1 Info

Avec la réduction du nombre de places d'hébergement d'urgence en Île-de-France à l'approche des Jeux olympiques, le gouvernement veut inciter des milliers de sans-abri à quitter la région parisienne pour la province.
Mais pour Manuel Domergue de la Fondation Abbé Pierre, des places ne sont pas garanties en régions.
Il partage avec TF1info ses inquiétudes autour du dispositif.

Un dispositif qui suscite inquiétudes et interrogations. À l'approche des Jeux olympiques, de nombreux hôteliers qui faisaient jusque-là de l'hébergement d'urgence ont décidé de se tourner à nouveau vers de l'hébergement touristique, diminuant par conséquent le nombre de places pour les personnes sans-abri. C'est pourquoi le gouvernement veut les inciter à quitter la région parisienne pour la province.

Depuis la mi-mars, l'exécutif a donc demandé aux préfets de créer des "sas d'accueil temporaires régionaux" dans toutes les régions, à l'exception des Hauts-de-France et de la Corse, afin de "désengorger les centres d'hébergement" d'Île-de-France. Les personnes invitées à partir sont censées être prises en charge pendant trois semaines dans ces "sas" avant d'être "orientées", dans leur nouvelle région, "vers le type d'hébergement correspondant à leur situation". Mais cette solution est observée avec beaucoup de réserve du côté des associations, et notamment par Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, interrogé à ce sujet.

Un moyen pour désengorger l'accès au logement en Ile-de-France

Le gouvernement a décidé de mettre en place des "sas d'accueil temporaires régionaux" en vue des Jeux olympiques. Que pensez-vous de ce dispositif ? 

Ce n’est pas une surprise, on a été concertés depuis quelques mois autour de cette opération de desserrement. On n'est pas opposé sur le principe parce qu'actuellement en Île-de-France, il est vrai que l’accès au logement pour tout le monde est totalement engorgé. Si cela part du volontariat des personnes, un volontariat vraiment informé, notamment pour les primo-arrivants, qui n’ont pas spécialement d’attaches en Île-de-France, si les personnes sont d’accord avec cela, très bien. 

Si c’est bien fait, si c’est bien organisé en aval avec les élus locaux pour l’accueil de ces personnes, on est plutôt favorable à ce dispositif. En revanche, on est quand même très vigilant, et un petit peu inquiet aussi parce qu’on sait que quand on parle de la gestion des populations sans domicile, des populations migrantes, ce n'est pas toujours fait avec le plus grand tact de la part des services de l’État.

Des personnes sont envoyées ailleurs sans être forcément bien informées

Manuel Domergue

Quelles sont vos craintes ? 

On ne fait pas de procès d’intention, on verra bien ce que cela donne au-delà des premières semaines de mise en œuvre. Mais ce qu’on voit déjà dans les premiers retours, c'est que des personnes envoyées ailleurs, sans être forcément bien informées, parfois, reviennent arrière, quelques jours après, voir en cours de voyage. Elles reviennent parce que le dispositif ne correspond pas à leur souhait, parce que personne ne les attend là-bas. 

On voit que des élus locaux n’ont même pas été bien mis au courant, voire ne sont pas très volontaires dans ces conditions-là. Parfois, les conditions d’accueil ne sont pas très intéressantes. Parfois, les conditions de régularisation, l'examen de leur situation administrative n'est pas fait avec la bienveillance annoncée. Des personnes à Rennes, du SIO 35, le service de centralisation de l’accès à l’hébergement en Ille-et-Vilaine, nous disent qu’ils ont reçu comme consigne de mettre à la rue des personnes qu’elles hébergent dans des hôtels à Rennes, pour faire de la place aux desserrés parisiens. C’est complètement absurde. 

Pour que ce dispositif marche, il faut qu’il y ait des solutions dans ces zones, qui sont un peu moins tendues qu’en Île-de-France, mais qui sont quand même tendus. Il faut qu’il y ait des places supplémentaires. Ce qui nous inquiète sur les premiers retours, c’est cette espèce de desserrement à marche forcée avec des objectifs chiffrés pour les préfectures. Je pense qu’ils n'y arriveront pas dans ces conditions-là, sauf à forcer les gens, sauf à faire de la place de manière autoritaire dans les villes d’accueil, en mettant à la rue d’autres personnes. Donc cette politique du chiffre n’est pas très compatible avec ce qui est annoncé, c'est-à-dire respecter la temporalité, la volonté des personnes de faire leur vie ailleurs.

"Plusieurs milliers de places" bientôt supprimées

Le gouvernement a justifié cette solution au vu de la baisse du nombre d’hôtels prêts à héberger les personnes sans abri, constatez-vous effectivement une baisse du nombre de places d’hébergement d’urgence ?

Oui en tout cas, il y a des hôtels qui ferment en Île-de-France. On parle de plusieurs milliers de places en moins dès aujourd’hui et dans les semaines et les mois qui viennent. En revanche, ce n'est pas parce qu’on supprime des places en Île-de-France qu’on en créée ailleurs par magie. Donc pour que le dispositif du gouvernement fonctionne, une des conditions, au-delà du respect de la volonté des personnes, c’est de créer des places supplémentaires ailleurs.

Il y a déjà des demandes non pourvues par milliers, donc si on veut trouver des solutions pour ces personnes où que ce soit, il faut créer des places. On ne peut pas faire déménager les gens sans place supplémentaire. Aujourd’hui, les conditions d’accueil ne semblent pas réunies pour que tout se passe bien. Ce qui est créé pour l’instant, ce sont les places dans les sas, mais qui sont des places pour trois semaines seulement.

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Pensez-vous que les personnes sans-abri sont déplacées à l'approche de grands événements sportifs pour une question d'image ? 

Je ne sais pas, je ne ferai pas de procès d’intention dans ce sens-là. Je pense qu'il y a une question d’image effectivement. Précédemment, lors de la COP21, des bidonvilles ont été expulsés près du Bourget quelques jours avant l'événement. Donc, il peut y avoir l’intention, avant les Jeux olympiques, d’avoir une sorte de "ville Potemkine". 

Mais je ne crois pas que ce soit l’objectif premier ou le moteur premier de cette politique de desserrement. L'idée, c'est qu’en Île-de-France, on a du mal à trouver des solutions et qu’il faut en chercher ailleurs. Mais ce n'est pas juste en déplaçant les personnes, c’est en produisant les logements supplémentaires. Donc au lieu de faire monter les gens dans des bus pour leur faire traverser la moitié de la France, le gouvernement ferait mieux d’avoir une politique de logement un peu plus ambitieuse qu’aujourd’hui. 

Je ne mettrai pas l’accent sur les Jeux olympiques. Le problème, il existe maintenant et il existera pendant l'événement. C’est vrai qu’on va avoir un été difficile, en termes de disponibilité des places d’hôtels. Mais le problème, il était déjà important avant, il le sera encore après. 


Aurélie LOEK

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