Une dictée par jour pour les CM1 et les CM2 : est-ce efficace ?

par Maëlane LOAËC
Publié le 12 janvier 2023 à 13h47

Source : Sujet TF1 Info

Le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, appelle les professeurs des écoles à réaliser une dictée par jour, au niveau des CM1 et des CM2.
Une pratique intensive destinée à relever les performances des élèves en orthographe, en baisse depuis des années.
Mais pour les spécialistes, la manière de réaliser l'exercice importe plus que sa récurrence.

Elle a donné des sueurs froides à des générations d'élèves : un créneau devra désormais être réservé chaque jour à la dictée dans le primaire, au sein des classes de CM1 et de CM2. C'est en tout cas ce que prévoient des directives du ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, publiées ce jeudi au Bulletin officiel. Une pratique déjà prônée par ses prédécesseurs Jean-Michel Blanquer et Najat Vallaud-Belkacem, dans l'espoir de redresser le niveau des élèves français en orthographe.

Ces performances ne cessent en effet de décliner ces dernières années : d'après une étude menée depuis 36 ans par le ministère, le nombre moyen d'erreurs repérées dans la même dictée a doublé entre 1987 et 2021. Bien que la situation se soit stabilisée dernièrement, après une chute vertigineuse en 2015, le ministre reste inquiet. Évoquant un rapport de l'inspection générale d'avril 2022, il avait estimé début janvier que "le temps d’écriture est sans doute trop faible" à l'école, des propos cités par Le Monde. Mais la mise en place d'une dictée par jour pourrait-elle vraiment permettre aux élèves de remonter la barre ? 

Le succès des dictées participatives

En lui-même, "l'exercice de la dictée est intéressant dans la mesure où l'on étudie l’orthographe dans toute sa complexité, et pas seulement sur un point spécifique, mais aussi parce qu'il fait le lien entre la retranscription du son, la manière d'écrire et le sens donné aux mots", explique auprès de TF1info Nathalie Catellani, directrice de l'Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de l'académie d'Amiens. Par ailleurs, les élèves connaissent en général les règles d'orthographe et de grammaire, mais ils pêchent bien davantage à les appliquer. "La dictée permet d'automatiser ces réflexes", poursuit-elle. 

Mais elle ne se suffit pas à elle-même : il faut l'intégrer dans un ensemble d'autres exercices d'orthographe, comme la production écrite, à poursuivre également au collège et au lycée. Par ailleurs, si la régularité est incontournable pour que cette dictée porte ses fruits, la question centrale n'est pas tant son rythme quotidien ou non, que la manière dont elle est proposée. 

Le format classique de la longue dictée souvent issue d'un texte littéraire, comme on la pratiquait au temps du certificat d'étude, n'a plus le monopole aujourd'hui. Les enseignants recourent de plus en plus à des dictées courtes, focalisées sur des erreurs récurrentes et qui mobilisent pleinement les élèves, encouragés à échanger entre eux et avec le professeur. "Verbaliser la règle en groupe permet de mieux l'intégrer individuellement", appuie Nathalie Catellani. Dans le cas de la "dictée négociée", par exemple, les enfants mettent en commun leur premier jet individuel et travaillent ensemble sur une version de groupe. 

Ce sont ces méthodes participatives qui rencontreraient d'ailleurs un large succès. Aucune analyse n'a encore été menée pour se pencher sur l'efficacité de la dictée longue. En revanche, une étude québecoise de 2015 a relevé de très bons résultats pour une seule "phrase dictée du jour" et la "dictée zéro faute" (les élèves posent eux-mêmes des questions pour trouver la bonne orthographe). "Tous les dispositifs qui commencent à faire leurs preuves sont ceux qui donnent la parole aux élèves", appuie Catherine Brissaud, professeure en Sciences du langage à l'université Grenoble Alpes. Cette linguiste didacticienne a elle-même a participé en 2021 à une étude sur 131 classes de CP, qui relève elle aussi l'efficacité de ces méthodes, "en particulier pour les élèves dont le niveau est le plus faible"

"Déstresser l'évaluation"

"Il n'est pas forcément nécessaire que les productions soient notées systématiquement", ajoute Nathalie Catellani. Toutes ces pratiques permettent de désacraliser l'exercice, parfois "anxiogène" pour les élèves les moins confiants, souligne-t-elle. Et pour cause, la dictée pâtit encore d'une vieille représentation, celle d'un maître d'école intransigeant qui arpente les rangs de la classe une règle à la main. "Il faut déstresser l'évaluation", insiste la formatrice d'enseignants. 

Dédramatiser les fautes et déculpabiliser les élèves est d'autant plus important aux yeux des spécialistes, qu'il faut reconnaître que la langue de Molière est particulièrement complexe. "Faire des erreurs est inévitable ! Il faut une dizaine d’années pour apprendre l’orthographe du français, très peu d'apprentissages demandent autant de temps", souligne Catherine Brissaud. Elle appelle ainsi à dépasser des réticences bien ancrées : "On a du mal, en France, à reconnaître cette difficulté. Il y a quelque chose de tellement passionnel dans notre rapport à l'orthographe que cela empêche probablement l'école de réfléchir sereinement à la manière d'améliorer l'enseignement", regrette la chercheuse. 


Maëlane LOAËC

Tout
TF1 Info