Une "méga scierie" va-t-elle être créée dans les Hautes-Pyrénées ?

Publié le 10 septembre 2020 à 18h46
Le projet suscite une intense controverse dans la région.
Le projet suscite une intense controverse dans la région. - Source : JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

HÊTRE OU NE PAS HÊTRE – Un internaute de LCI a sollicité l'équipe des Vérificateurs pour contrôler la véracité d'une publication évoquant la création d'une "méga-scierie" dans les Pyrénées. Une information qui se révèle exacte et un projet qui suscite dans la région de vives réactions.

Si vous doutez d'une information ou souhaitez en savoir plus des publications douteuses sur les réseaux sociaux, il vous est possible de contacter directement l'équipe des Vérificateurs. C'est ce qu'a fait Cédric, un internaute de LCI au sujet d'un post Facebook qui l'a intrigué. "Je suis tombé sur cette info et aimerais savoir si elle est avérée", nous écrit-il.

L'information en question a été publiée par l'association "Le mouvement", et repartagée plus de 14.000 fois. Elle indique qu'un projet de "méga-scierie" s'apprête "à raser l'équivalent de 1.200 terrains de football par an" dans les Pyrénées. Le tout à grand renfort d'argent public. 

Un groupe italien à la manœuvre

Premier constat : ce projet est bien sur les rails. La scierie dont il est question doit en effet voir le jour sur le territoire de la commune de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées et à quelques encablures de Tarbes. C'est à la mi-janvier cette année que ses contours ont été officiellement présentés aux élus locaux, mais il faut remonter bien plus loin pour en comprendre les origines. 

Comme l'a indiqué La Dépêche du Midi, une prise de conscience a eu lieu en 2013 dans les rangs des politiques du secteur. Celle de "la nécessité d’exploitation de la ressource bois". Dans les années qui ont suivi, une nouvelle charte forestière a vu le jour, tandis qu'une association était mise en place pour "développer un modèle intégré de gestion durable de la biomasse forestière". Avec en toile de fond un constat simple : les importantes ressources en bois de la région se trouvent à l'heure actuelle sous-exploitées, et seraient susceptibles de générer un activité économique supplémentaire non négligeable.

Déjà implanté en France, en Croatie ou en Hongrie, le groupe italien Florian a manifesté son intérêt pour les forêts de hêtre du secteur, et fait parvenir à la mairie de Lannemezan une lettre d'engagement. Le projet de l'industriel serait le suivant : bâtir une scierie capable de "transformer 50.000 m3 de hêtres de haute qualité par an en bois d’œuvre", résume Reporterre.  Un volume que l'industriel exige de recevoir pendant 15 ans pour garantir la viabilité de son investissement. Soit l'équivalent de 1.200 terrains football, ce qui reviendrait à exploiter "plus du double voire du triple de ce qui est pratiqué actuellement", s'inquiète le collectif SOS Forêt Pyrénées. Les autorités locales acceptent ces conditions, si bien que Florian bénéficie aujourd'hui du soutien de la communauté de communes du Plateau de Lannemezan.

Preuve de l'implication de la municipalité, le fait que celle-ci, "s’engage, avec l’appui de l’Agence régionale aménagement construction Occitanie, à fournir au groupe Florian, sur la commune de Lannemezan, les terrains aménagés, locaux, bâtiments et équipements nécessaires à la réalisation du projet scierie hors les lignes de production", observe La Dépêche. Un centre de formation est à l'étude, tandis que des partenariats, avec Pôle emploi sont également envisagés. Une manière de pallier "la difficulté à trouver des scieurs et débardeurs, sans lesquels rien n’est possible", de l'aveu même des élus.

Des craintes qui se multiplient

Parmi les points de crispation majeurs figure la question de la soutenabilité de cette activité. Le collectif SOS Forêt Pyrénées craint "une dégradation importante du patrimoine des hêtraies pyrénéennes, avec de très fortes conséquences sur la biodiversité". Le maire d'une commune voisine, inquiet, n'hésite pas à partager ses inquiétudes : "J’ai bien peur que nos forêts dans 10 ans, n’aient plus de bois", explique-t-il. Sur ce point, les avis divergent fortement. Les "pro" et "anti" se répondent en avançant les résultats de plusieurs études, aux conclusions contradictoires. 

L'une d'elles, réalisée par l’Observatoire des forêts, association financée par la région Occitanie, estime que "le projet d’installation de cette scierie industrielle sur le piémont pyrénéen ne peut être de nature à répondre au double enjeu de changement climatique et d’érosion de la biodiversité, mais bien au contraire, ne faire que l’accentuer". Des arguments repris par les opposants, qui mettent également en avant le fait que des camions devront affluer de toutes les Pyrénées pour acheminer le bois nécessaire à alimenter la scierie. "Il faudra aller chercher la matière première dans les vallées jamais exploitées, ce qui aurait un impact écologique et financier", s'inquiète la maire d'une commune située à 15km de Lannemezan.

Si les promesses d'emplois (le chiffre de 100 circule çà et là) a de quoi séduire les élus locaux, il convient également de s'interroger sur les conséquences de l'arrivée potentielle d'un tel industriel pour les petits exploitants locaux. Ces derniers, de prime abord, ne se montrent pas forcément hostile au projet : "l’ensemble des scieurs locaux sont d’accord sur le fait qu’il est nécessaire de développer la transformation du hêtre des Pyrénées qui est sous-exploité aujourd’hui", note La Dépêche du Midi, "mais il faut rester prudent sur les volumes exploités pour ne pas mettre en péril l’équilibre et la régénération des forêts". Les plus inquiets redoutent quant à eux une situation de quasi-monopole dans la région, qui pourrait asphyxier les plus petites structures déjà existantes.

Pas encore totalement enclenché, le développement de cette scierie constituerait enfin un investissement conséquent. Un financement qui constitue le dernier point de tension pour les opposants, qui craignent que les Italiens de Florian ne bâtissent leur usine grâce à d'importantes aides publiques. S'il est encore trop tôt pour évaluer les montants en jeu, d'aucuns évoquent des coûts assumés à 60% par la collectivité, sans forcément de garanties pérennes pour l'économie locale ni d'assurance que l'engagement de l'entreprise sera pérenne.

En résumé, il est donc tout à fait exact qu'un important projet de scierie est lancé dans les Hautes-Pyrénées, la mairie de Lannemezan ayant reçu une lettre d'engagement de la part d'un groupe italien. Sur place, des acteurs associatifs et politiques tentent de mobiliser l'opinion publique pour revoir à la baisse les ambitions de la firme et des élus, qui tablent sur l'exploitation de surfaces bien plus importantes que celles aujourd'hui arpentées par les entreprises locales. Depuis plusieurs mois, les échanges se multiplient entre des élus partisans du projet et les opposants, sans que ne semble aujourd'hui émerger l'ébauche d'un compromis. Les discussions entre les différents acteurs sont toujours en cours en cette rentrée et laissent à penser que la première de la scierie ne sera pas posée en octobre, comme l'espéraient les porteurs du projet.

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Thomas DESZPOT

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