Urgences de Lons-le-Saunier : chronique d'un service à bout dans une région sinistrée

par Amandine REBOURG
Publié le 7 juin 2019 à 0h19, mis à jour le 7 juin 2019 à 0h47
Urgences de Lons-le-Saunier : chronique d'un service à bout dans une région sinistrée

MOBILISATION - Jeudi 6 juin, de nombreux services d'urgences en colère, mobilisés depuis trois mois pour certains, six pour d'autres, défilaient dans Paris pour demander plus de moyens humains et financiers, de meilleures conditions de travail et une revalorisation salariale de 300 euros.

Alors qu'Agnès Buzyn a annoncé des mesures que de nombreux grévistes estiment "insuffisantes" et qu'une mission visant à "inventer l'avenir des urgences" a été confiée au député LaRem Thomas Mesnier, les blouses blanches ont le blues et même sacrément le cafard. De quoi amener des centaines d'entre elles à rejoindre Paris, jeudi 6 juin, pour manifester leur désarroi. A quoi ressemble ce quotidien qui pèse tant sur leurs épaules au point que nombre d'entre eux soient mis en arrêt maladie et que 80 services débrayent les uns après les autres ?

"On a pris un coup derrière la tête"

A Lons-le-Saunier, l'affaire avait fait grand bruit la semaine dernière. Au départ, quatre congés maternité pas remplacés et à l'arrivée, un service à bout, mis en arrêt maladie. Mais il a fallu assurer la continuité des soins. Alors, le préfet a pris la décision de réquisitionner des personnels. "On a pris un coup derrière la tête, c'était des conditions de travail apocalyptiques mais ça n'a rien changé, on n'aura pas de retour à l'effectif plein avant plusieurs semaines", peste un soignant de l'hôpital de Lons-le-Saunier, en accident du travail mais réquisitionné malgré tout. "Cela fait trois ans que je fais ce métier, je vois déjà les conditions de travail se dégrader. Moi, je suis là pour mes collègues et pour la population. On ne peut pas soigner les gens correctement. Je refuse que mes collègues en congé maternité reviennent travailler dans ces conditions", poursuit-il.

Si le service, éreinté par six mois de lutte et en état d'épuisement professionnel tient encore (un peu) debout c'est grâce à la solidarité entre soignants, forte, et un réconfort dans le soutien que leur procure la population locale. Un collectif de citoyens s'est même créé pour les soutenir. Car en réalité à Lons, la grève remonte au 7 décembre 2018, lorsqu'il a été question de fermer la deuxième ligne de SMUR et de devoir gérer un territoire de 2415 km² grand comme l'île de la Réunion.

Un quotidien de souffrance, pour les patients comme les soignants

Les services autour de la ville ayant été rabotés les uns après les autres, au fil des années, les urgences de Lons se retrouvent donc en bout de chaîne. Comme ailleurs en France, il y a un effet "entonnoir" : le service d'urgences se retrouve à devoir gérer un afflux toujours plus massif de patients, avec de moins en moins de lits disponibles et de moins en moins de personnels et ainsi, encore moins de temps à consacrer aux malades. "Dix personnes sur des brancards, c'est la moitié d'un service mobilisé qui doit aussi gérer les arrivées dans le service", explique Yves Duffait, médecin urgentiste à Lons-le-Saunier. Alors "la norme, c'est de chercher des lits, de faire de l'administratif. On a une gestion hospitalière où on est obligé de faire rentrer chez eux, des patients fragiles", confie le Yves Duffait, médecin urgentiste dans ce service qui gère une centaine de passages aux urgences par jour. "On gère toutes les urgences", dit-il. 

Ils sont trois médecins à se partager une garde de 24 heures (un choix collectif) dans le service : un pour l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD), un autre pour la filière courte (les petits bobos du quotidien) et un troisième pour la filière longue. Tout cela en plus des urgences SMUR, pour lesquelles c'est le médecin de la "filière courte" qui est envoyé. En milieu de journée, le médecin de l'UHCD vient renforcer la filière longue et devient le deuxième départ possible du SMUR. Ainsi, lorsque celui-ci est déclenché, c'est une personne en moins dans le service mais "à trois, on s'en sort. A quatre, ce serait mieux. Il y a une carence de personnels mais on s'en sort", explique le médecin. A ces trois médecins s'ajoutent les effectifs de deux internes, actuellement en arrêt maladie. 

"Une dame âgée est morte sur un brancard, c'est un patient qui nous a prévenus"

Reste que s'ils s'en sortent comme ils peuvent, la population de cette région vieillit, augmentant ainsi le nombre de patients, alors que l'embauche de personnel ne semble pas à l'ordre du jour. Le maintien de la ligne du SMUR coûte cher, leur a-t-on dit. Et puis le recrutement est difficile. Ils sont peu à vouloir signer pour des conditions de travail pareilles. Avant, ils pouvaient prendre des pauses, dormir entre une heure et trois heures au cours de la garde. Mais ça, c'était avant. Avant qu'ils ne doivent gérer les urgences de Champagnole, une ville située non loin, et absorber les patients envoyés là car tous les services alentours ont été "rabotés". A région sinistrée, hôpital engorgé et personnels épuisés. 

Alors parfois, il y a des tragédies qui restent ancrées dans la tête. "En plein hiver, on nous as amené une dame âgée. Elle était en attente et elle est morte sur un brancard. C'est un patient qui nous a prévenus, on ne l'avait pas vue", confie le médecin. Cette dame n'avait pas de famille mais "annoncer un décès dans ces conditions, même si c'est notre métier, cela rajoute de la difficulté. On ne devrait pas légitimer ces situations", dit-il. Et si, malgré ces problèmes, rien n'avançait ? "Le risque c'est que le personnel démissionne ou demande sa mutation", analyse ce praticien. "On trouverait du travail ailleurs et mieux payé. J'ai 40 ans et je me demande si je vais pouvoir continuer mais en même temps, je ne me vois pas poser une plaque de généraliste, sur un bâtiment", dit-il. 

Reçue par le ministère, jeudi 6 juin, la délégation présente dans la manifestation est repartie insatisfaite : "On n'a rien, on appelle le mouvement à prendre plus d’ampleur. Aucune réponse satisfaisante à nos revendications. Ils n’ont pas travaillé au ministère." Pour certains d'entre eux, à peine la manifestation terminée, il fallait pourtant déjà repartir : "On travaille ce soir, alors on va devoir partir". Avec la crainte de voir arriver un drame : "Une nuit deux personnes ont convulsé, ce sont les familles qui nous ont prévenus."


Amandine REBOURG

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