CONFUSION - Un document du ministère de l'Agriculture a été interprété par les recteurs de plusieurs mosquées comme la fin de l'abattage halal des volailles en France. En réalité, il n'en est rien.
Il y a quelques jours, les recteurs des grandes mosquées de Paris, Lyon et Évry ont publié un communiqué commun. Un message dans lequel elles alertent sur le fait qu'à compter "du mois de juillet 2021, l’abattage rituel halal de volaille en France ne sera plus autorisé". Un "mauvais message que l’on envoie à la communauté musulmane", estiment les auteurs, qui mettent en lumière ce qu'ils présentent comme les conséquences de "la parution de l’instruction technique DGAL/SDSSA/2020-722 du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation datée du 23/11/2020".
Si l'on en croit le communiqué, cette instruction "impose désormais des conditions d’abattage ne permettant pas de répondre aux principes dogmatiques et fondamentaux de l’abattage rituel halal". Recteur de la mosquée de Villeurbanne, Azzedine Gaci a relayé le message de ses homologues sur Twitter en posant la question suivante : "Bientôt la fin du halal en France ?". Visiblement émus, les responsables religieux semblent pourtant tirer la sonnette d'alarme un peu vite puisque ces dispositions ne remettent pas en cause l'abatage rituel des volailles dans l'Hexagone.
Bientôt la fin du halal en France? pic.twitter.com/hET4RrJPlB — GACI Azzedine (@azzedine_gaci) March 18, 2021
Une méthode controversée
Pour comprendre les enjeux du texte, il convient tout d'abord de l'étudier en détails. L'instruction à laquelle se réfère le communiqué se présente comme un document qui "détaille les différentes pratiques de mise à mort des volailles au sein des établissements d'abattage". Il précise par ailleurs "les modalités du contrôle officiel conformément au règlement (CE) n°1099/2009 et au règlement (UE) n°2017/625", et présente "les attendus concernant les différents types d'abattage en lien avec la mise en œuvre de la dérogation à l'obligation d'étourdissement".
L'abatage est une activité très encadrée, et les textes précisent que "toute douleur, détresse ou souffrance évitable
doivent être épargnées aux animaux". Ce qui se traduit par l'utilisation d'outils d’immobilisation et de méthodes
d’étourdissement. En France, le procédé le plus courant pour l'abatage des volailles est appelée électronarcose. Il s'agit de plonger l’animal dans un bain électrique, ce qui provoque sa perte de conscience. Une technique qui entraîne généralement la mort des volailles et qui se révèle donc incompatible avec les règles régissant l'abattage rituel. Celui-ci prévoit (entre autres) que la bête doit être vivante au moment de la mise à mort, tandis que le personnel de l'abattoir garantit la qualité de la saignée de l'animal.
Pour prendre en compte les spécificités liées à l'abatage rituel (halal ou casher), des dérogations sont prévues par la loi. Elles permettent de ne pas avoir recours à l'électronarcose et prévoient une mise à mort sans étourdissement, à condition toutefois de garantir le maintien de l'animal dans ces conditions précises, par le biais notamment de "cônes de contention", dans des chaînes d'abatages spécifiquement prévues à cet effet. Une alternative moins couteuse s'avère pour autant souvent privilégiée : celle d'une électronarcose "moins violente", qui permet en théorie d'éviter la mort instantanée de la volaille.
C'est précisément cette méthode alternative qui devrait disparaître en juillet prochain, et qui est visée par l'instruction du ministère. Un texte salué par l'Union Française des Consommateurs Musulmans (UFCM), qui a qualifié dans un communiqué l'électronarcose atténuée de "procédé d’abattage est doublement incohérent", évoquant des "compromissions qui bafouent notre éthique". L'organisation note que "d’un côté, au niveau du respect du halal, une basse intensité ne garantit aucunement que les volailles ne meurent pas par électrocution", tandis que "d’un autre côté, au niveau de la maltraitance animale, une basse intensité peut ne pas étourdir les volailles", qui "subiront alors une souffrance inutile tout au long de la chaîne d’abattage".
Le ministère ne défend pas d'interdiction
L'UFCM estime que désormais, "les organismes de certification et les industriels" vont devoir "choisir leur camp". C’est-à-dire opter pour une électronarcose "classique" ou recourir à des procédés d'abatage qui permettent de respecter les règles rituelles, tout en garantissant les principes édictés en matière de bien-être animal. "Un vrai casse-tête technique et réglementaire que vivent les organismes sérieux depuis toujours", reconnaît l'UFCM, qui assure en passant que "ce nouveau texte que le ministère impose actuellement ne changera rien aux petits industriels et aux organismes de certification", habitués à pratiquer un abatage rituel sans électronarcose.
"Pour les organismes de certification qui cherchaient encore à ménager la chèvre et le chou en pratiquant un pseudo halal sur la volaille avec une électronarcose atténuée : c’est une vraie catastrophe et ils devront s’attacher à un respect plus rigoureux et plus exigeant de la norme halal", résume l'UFCM dans son communiqué, vantant un texte qui "apporte de la clarté". En conclusion, "il sera bien possible de pratiquer l’abattage rituel après juillet 2021 selon cette directive", analyse l'organisation.
Le ministère de l'Agriculture, mis en cause dans le communiqué des recteurs, a réagi ce mercredi. Il indique que "l’instruction technique de la Direction Générale de l’Alimentation de novembre 2020 est venue préciser les modalités de contrôles applicables à tous les types d’abattage de volailles (conventionnel et rituel) et à toutes les méthodes d’étourdissement, sans modifier les principes réglementaires, qui n’ont pas changé". Dès lors, "cette instruction technique n’a [...] aucunement remis en cause la possibilité de pratiquer l’abattage rituel pour les structures qui se conformaient aux règles déjà existantes".
Si l'abatage rituel est - et restera - autorisé en France, les conditions dans lesquels il bénéficie de dérogations sont amenées à devenir plus strictes. La tolérance qui existait jusqu'à présent pour le recours à une électronarcose atténuée est clairement remise en cause, si bien que pour continuer à proposer une viande de volaille certifiée halal, certains industriels devront faire évoluer leurs modes de fonctionnement. Des investissements potentiels, mais qui ne sont en aucun cas synonymes d'une interdiction des abatages rituels, qui restent soumis aux mêmes régimes dérogatoires. La position des autorités, clame le ministère, demeure "inchangée".
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