A LA LOUPE - Une vidéo choc montrant l'abattage d'un bovin est utilisée sur les réseaux sociaux pour dénoncer l'abattage selon le rite islamique. L'essayiste Laurent Alexandre, qui l'a partagée, affirme qu'"en Île-de-France, il n'y a plus le choix : 100% des abattoirs sont halal". Une fausse information.
Les images sont particulièrement dures. On y voit des bovins entrer un à un dans une pièce, être immobilisés et positionnés à la renverse à l'aide d'une machine, puis être égorgés par des hommes tout de blanc vêtus, casques vissés sur la tête. Du sang en grande quantité est visible sur le sol. A l'heure où nous écrivons ces lignes, la vidéo a été vue plus de 292.000 fois sur Twitter.
Pour Laurent Alexandre, qui l'a relayée son compte, elle est la preuve que "l'abattage rituel sans assommer les animaux" est cruel. Il assure qu'"en Île-de-France, il n'y a plus le choix : 100% des abattoirs sont halal".
L’abattage rituel sans assommer les animaux : c’est hard. En Île de France il n’y a plus le choix: 100 % des abattoirs sont halal. pic.twitter.com/7elqjndIbU — Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) November 27, 2019
Volontiers provocateur, l'essayiste se trompe à deux niveaux : la vidéo n'a pas été prise dans un abattoir français, ni même de l'Union européenne. Et les abattoirs franciliens, qui représentent une infime proportion de la production nationale, réalisent des abattages traditionnels, en plus des abattages rituels.
Un abattage qui ne répond pas aux normes françaises
Revenons d'abord sur la vidéo. L'interprofessionnelle de la filière bétail et viande, Interbev, nous indique qu'elle n'a pas pu être tournée dans l'Hexagone. "D’une part, parce que les animaux abattus sont de race zébu, une race qui n’est pas élevée en France métropolitaine", souligne la porte-parole. Ces animaux sont reconnaissables à sa bosse graisseuse au niveau du garrot.
"D’autre part, parce que la réglementation européenne, quel que soit le type d’abattage, impose la contention du corps et de la tête", ce que l'on n'observe pas sur les images, poursuit-elle. "De plus, l’animal ne peut en aucun cas être libéré du piège tant qu’il présente des signes de conscience", ajoute Interbev.
"Dans le cas d'un abattage sans étourdissement, l'immobilisation des animaux des espèces bovine, ovine et caprine est assurée au moyen d'un procédé mécanique appliqué préalablement à l'abattage et est maintenue jusqu'à la perte de conscience de l'animal", indique en effet la loi.
Des pratiques particulièrement encadrées
L’abattage rituel est "particulièrement encadrée dans un objectif de protection des animaux", rappelle également le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Il "doit ainsi nécessairement être effectué dans un abattoir agréé, après immobilisation de l’animal, en respectant l’ensemble des mesures en matière de bien-être animal prévues par les réglementations nationales et européennes".
Il convient de rappeler que l’étourdissement des animaux destinés à la consommation humaine reste la norme au sein de l'Union européenne. C'est pour assurer le respect d'exercice des cultes, qu'une dérogation à cette obligation peut être délivrée, que ce soit pour la viande halal mais aussi casher.
A l'origine, une vidéo pour dénoncer la cruauté animale
Mais alors d'où viennent ces images ? Laurent Alexandre reprend dans son tweet une vidéo postée initialement par Gemma O'Doherty, une ancienne journaliste irlandaise, connue pour ses positions anti-migrants.
Well done to all of the #FFFGFO and #fakenewsshills who are rejoicing in the growth of halal in #Ireland . The barbarian in you is always close to the surface. ACI will ban it and will close many mosques around the country. #Ireland is hotbed of radical Islam #VoteGemma2019 🇮🇪 pic.twitter.com/MKctCwrlpO — Gemma O'Doherty (@gemmaod1) November 26, 2019
Là encore l'objectif est d'accuser la population musulmane. Elle propose d'ailleurs d'interdire l'abattage rituel et de "fermer de nombreuses mosquées à travers le pays". Cette rhétorique n'est pas nouvelle. Elle a ainsi déjà été utilisée, avec cette même vidéo comme argument, en Allemagne en 2016.
Mais cette vidéo est aussi un outil de dénonciation utilisée par les défenseurs des animaux. En février dernier, elle était postée par Rob Whitehall, un fervent défenseur du véganisme britannique. Il l'avait déjà relayé en 2018.
En 2017, changement de continent, elle sert à dénoncer la cruauté animale en Chine (tweet ci-dessous). Une internaute situe la scène dans la province de Changchun Jilin, dans le nord-est du pays du milieu. En 2016, on la retrouve sur Youtube. Cette fois, l'on assure que l'abattoir se trouve à 30 km d'Hyderabad, dans le centre de l'Inde.
Changchun Jilin province #China A window into slaughterhouse of COWS DONKEYS & HORSES CHINA HAS NO #ANIMALCRUELTY LAWS #NOHUMANESLAUGHTER pic.twitter.com/ZB4QkDpCY6 — Sally Madigan (@moodysally1) August 17, 2017
La première occurrence que nous avons pu trouver remonte à 2015 (lien Youtube ci-dessous). Nous sommes cette fois en Argentine. Là encore, il n'est pas question de religion mais du bien-être animal.
Le cas francilien évoqué (à tort) dès 2012
L'accusation d'une production de viande exclusivement halal en Île-de-France est elle aussi une reprise. Déjà en 2012, Marine Le Pen affirmait que tous les abattoirs "sans exception" vendaient de la viande halal dans la région et que les consommateurs franciliens étaient susceptibles d'en manger à leur insu. A l'époque, le gouvernement avait démenti cette information.
La situation n'est pas bien différente aujourd'hui. Premier élément, on compte dans les Yvelines, à Houdan, un abattoir de porcs, une viande qui n'est consommée ni par les musulmans ni par les juifs, également concernés par l'abattage rituel. En dehors des abattoirs de volaille et de petit gibier à plumes, on compte trois autres structures en Île-de-France : les abattoirs de Jossigny et de Meaux qui bénéficient d'un agrément pour les bovins ou encore les moutons, ainsi que celui d'Ezanville qui se limite aux petits ruminants, caprins et ovins. Les trois établissements possèdent un agrément pour l'abattage rituel, nous indique Interbev.
Pour autant, "le fait de disposer d'une autorisation n'implique nullement que 100% des animaux abattus le soient sans étourdissement, tient à souligner le ministère de l'Agriculture. Une dérogation à l'obligation d'étourdissement "ne doit être utilisée qu'exclusivement pour les animaux commandés par les clients exigeant des méthodes cultuelles (musulman ou juif), nous explique-t-il. Les animaux non concernés par ces commandes sont donc étourdis avant la saignée." La réglementation impose d'ailleurs depuis 2011 la mise en place d'un "système d'enregistrements (...) permettant de vérifier que l'usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales qui le nécessitent".
Concernant la volaille et le petit gibier, comme les lapins, on dénombre 28 abattoirs dans la région, selon le ministère de l'Agriculture. Entre 13 et 17 posséderaient la dérogation. Au moins 11 réalisent donc exclusivement des abattages avec étourdissement.
Le halal et le casher, une faible part de la production française
Les professionnels du secteur rappellent enfin que l'activité des abattoirs d’Île-de-France ne représente qu'une infime partie de la production française. "Les abattoirs se situent principalement sur les lieux d'élevage", souligne un porte-parole de Culture viande, le syndicat de la viande. Ainsi, l’abattage de gros bovins et de veaux en Île-de-France ne représentait en 2018 que "0,09% du volume total d’abattage national", selon Interbev.
Au niveau national, l’abattage sans étourdissement préalable (halal et casher) concerne 15% des bovins et 27% des ovins.
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