Victimes de pédophilie : pourquoi faut-il tant d'années pour que la parole se libère ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 13 avril 2016 à 20h30
Victimes de pédophilie : pourquoi faut-il tant d'années pour que la parole se libère ?

TEMOIGNAGE - Alors que le scandale de pédophilie dans le diocèse de Lyon secoue l'Eglise, d'autres témoignages, pas forcément liés, se font jour, souvent des années après les faits. Pourquoi les victimes mettent-elles parfois si longtemps à parler ? François Devaux, un des fondateurs du collectif La Parole libérée, qui fédère les victimes de prêtres pédophiles dans le diocèse de Lyon, livre ses explications.

Il a la parole rare, rageuse. Contenue, énervée. Les phrases sortent d'une traite. Un silence, puis celle d'après. François court, toujours entre deux rendez-vous, raccroche, rappelle dix minutes plus tard, toujours en courant. Depuis 4 mois, il n'arrête pas. 

François Devaux est l'un des membres fondateurs de la Parole libérée, association qui fédère les victimes de prêtres pédophiles, notamment celles qui affirment avoir été abusées par le père Bernard Preynat, responsable scout de 1970 à 1991 dans le diocèse de Lyon. Le collectif a été créé en décembre dernier. Le site Internet se veut un espace pour briser l'omerta. Secouer ce silence. Erafler ce mur. Depuis 4 mois, les témoignages, les mails, les récits, abondent sur cette plateforme qui est peu à peu devenue une porte ouverte pour les victimes de prêtres pédophiles.

"Être une victime, c'est être un boulet. La victime dérange"

Les agressions datent d'il y a plus d'un quart de siècle parfois. Mais la parole ressort aujourd'hui. La Parole libérée recense pour l'instant 69 victimes des agissements du père Preynat. François Devaux, la quarantaine aujourd'hui, a été une de ses victimes entre l’âge de 9 et 12 ans. Il l'a dit à ses parents. C'est aussi lui qui a contacté le diocèse de Lyon, en juillet 2014, pour dénoncer le prêtre . Mais il sait que pour la plupart des victimes, il est dur de parler. C'est pour cette raison, qui peut étonner, que les faits ne ressortent que des années après. Pourquoi si tard, parfois trop tard, quand les faits sont prescrits ?

"Être une victime, c'est être un boulet. La victime dérange", explque François Deveaux, contacté par metronews.. "Il y a aussi souvent la culpabilité, l'impression d'avoir fauté." Parfois aussi, la victime reste dans le déni, traumatisée, perturbée dans sa sexualité, parfois paranoïaque.

"Certaines victimes l'ont dit à leurs parents et se sont fait gifler"

"Je pense que l'innocence d'un enfant, sa construction s'arrêtent à ce moment-là. Après, on essaie de se reconstruire", dit François Deveaux."Mais tout un équilibre est ébranlé, qui engendre chez les victimes une perte totale de confiance en soi." A cela s'ajoute "la honte de pouvoir avoir été victime" : "Quand on est un homme dans notre société, pouvoir s'afficher comme étant faible, est quelque chose de douloureux, il faut le porter."

Souvent aussi, les conséquences de cette "parole libérée" peuvent faire peur. "La pédophilie est un véritable tabou dans la société, qui plus est dans l'Eglise", estime notre interlocuteur. "Quand la pédophilie est pratiquée au sein d'une famille, qu'elle prend la forme de l'inceste, ça ébranle toute une famille. Au sein de l'Eglise, c'est pareil : nous sommes les enfants de cette Eglise. Si nous sommes entrés dans les scouts, c'est parce que nos parents nous y ont mis, qu'ils avaient confiance dans cette structure." François, lui, avait parlé tout de suite, et ses parents l'ont soutenu. Pour d'autres, le sujet est resté clos. "Certaines victimes l'ont dit à leurs parents et se sont fait gifler. Pour d'autres, leurs parents n'ont pas réagi et remis leurs enfants en contact avec le prêtre accusé..."

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Sibylle LAURENT

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