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"Ça peut partir en insultes" : pourquoi une telle agressivité au volant ?

par La rédaction de TF1info Alexandra Viera et Christelle Arfel
Publié le 2 février 2023 à 18h31

Source : JT 13h Semaine

Selon une étude, de plus en plus de Français cèdent à la "rage au volant".
Pourquoi notre double maléfique s'empare-t-il parfois de nous lorsque nous conduisons une voiture ?
Explications avec des psychologues.

Un geste déplacé ou une queue de poisson : les disputes sur les routes peuvent parfois devenir des faits divers, et pas seulement aux États-Unis. Fin janvier, une octogénaire était interpellée dans le Nord, après avoir heurté et roulé sur le corps d'une automobiliste lors d'un différend routier, mise en examen pour meurtre et placée sous contrôle judiciaire. Selon une source policière, la suspecte avait dans un premier temps refusé d'établir un constat, après avoir accroché en sortant d'une place de parking à Ronchin, dans la métropole lilloise, la voiture garée de la victime. Cette dernière s'est alors placée devant son véhicule, mais l'octogénaire a démarré, la projetant sur son capot puis à terre, avant de lui rouler dessus en prenant la fuite, selon la même source. Cette première est décédée sur place des suites de ses blessures, les secours ayant échoué à la ranimer. 

Un fait divers tragique né de l'agressivité au volant, ce que les Américains appellent la "road rage", soit la "rage du volant" en français, celle qui transforme en double maléfique au volant d'une voiture. Une rage croissante, si l'on en croit certaines études. Près de deux automobilistes sur trois reconnaissent qu’il leur arrive d’injurier les autres conducteurs (davantage que les autres Européens), et 88 % admettent avoir déjà eu peur du comportement agressif des autres usagers de la route, selon un sondage Ipsos pour la société Vinci Autoroutes. En hausse de 4 points par rapport à l’édition précédente. Mais pourquoi une telle agressivité ?

Une trop grande tolérance de la violence en voiture ?

Interrogé par nos soins en 2018, Jean-Pascal Assailly, psychologue, chercheur à l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux) et expert pour le CNSR (Conseil national de la sécurité routière), confirmait une "dissociation" quand on passe derrière un volant. "Pour la grande majorité des gens, les comportements sur la route diffèrent du comportement dans la vie", expliquait le chercheur. "Ils se permettent de faire des choses qu’ils ne feraient pas dans la vraie vie, dans la rue, sur les pistes de ski. Sur la route, on prend tous les risques, alors qu'on est prudent par rapport à son taux de cholestérol ou son compte bancaire."

La voiture est par ailleurs "l’un des derniers endroits où l’on peut se permettre d’être violent sans que cela soit perçu comme tel", ajoutait le chercheur. "Quand on voit un règlement de compte dans la rue, cela nous touche, nous émeut, on supporte mal cette violence. Parfois, on demande aux politiques de s’emparer du sujet. Mais en voiture, si quelqu’un vous colle, la sécurité routière aura un discours technicien, dira que c’est un non-respect des distances de sécurité." 

Même réflexion pour le psychologue Sébastien Garnero, contacté par TF1info : "L'automobiliste ne mesure pas les conséquences et le risque de dangerosité pour autrui, se sentant dans son véhicule personnel : confortable, protégé, et sécurisé, comme s’il vivait une expérience irréelle ou de virtualité", dit-il. 

C'est la fin de la journée, je n'en peux plus, je veux débaucher. Effectivement, ça peut partir en insultes à des moments.
Un automobiliste interrogé

Mais d'où vient ce manque de patience ? Les conducteurs sollicités dans le reportage de TF1 en tête de cet article pointent du doigt "les gens qui n'avancent pas", "ceux qui ne savent pas conduire" ou encore "ceux qui ne mettent pas le clignotant". Une personne interrogée est encore plus franche du collier : c'est la "fin de la journée, je n'en peux plus, je veux débaucher. Effectivement, ça peut partir en insultes à des moments", confesse-t-il. 

Selon le sociologue Ronan Chastellier, interrogé en accompagnement du sondage OpinionWay, "les temps d'attente sont tous ces moments marqués du signe du temps perdu, du piétinement, ces moments où le temps nous échappe, où l'on est bloqué, comme englué". Carlo Rovelli, physicien théorique, auteur de L'ordre du temps (Flammarion, 2018), nous le confirme lui aussi : "La vraie raison de nos impatiences n'est pas tant la quantité de choses que nous accumulons que ce temps vide, ce temps perdu qui nous effraye. Ce temps vide nous effraye parce que le passage du temps, qui nous enlève tout, nous effraye". 

Relativiser cette impuissance à agir sur le chaos qui nous entoure pourrait bien être l'une des clés. Mais n'est-il pas normal, à l'heure de l'hyper productivité et des sollicitations permanentes, d'être de moins en moins résistants face aux situations engluées ? Et en réaction à nos sentiments exacerbés, quelle solution ? Prendre son mal en patience, comme le suggère un automobiliste interrogé par TF1 : "Je suis retraité. Mon secret, c'est de rester cool. Je prends mon temps". Pour celles et ceux qui ne le sont pas encore, il faudra a priori attendre un peu plus longtemps pour pouvoir vérifier si ça fonctionne...


La rédaction de TF1info Alexandra Viera et Christelle Arfel

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