Baguette à 29 centimes : pourquoi l'opération commerciale de Leclerc suscite un tel tollé

ML | Chronique vidéo TF1 T. Jarrion
Publié le 13 janvier 2022 à 18h37, mis à jour le 14 janvier 2022 à 0h08

Source : JT 20h Semaine

POLÉMIQUE - L’enseigne a annoncé vendre une baguette à 29 centimes pendant quatre mois pour, assure-t-elle, préserver le pouvoir d’achat des Français. Mais elle est accusée de faire un coup marketing aux lourdes répercussions.

À peine l’annonce faite par la grande chaîne de distribution, la levée de boucliers ne s’est pas fait attendre : l'ensemble de la filière du blé a fustigé mercredi 12 janvier la mise à la vente par le groupe Leclerc d'une baguette de pain à 0,29 euro, dénonçant une campagne "démagogique et destructrice de valeurs". Michel-Edouard Leclerc avait déclaré mardi qu'il bloquait le prix de la baguette de pain dans les supermarchés du groupe à 29 centimes d'euro - voire jusqu'à 23 centimes dans certains magasins - pendant au moins quatre mois, affirmant vouloir défendre le pouvoir d'achat des Français, tandis que l’inflation ne cesse de grimper. 

Loin de ces ambitions affichées, céréaliers, meuniers et boulangers y voient plutôt un coup marketing. Ces professionnels ont critiqué dans un communiqué commun, aux côtés de la FNSEA, premier syndicat agricole, "des prix volontairement destructeurs de valeurs" et une démarche "démagogique" selon eux. Ils accusent l’enseigne de miser sur cette casse des prix pour attirer la clientèle au détriment des coûts de production, alors que les prix du blé ont augmenté d'environ 30% en un an et que le contexte est particulièrement tendu, à l'heure des négociations annuelles entre producteurs et distributeurs. 

Pas de vente à perte mais un choix commercial stratégique

Un argument repris par plusieurs candidats à la présidentielle. "C'est extrêmement dangereux parce qu'on sait bien que les centres Leclerc vont se rattraper sur le reste du caddie", en vendant ensuite "des produits qui seront plus chers et donc ils se rattraperont ils feront leur marge ailleurs", a fustigé la candidate LR Valérie Pécresse ce jeudi lors d’un déplacement auprès d’agriculteurs dans le Doubs, rapporte BFM. "C'est à l'évidence une vente à perte" qui provoquera "la ruine des boulangers et pâtissiers qui eux ne peuvent faire autrement que répercuter dans le prix les augmentations de l'énergie", a affirmé quant à lui le chef de file de LFI Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée Nationale. 

En réalité, l’entreprise ne peut pas vendre à perte, car vendre un produit moins cher qu’on ne l’a acheté est interdit par la loi. S’il existe quelques exceptions à cette règle, l’opération de l’enseigne n'en fait pas partie. La vente à perte est autorisée uniquement en cas de liquidation à prix cassés des stocks d’un magasin qui ferme, pour les produits qui vont bientôt se périmer, ou encore dans le cadre de soldes, organisées deux fois par an et dont celles d’hiver ont commencé mercredi, détaille le journaliste Thomas Jarrion dans la vidéo du 13H de TF1 en tête d’article. 

Leclerc pourrait en revanche vendre ces baguettes à prix coûtant, c’est-à-dire sans dégager aucune marge, ce qui est autorisé par la loi. Un choix stratégique également adopté récemment par les grandes chaînes au sujet du carburant, mais aussi de masques et d’autotests. L’objectif est d’attirer les clients dans une enseigne, en les incitant à acheter une fois sur place d’autres produits, pour lesquels des marges classiques sont appliquées. Selon l’Observatoire des prix de l’association de consommateurs Familles Rurales, le panier moyen des Français grimpe à 140 euros en grande surface. "Le vendeur reste gagnant", analyse Thomas Jarrion. 

Des dépenses pourtant incompressibles

Par ailleurs, il semble difficile pour l’enseigne de tenir ces prix tout en proposant une baguette de qualité, tandis que les coûts de production ne cessent de flamber : le prix de la tonne de blé est passé de 210 euros en août 2018 à 273 euros en janvier 2021, indique le journaliste économique de LCI Pascal Perri dans la vidéo ci-dessous. Par ailleurs, sur les 90 centimes d’euro que coûte en moyenne une baguette selon l’INSEE, environ 60% du prix est reversé en salaire et cotisations sociales des boulangers, tandis que 20% de la somme est allouée au paiement des matières premières, d’après un sondage Ifop. "Vous ne pouvez pas faire de miracle, il n’y a pas de baguette magique", s’agace le chroniqueur. 

La baguette à 0,29€ de Leclerc fait polémiqueSource : TF1 Info

"C’est très généreux en apparence mais en réalité, cela percute les règles de l’économie. Le prix est un indicateur de valeur : lorsque vous l’écrasez, vous envoyez un mauvais signal au consommateur, comme si votre produit ne valait rien", poursuit-il. "Le savoir-faire et la qualité de la baguette française sont en passe d'être reconnus par l'UNESCO", rappelle pourtant la FNSEA dans son communiqué.

La concurrence est ainsi impitoyable pour les boulangers, qui font face quant à eux à une avalanche de dépenses. "Nous, on vend la baguette un euro, et il nous reste 15 à 20 centimes une fois que l'on a payé le boulanger, l'énergie, la matière première qui augmente, les vendeuses, le loyer, etc", liste dans le reportage du 13H de TF1 ci-dessous Clément Buisson, artisan boulanger parisien. "Quand on voit que Leclerc va vendre une baguette 29 centimes, c'est aberrant", tance-t-il. 

La baguette à 29 centimes de Leclerc provoque la colère des boulangersSource : JT 13h Semaine

Les producteurs craignent pour leur part que leur rémunération ne pâtisse de cette décision, qui dévaloriserait leur travail. "La loi EGalim avait pour vocation d'assurer une rémunération juste auprès des producteurs, mais je ne vois pas comment Leclerc pourra continuer de la respecter", déplore dans le reportage Sébastien Dromigny, céréalier de Seine-et-Marne. 

"Leclerc est le champion des prix cassés, il est responsable de nombreuses faillites chez les fournisseurs d'alimentation qui font les produits de qualité française, c'est inadmissible", a réagi de son côté ce jeudi sur RTL Christiane Lambert, patronne de la FNSEA, estimant que Michel-Edouard Leclerc est "habitué au populisme et à la démagogie" et qu'il "adore ça".

"Cette polémique est nulle", attaque Michel-Edouard Leclerc

La direction de l'enseigne ne fait pourtant pas marche arrière, au contraire. "E.Leclerc revendique de pouvoir faire baisser ses marges en cette période de surchauffe", a répondu sur Twitter Michel-Edouard Leclerc ce jeudi, arguant que ses magasins proposaient déjà une baguette 1er prix dont le prix "oscille entre 0.24 et 0.32€". "Cette polémique est nulle", a-t-il lâché, assurant que l’opération "est plébiscitée par les consommateurs" et fustigeant ses détracteurs qui selon lui "vivent sur une autre planète", à l’heure d’une inflation galopante. 

 

Le président du groupe a par ailleurs tenté de rassurer les producteurs : "Aux agriculteurs qui s'inquiètent je leur dis que même avec 30% de hausse du prix du blé, l'impact n'est que de 1 centime sur le prix final", a-t-il affirmé.

Un peu plus tôt, l'enseigne assurait auprès du Figaro que "la décision de proposer à ses clients une baguette à 29 centimes n'a aucune répercussion sur le prix d'achat des matières premières (...) et celle-ci est 100 % financée par les magasins, qui prennent sur leurs marges pour proposer ce prix". "En aucun cas cette action n'a un lien ou un impact sur les prix d'achat aux fournisseurs", a martelé la chaîne de grande distribution.


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