ENQUÊTE - Bordelais : que deviennent les châteaux achetés par des Chinois ?

par La rédaction de TF1info | Reportage Erwan Braem et Nicolas Forestier
Publié le 27 janvier 2023 à 12h51

Source : JT 20h Semaine

Dans les années 2010, des milliardaires chinois ont racheté près de 200 domaines bordelais.
Mais depuis quelques mois, ces oligarques n'ont plus le droit de quitter leur pays et doivent se débarrasser de ces châteaux devenus encombrants.
Le 20H de TF1 a mené l'enquête.

L'aventure chinoise dans les vins de Bordeaux a commencé au début des années 2010, avec un nombre considérable de propriétés achetées par des investisseurs venus de Chine, où le marché du vin connaissait un boom sans précédent. "Après les Britanniques, les Néerlandais, les Japonais, ce n'est pas une surprise que les Chinois arrivent aujourd'hui, c'est dans la nature des choses", expliquait en 2014 à l'AFP Georges Haushalter, président du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB).

Une tendance qui s'appuyait sur un véritable engouement des Chinois pour les vins de Bordeaux. Les exportations en Chine avaient connu un bond phénoménal en 2010 (+98%), et le tandem Chine-Hong Kong était devenu le premier client des vins de Bordeaux en valeur, avec un total de 333 millions d'euros. Au final, depuis une dizaine d'années, près de 200 domaines et châteaux ont été rachetés par de riches Chinois. Ils promettaient de grands projets et des investissements, mais désormais, certains vignobles sont laissés à l'abandon, et même mis à la vente. 

Si on n'était pas content, on pouvait partir
Hélène Pauly, ancienne salariée d'un château chinois

L'histoire d'Hélène Pauly, que TF1 vous raconte dans le reportage en tête de cet article, est celle d'une désillusion. À 61 ans, elle regarde avec amertume ces dernières années au service d'un investisseur chinois. Responsable administrative d'un vignoble pendant neuf ans, elle n'aurait jamais imaginé finir sa carrière devant les Prud'hommes pour récupérer son salaire : "Il n'y avait aucune communication un peu empathique pour s'excuser : en Chine, c'était comme ça et si on n'était pas content, on pouvait partir", témoigne-t-elle. 

À l'arrivée, trois ans de batailles devant le tribunal ont été nécessaires, avec le soutien de la CFDT, pour obtenir la résiliation du contrat de travail. Au bout du compte, Hélène Pauly et ses collègues ont obtenu justice, mais les huissiers ont dû saisir des stocks de vin pour assurer les salaires n'ayant pas été payés en totalité : "Les cotisations n'étaient pas payées, les différentes taxes non plus... Comment on peut laisser trainer les choses comme ça ?", interroge-t-elle.

Des domaines "laissés à l'abandon"

Dans le château où Hélène travaillait, les vignes restent entretenues, mais le propriétaire ne produit plus de vin sous son nom. Il n'y a pas mis les pieds depuis le début du Covid. Le bâtiment reste alors inoccupé. Sur les autres châteaux rachetés par les investisseurs chinois, certains se révèlent en état de délabrement, voire à l'abandon, à l'aune du domaine viticole surnommé "le château de la belle aux bois dormants" que montre le reportage de TF1 : il est devenu depuis un site pour explorateurs de ruines. 

"Racheté en 2014", il a été très rapidement "laissé en abandon", explique la maire de Saint-Caprais-de-Bordeaux. Ce domaine, ainsi que 9 autres du même propriétaire, ont été saisis par la justice française, qui enquête sur des détournements d'argent chinois.

Des réussites, malgré tout

Interdiction de sortir des devises de Chine, fermeture des frontières... Plusieurs propriétaires chinois ont ainsi tourné le dos à leur investissement en France. Un tiers des châteaux chinois, une cinquantaine, sont aujourd'hui à vendre, parfois à prix cassé. 

D'où cette question : existe-t-il malgré tout des success story de Chine dans le vignoble bordelais ? Parfois, oui, la greffe a très bien pris, à l'instar de l'aventure de Jean-Baptiste Soula, PDG de Bordeaux Vineam – un des plus grands producteurs de vin biologique en Aquitaine, qui dirige six propriétés cultivées en bio (270 hectares en tout), dont les propriétaires sont des Chinois de Hong Kong, la famille You, très engagée en faveur des pratiques environnementales les plus respectueuses, et spécialisée dans la médecine par les plantes. "Cette famille a une vision résolument tournée vers la nature et le bio", souligne-t-il dans notre enquête. Le groupe produit désormais un million de bouteilles par an, dont la moitié part sur le marché chinois. 

Si un château chinois sur trois est à l'arrêt, la proportion de viticulteurs français en difficulté n'en reste pas moins exactement au même point : la filière viticole connait un passage à vide dans l'Hexagone. La chute de l'export vers la Chine, les taxes américaines, la baisse de la consommation en France, la hausse des coûts de production et la mauvaise réputation des vins de Bordeaux sont autant de griefs mis en avant pour expliquer la crise actuelle subie par le secteur.


La rédaction de TF1info | Reportage Erwan Braem et Nicolas Forestier

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