"Déconjugalisation" de l'allocation adultes handicapés : le débat explosif loin d’être clos

Publié le 8 juillet 2021 à 12h55, mis à jour le 8 juillet 2021 à 13h14

Source : JT 13h Semaine

AIDE D'ÉTAT - Le gouvernement a provoqué un tollé en bloquant la "déconjugalisation" de l'allocation aux adultes handicapés. L’opposition et les associations ne comptent rien lâcher. La proposition de loi devrait revenir à l’automne.

C'est une réforme que le gouvernement a tenté d'enterrer, mais qui devrait refaire parler d'elle cet automne. Il s'agit de mettre fin à la "conjugalisation" de l'allocation attribuée aux personnes handicapées afin que les revenus d'un éventuel conjoint ne rentrent pas en compte dans le calcul de son montant. 

Le témoignage de William et Catherine est représentatif de cette situation. Ils s’aiment, sont mariés depuis quarante ans, mais annoncent qu’ils vont divorcer. Le salaire de 1600 euros de Catherine est trop important pour que William touche l’intégralité de l’allocation adultes handicapés,  comme vous pouvez le voir dans le reportage de TF1 en tête de cet article.

"C’est un cas un peu extrême, mais on a par contre des remontés de personnes qui cachent leur vie de couple ou qui renoncent à vivre ensemble", nous assure Carole Sareles, conseillère nationale sur les questions de "Ressources" à l’association APF France Handicap. 

Montant lié au revenu du conjoint

Si de telles situations se présentent, c’est que le revenu du ou de la partenaire rentre en compte lors du calcul de cette allocation destinée à compenser l’incapacité de travailler des personnes handicapées. D’un montant maximal de 904 euros mensuels, elle est versée sur des critères médicaux et sociaux. 

Or, pour les associations de défense des personnes en situation de handicap, cette "conjugalisation" de l’allocation est susceptible de créer d’insupportables situations de dépendance. "Il y a déjà parfois une situation de dépendance dans l'organisation de leur vie, de leurs besoins liés à la situation de handicap, ça crée une double dépendance", constate ainsi Carole Sareles.

Le consensus de l'opposition

Retour sur un imbroglio législatif. En février 2020, le débat s’invite chez les parlementaires. L’Assemblée nationale adopte alors, en première lecture, une proposition de loi destinée à la "déconjugalisation" de cette allocation. Après un examen en commission au Sénat, elle passe le 9 mars 2021 devant cette chambre. 

Au départ, "on n'était pas forcément bienveillant par rapport à ce sujet", nous explique le rapporteur du texte au Sénat, Philippe Mouiller, en évoquant les positions de son parti, Les Républicains. "Mais on a pu se rendre compte à travers les nombreux cas qui nous ont été remontés de la nécessité de cette réforme", ajoute-t-il. Le texte est effectivement adopté à quasi l’unanimité au Sénat. 

Mais à son retour à l’Assemblée nationale, les discussions sont plus âpres. Malgré le consensus de l’opposition et d’une partie de la majorité, la proposition est modifiée afin d'en exclure la notion de "déconjugalisation". Cette nouvelle version est votée telle quelle, le gouvernement recourant au vote bloqué. "Un déni de démocratie" pour les associations. 

"La société est mûre pour cette réforme", affirme le Sénateur, "la mobilisation transpartisane le montre. La résistance du Gouvernement à cette avancée est difficilement compréhensible." Le 10 septembre 2020, une pétition citoyenne à ce sujet avait été déposée sur la plate-forme dédiée du Sénat. Elle est alors la première de la plateforme à recueillir plus de 100.000 signatures, montrant une certaine mobilisation de la société civile.

L'opposition du gouvernement

Mais le gouvernement n'en démord pas. Dans l’entourage de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, on s’étonne d’un tel consensus politique. "C’est à se demander pourquoi le PS qui était au pouvoir il y a quatre ans ne l’a pas fait durant le quinquennat et pourquoi aussi la droite, qui pointe toujours la mauvaise gestion des deniers publics, est prête soudainement à ouvrir les vannes jusqu’à 20 milliards [d’euros]…", pointe son cabinet. 

Pour Philippe Mouiller, le coût de cette réforme est plutôt estimé à 11 milliards d’euros. "Cela représente un coût conséquent, c’est vrai, mais on répond à un principe général d’autonomie et d’inclusion des personnes en situation de handicap", affirme-t-il. 

Plutôt qu'une "individualisation" de l'allocation, le gouvernement propose un nouveau mode de calcul, qui sera mis en place dès le 1er janvier 2022. Actuellement, un abattement de 20% est appliqué sur les revenus du conjoint. Ce nouveau mode de calcul propose de le remplacer par un abattement fixe de 5000 euros. Selon le gouvernement, cette nouvelle manière de déterminer le montant de l'AAH ne fera "aucun perdant" et permettra à 120.000 couples modestes de toucher 110 euros de plus par mois.

Le passage de cette réforme le 17 juin n’a cependant pas enterré le sujet de la "déconjugalisation". Depuis, dans une rare unité, personnes handicapées, associations et personnalités politiques d'opposition ont continué de se mobiliser. Au point que le sujet s’est invité au Comité interministériel sur le handicap (CIH) qui s'est tenu lundi 6 juillet. 

"La colère ne faiblit pas"

"La colère des personnes en situation de handicap est très forte et ne faiblit pas", a confirmé devant le gouvernement Arnaud de Broca, président du Collectif HandicapS qui représente 49 associations. "Sur ce sujet qui n'est ni droite, ni gauche, on croit toujours qu'il y a là une vraie réforme sociale possible", a-t-il insisté. De son côté, le Premier ministre Jean Castex, qui ouvrait la réunion, a défendu la réforme de l’abattement, tout en disant "entendre parfaitement les colères" autour de cette question qui "n'est évidemment pas illégitime".

La pression sur le gouvernement risque cependant d’être maintenue. Le Sénateur Philippe Mouiller a d’ores et déjà affirmé que la proposition de loi serait réinscrite à l'ordre du jour "en octobre ou en novembre" par Les Républicains. "Notre objectif est de revenir au texte adopté au mois de mars au Sénat." 


Aurélie LOEK

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