Chirurgie esthétique : pourquoi la demande explose chez les jeunes

par Maëlane LOAËC
Publié le 22 juillet 2021 à 14h06

Source : JT 20h Semaine

TYRANNIE DE L'APPARENCE - Le recours à la chirurgie esthétique fait toujours plus d'adeptes, en particulier chez les plus jeunes. Un psy décrypte le phénomène.

Des jeunes de plus en plus nombreux à recourir au bistouri, pour un nez plus droit, un fessier remonté, une taille plus fine. Malgré la crise sanitaire, la médecine et la chirurgie esthétiques continuent de faire de plus en plus d’adeptes, parfois tout juste majeurs. “J'ai refait mes lèvres avec de l'acide hyaluronique et j'ai aussi fait le botox au front”, raconte Marie, 20 ans, dans le reportage en en-tête. “Je l'ai fait maintenant parce que j'ai peur, plus tard vers 40-45 ans, d'avoir des rides", s’inquiète la jeune femme.

Depuis 2019, les 18-34 ans font désormais plus de chirurgie que les 50-60 ans, selon une étude de l’organisation professionnelle IMCAS, spécialisée dans les dernières avancées dans le secteur de la chirurgie esthétique et la dermatologie. Ils se placent en deuxième position après les 35-50 ans. "La première classe de patientes, c'est celle entre 25 et 30 ans", confirme à TF1 le Dr Richard Abs de la clinique Phenecia à Marseille.

Comment justifier un tel succès auprès des Millenials ? Les réseaux sociaux, avec leurs selfies et photos retouchés et filtrées, ont accéléré la course aux injections et autres opérations. “Instagram est 100% responsable de ce phénomène”, affirme Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH). Même en temps de confinement, la tyrannie de l’apparence s’imposait toujours sur les outils de communication numérique. “On a pu voir lors de visioconférences sur Zoom des filtres pour apparaître maquillé à l’écran”, pointe le spécialiste. 

D’autant que depuis le début de l’épidémie, si les sociabilisations étaient limitées, l’utilisation des réseaux sociaux a flambé. En moyenne dans le monde, 490 millions de nouveaux utilisateurs se sont inscrits sur Facebook, Instagram et consort en 2020, soit environ 13 % de plus qu’en 2019, selon un rapport publié en janvier dernier par les entreprises spécialisées dans l’analyse des médias sociaux We Are Social et Hootsuite. 

Ressembler à un filtre Snapchat ou Instagram

“Aujourd’hui, le recours à la médecine esthétique est devenue plutôt une tendance, véhiculée par les réseaux sociaux, plutôt qu’une réponse à une dysmorphophobie profonde [NDLR : obsession pathologique sur une partie de son corps, qui provoque une grande souffrance]", explique Michaël Stora.  

Le but : ressembler à cet “autre semblable” de nous-même, à une photographie de soi avec un filtre. Des clichés passés à la moulinette des réseaux sociaux, qui servent de modèle pour ceux qui veulent se faire opérer et qui finissent par tous se ressembler. “Ces filtres imposent un modèle de beauté assez normé et uniformisent les visages”, estime le spécialiste : nez plus petit, grands yeux, lèvres charnues, peau lisse…  Une nouvelle tendance nommée symptôme du "Snapchat Dysmorphia" par trois médecins du département de dermatologie de l’Université de Boston, dans un rapport publié en août 2018.  

Mais derrière cet effet de mode, se joue une vraie bascule philosophique : “Avec les réseaux sociaux, on en vient à penser que si on ne prend pas des photos et qu’on ne les partage pas, on n’existe pas. La frontière est devenue confuse entre apparence et existence.”

Une pratique banalisée sur les réseaux sociaux

Ces réseaux sont d’ailleurs accaparés par des candidats de télé-réalité notamment, et cela fait largement sens selon le spécialiste qui décrit Instagram, Snapchat ou encore Facebook comme de “l’internet-réalité”, où chacun livre une représentation de soi “très cliché”. Ces candidats ont souvent recours à la chirurgie esthétique : parmi les influenceurs les plus suivis, on compte Kylie Jenner et Kim Kardashian, qui ont assumé publiquement leurs passages répétés sur le billard. 

Comme une partie d’entre eux, de nombreux influenceurs ont contribué à banaliser l’acte de médecine chirurgical. En stories ou dans leurs publications, ils vantent les mérites de leur chirurgien personnel à coup de codes promotionnels, comme n’importe quel autre placement de produit, en entretenant une “illusion de proximité” avec leurs abonnés. 

Aujourd'hui, on peut demander des injections à Noël comme on demanderait des baskets ou un sac ! Mais ce n’est pas juste un achat, ça touche le corps.
Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, spécialiste des usages du numérique

Des méthodes médicales plus accessibles et plus rapides, comme les injections de botox et d’acide hyaluronique, ont aussi participé à l’ampleur du phénomène. “La tyrannie esthétique a toujours existé dans notre société, mais la médecine esthétique était surtout accessible aux plus riches auparavant, alors que maintenant, la pratique est bien plus horizontale, démocratisée et décomplexée, analyse le psychologue. Aujourd'hui, on peut demander des injections à Noël comme on demanderait des baskets ou un sac ! Mais ce n’est pas juste un achat, ça touche le corps."

À l’avenir, si le recours à cette médecine esthétique continue d’être décomplexé, une véritable dépendance pourrait s’accentuer chez les jeunes patients selon Michaël Stora : puisque les effets des injections ne durent désormais que quelques mois, et il y a la tentation de les refaire régulièrement. Une nouveauté à l’échelle de la planète “très inquiétante” pour le spécialiste : “Sans vouloir moraliser le débat et stigmatiser les jeunes patients, il est clair que la médecine esthétique n’arrange rien aux problèmes plus profonds de ces jeunes, qu’il faut traiter par un travail de fond”. 


Maëlane LOAËC

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