Allongement du congé paternité, éducation... contre la charge mentale, mesdames messieurs les politiques, et si c'était (surtout) à vous d'agir ?

Anaïs Condomines
Publié le 2 novembre 2017 à 11h38, mis à jour le 2 novembre 2017 à 11h53

Source : Sujet JT LCI

ON FAIT LE POINT - Une quarantaine de personnalités masculines lancent, à destination des pouvoirs publics, une pétition en faveur d'un allongement du congé paternité. Une initiative en écho au concept de "charge mentale" popularisé par la dessinatrice et blogueuse féministe Emma et qui pose, au-delà de ce qui peut être débattu au sein du couple, la question de la part que peut prendre le gouvernement dans ce débat.

Peut-être aviez-vous eu ce débat, au sein de votre couple. Celui de la "charge mentale", ce concept pas si nouveau qui décrit le "travail d'organisation et de gestion", au sein du foyer, incombant plus systématiquement aux femmes. En septembre, Emma, la blogueuse féministe qui avait remis en mai dernier cette idée au goût du jour, avait poussé un coup de gueule en septembre, regrettant, dans une nouvelle planche de BD, que, bien souvent, les articles sur le sujet avaient "rejeté la faute sur les femmes".  

Un regret partagé par certaines associations féministes : au-delà des conseils qu'on peut donner aux femmes, il existe selon elles "des solutions plus structurelles, une bataille culturelle" qu'il faut mener au niveau de la société. Et qui dit action structurelle, dit politiques publiques. Message reçu : avec plusieurs militantes féministes, nous avions donc fait le point sur ces mesures qui pourraient, si elles étaient décidées ou encouragées par le gouvernement, drastiquement et pour de bon faire diminuer la charge mentale des femmes... 

Un allongement du congé paternité

Et si les nouveaux papas pouvaient rester plus longtemps auprès de leur compagne et de leur nouveau-né ? Actuellement, les pères bénéficient d'un congé paternité de onze jours consécutifs, week-ends compris. Une durée portée à dix huit jours en cas de naissances multiples. Pour la blogueuse Emma, "c'est une durée ridicule". "Clairement, cela contribue à rendre les inégalités de répartition encore plus insupportables. Après l'accouchement, on laisse une mère abîmée physiquement seule à la maison avec un nourrisson" explique-t-elle à LCI.

Outre le fait d'en profiter pour apprendre les gestes autour du nourrisson et de les intégrer à son quotidien, "le but du congé maternité, c'est justement que la femme se repose pour reprendre le travail dans une bonne condition physique après l'accouchement", plussoie Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminisme. Une idée visiblement partagée par un certain nombre d'hommes, qui, dans les pages du magazine Causette, ont appelé, via une pétition en ligne, à "un allongement du congé paternité à six semaines, indemnisé comme le congé maternité".

Interrogé sur le sujet en septembre, le secrétariat d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes nous avait indiqué que la réforme du congé paternité n'était "pas du tout à l'ordre du jour". En revanche, Marlène Schiappa avait annoncé son intention d'établir un "congé maternité unique", afin d'harmoniser les droits pour les femmes au statut indépendant, pigistes et intermittentes du spectacle par exemple. 

Précisons encore que les nouveaux pères en France ne sont pas les plus à plaindre : aux Pays-Bas ou en Grèce, ce congé paternité ne dure que deux jours.

Un congé parental mieux rémunéré

Depuis le 1er janvier 2015, la loi sur le congé parental a changé. Visant à une meilleure répartition du temps entre les deux parents, sa durée a été étendue à un an dès le premier enfant à condition que le père et la mère se partagent le congé. En clair, la CAF peut indemniser chaque parent pendant six mois, et pas un jour de plus. Si la répartition est inégale, exit la compensation financière.

A hauteur de 390,92 euros par mois pour une cessation totale d'activité, en complèment de l'allocation Paje (prestation d'accueil du jeune enfant), cette indemnisation demeure pour plusieurs militantes. "largement insuffisante". "Même si l'indemnisation du congé parental n'est pas indexé sur le salaire, il faut ici revenir à la base : le problème des inégalités salariales" nous explique encore Osez le féminisme. "Les femmes sont majoritairement présentes dans les emplois à temps partiel, dans les contrats précaires ou les postes à horaires atypiques et à faible salaire". Résultat : alors que le salaire est suspendu pendant un congé parental, le calcul est vite fait au moment de choisir celui qui doit mettre sa carrière en parenthèse, et celui qui continuera à ramener le salaire principal à la maison.

A titre de comparaison, les couples suédois peuvent prendre un congé parental de 16 mois, assorti d'un salaire remboursé par l'Etat à 80%. Sur la totalité du congé, 90 jours sont réservés à chacun des deux parents... et il n'est pas possible de rallonger la période de l'un pour raccourcir celle de l'autre. Interrogée par LCI, l'historienne et chercheuse Françoise Picq émet néanmoins une réserve. Selon elle, même si une meilleure rémunération du congé parental pourrait inciter des personnes aux salaires plus élevés, donc des hommes, à s'en saisir, "il ne faudrait pas inciter par là aussi les femmes à abandonner encore plus facilement la vie professionnelle". "C'est ce que j'appelle le droit de ne pas choisir, et donc, de ne pas renoncer..." détaille-t-elle. 

Des cours de préparation à la paternité plus systématiques 

Mesdames, votre partenaire vous a-t-il accompagnée lors des cours de préparation à l'accouchement ? En France, la participation des futurs pères à ces séances est loin d'être systématique. La dessinatrice Emma elle-même l'a constaté : "Lors des cours de préparation à l'accouchement, on n'a pas demandé à mon compagnon de venir". 

Pourtant, l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) préconisait dès 2010 dans un rapport sur "le vécu de la grossesse par les hommes" d'"inciter le conjoint à participer aux cours de préparation à la naissance et à la parentalité avec sa compagne". C'est peu connu, mais sachez que certains établissements proposent déjà des séances uniquement réservées aux hommes. Un effort à accentuer, selon la blogueuse : "Il faudrait non seulement leur conseiller fortement d'être présent mais aussi indemniser la séance". De la même manière, elle pense qu'il serait judicieux d'impliquer davantage les pères dès les premiers jours à la maternité. "Qu'ils puissent apprendre avec la mère à donner des bains au nourrisson, par exemple" poursuit l'illustratrice. 

En entreprise, une lutte contre "la mise sous pression des femmes"

Autre large champ d'action possible pour limiter la charge mentale : le monde de l'entreprise. Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT des ingénieurs cadres et techniciens, en charge de l'égalité femmes/hommes, résume ainsi auprès de LCI : "La charge mentale, c'est aussi le fait de cumuler des tâches ménagères et professionnelles qui impliquent des pressions des deux côtés. La responsabilité des pouvoirs publics, c'est donc à la fois d'alléger les tâches des femmes et de garantir un emploi de qualité." 

Au travail, selon les militantes interrogées, il faudrait donc par exemple augmenter la présence de crèches d'entreprises, poser des limites sur les horaires des réunions tardives afin de limiter le "présentéisme à la française" ou encore lutter contre une trop grande flexibilité. Or ces dispositions seraient, selon elles, largement mises en danger par la nouvelle loi Travail : "Les négociations sur les droits familiaux - sur la question des absences pour enfants malades, par exemple -  seront renvoyées aux accords d'entreprises, où les rapports de force entre représentants syndicaux et direction sont très variables. Dans les secteurs des services à la personne, où travaillent une majorité de femmes, le rapport de force est carrément défavorable" nous explique encore Sophie Binet. 

Sollicité sur cette question précise, le ministère du Travail n'a pas donné suite. Quant à Marlène Schiappa, interpellée par plusieurs féministes dans une tribune publiée sur les blogs de Mediapart, elle promet "une vigilance particulière sur la prise en compte de l'égalité professionnelle dans les nouvelles ordonnances"

Une adaptation du temps de travail pour en finir avec "le jour des mamans"

Interminable débat que celui des rythmes scolaires... Par un décret en date du 28 juin 2017, le choix est désormais donné aux communes de se conformer ou non à la semaine des quatre jours. Un retour qui devrait séduire "plus d'un tiers" des petites villes, selon les prévisions du ministère de l'Education nationale. 

Or, pour les observatrices féministes, ce retour au mercredi chômé pour les enfants ne serait pas sans conséquence pour les mères. Dans Le Monde en date du 27 juillet 2017, les économistes Emma Duchini et Clémentine Effenterre rappellent ce chiffre : "Plus de 40 % des femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller à l’école primaire ne travaillaient pas le mercredi avant la réforme de 2013", soit le passage à la semaine des quatre jours et demi. "C’est deux fois plus que pour les hommes." Depuis, toujours selon ces deux chercheuses, l'écart de présence au travail le mercredi s'est réduit de 15% par rapport aux hommes.

Pour la blogueuse Emma, la solution est simple : "Il faudrait s'engager dans une plus grande autonomie des emplois du temps, afin de permettre aux pères de se libérer eux aussi le mercredi." Mais, précise-t-elle, "il faut être vigilant à ce que cette mesure ne s'accompagne pas d'une plus grande précarité. C'est une vraie réflexion de société qu'il faut avoir". 

Promouvoir une éducation non sexiste 

La lutte contre la charge mentale, c'est aussi sur le très long terme que ça se joue. Emma en a bien conscience et pour elle comme pour les autres féministes interrogées, une grande partie de la solution passe par une éducation non sexiste, non stéréotypée, et ce dès le plus jeune âge. "On commence à voir des petites filles jouer aux aventurières, mais mettez une poussette dans les mains d'un petit garçon et beaucoup trouvent cela encore ridicule" constate-t-elle. Selon elle, cette lutte contre les stéréotypes devrait être intégrée à la formation des enseignants "et dans tous les métiers qui sont en contact avec les enfants". "Trop souvent encore, cette démarche vient d'initiatives isolées." 

Sur ce point, Marlène Schiappa a d'ores et déjà annoncé la création d'une "journée sur l'égalité hommes-femmes" dans le service national universel. 


Anaïs Condomines

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