REMONTER LE TEMPS - Trappeur et archéologue expérimental, le Suisse Kim Pasche vit la moitié de l’année dans le Yukon, un immense territoire sauvage dans le grand Nord canadien. Un parcours singulier qu’il raconte à Audrey Crespo-Mara dans le Portrait de la semaine.
Qu'a-t-on en commun les uns avec les autres ? Kim Pasche a peut-être bien trouvé la réponse : la vie sauvage. C'est dans cet héritage des premiers temps de l'espèce humaine qu'il s'immerge la moitié de l'année. Pour ce faire, direction le grand Nord canadien où il vit comme un homme préhistorique tannant des peaux pour se vêtir et taillant des silex pour fabriquer ses outils, tout en se nourrissant de plantes et d'animaux chassés à l'arc. Son ambition : renouer avec la vie de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs d'il y a 10.000 ans
"Ce n'est pas juste une idée folklorique ou une envie de fuir le monde moderne", se défend-il face à Audrey Crespo-Mara. "Ce qui m'intéresse, c'est plutôt de savoir d'où on vient ? Quelles sont nos racines ? Et surtout, de savoir dans quelle mesure on peut encore apprendre de ces modes de vie là", poursuit-il.
Fasciné par le monde sauvage
Il y a des enfants qui se rêvent astronaute ou encore footballeur, Kim Pasche, lui, a toujours eu envie d’avoir cette vie-là, fasciné par son grand-père qui vivait dans une cabane en lisière de forêt dans sa Suisse natale. "Déjà, à 7-8 ans, je me rendais chez mon grand-père en faisant quatre kilomètres à pied à travers la forêt. Ensuite, on passait beaucoup de temps à cueillir des champignons, à se promener. Il y avait déjà ce besoin de m'immerger dans quelque chose de sauvage", explique-t-il.
Ce désir de vivre en harmonie avec la nature, chevillé au corps, il décide à 21 ans de franchir une nouvelle étape et de rejoindre les forêts sauvages du grand Nord canadien. Là-bas, "on a une nature qui est encore intacte donc des étendues à l'infini de forêts peuplées d'animaux", raconte-t-il, ajoutant que "les humains modernes ont été façonnés par le monde sauvage même si on l'oublie trop souvent".
Je n'arrive plus à dormir dans un lit, c'est trop mou pour moi.
Kim Pasche
Dans son désir de retrouver et comprendre les gestes de nos ancêtres, Kim Pasche fait son feu en frottant du bois. "Une technique qui a accompagné l'humain pendant 400.000 ans", lâche-t-il. Il fabrique également des objets, comme des pointes de flèche en silex, avec les techniques d’antan, mais travaille aussi le bois, l'os ou encore le cuir. "Quand on y pense, je trouve ça incroyable de modernité", assure-t-il.
Bien sûr, pas question de faire ce genre d'expériences le jour puis de manger le soir un repas acheté au supermarché. Kim Pasche se nourrit de plantes sauvages, pêche et chasse. "J'attrape des petits animaux avec des pièges et des moyens, comme le lièvre ou le porc-épic, avec mon arc. De chasser des animaux, c'est très fort en émotion, ça impacte même quand on a l'habitude", se défend-il.
Pas de lit confortable non plus, il construit lui-même ses abris. "Je peux faire des huttes qui ressemblent à un igloo végétal. Mon corps s'est habitué à des surfaces dures", reconnaît-il, une anecdote à l'appui : "Dans les rares fois où je dois être à l'hôtel, entre deux voyages, je dors par terre. Je n'arrive plus à dormir dans un lit, c'est trop mou pour moi".
Mais pourquoi vouloir à ce point renouer avec ces gestes d'antan ? "Se remettre dans la peau, en partie, de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, c'est retrouver le fil qu'on peut tirer pour mieux comprendre comment on voit le monde aujourd'hui. C'est dresser un bilan de notre société actuelle en se replongeant dans nos origines. Et ces origines sont complétement dénigrées. Au mieux, on observe les grottes de Lascaux ou quelque chose qui vient titiller notre imaginaire, mais on ne voit pas à quel point, il y a des choses pertinentes dans la façon dont nos ancêtres voyaient le monde", conclut-il, quelque peu effrayé par la dérive de notre monde moderne "qui va de plus en plus vite" façonnant des peuples stressés "face à une nature qui, elle, reste la même".