POLÉMIQUE - La grande distribution tente, de plus en plus, de surfer sur les valeurs de l'artisanat pour mettre en avant la qualité de ses produits. Avec des entorses au règlement ? C’est en tout cas ce que lui reprochent les bouchers et les boulangers.
L’heure des courses. Supermarché. Hop, vous filez au rayon boucherie-charcuterie. Peut-être avez-vous en tête cette publicité dans laquelle une grande surface vante les "artisans de ses rayons frais traditionnel" et leurs "promotions exceptionnelles". Peut-être sinon, avez vous vu passer sur la page Facebook de la supérette du coin le message : "Savourez nos viandes de qualité, préparées par nos artisans bouchers expérimentés". Vous foncez donc au rayon viande. Une image d’éleveur vous accueille, un petit agneau dans les bras.
Mais voilà. Tout cela n’est pas vrai. Enfin, pas si vrai. Le boucher qui s'apprête à vous servir n’est pas artisan. C’est ce que dénonce la Confédération Française de la Boucherie, Boucherie-Charcuterie, Traiteurs (CFBCT) dans une lettre ouverte récemment envoyée au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. "La grande distribution usurpe l’identité des artisans et trompe le consommateur !", y écrit-elle. "Cela commence à nous agacer très fortement que les grandes et moyennes surfaces utilisent ce terme pour valoriser leurs produits", développe auprès de LCI le président de la CFBCT, Jean-François Guihard.
Utilisation abusive du terme "artisan"
Car l’utilisation du terme artisan est strictement encadrée. "La loi prévoit que pour se prévaloir de cette qualité, une entreprise doit relever de l'artisanat, c'est-à-dire être immatriculée au répertoire des métiers", fait valoir Jean-François Guihard. "Alors que la grande distribution est inscrite à la chambre de commerce. Ce n’est pas du tout le même statut." Une loi de 1996 prévoit d’ailleurs des sanctions en cas d’utilisation du mot "artisan", ou de ses dérivés, pour "l'appellation, l'enseigne, la promotion ou la publicité de l'entreprise, du produit ou de la prestation de services sans détenir la qualité d'artisan" : 7.500 euros d'amende pour les entreprises en nom propre, 37.500 euros pour les sociétés.
Et ce que les artisans disent constater, c’est que, de plus en plus, le terme est utilisé par les grandes et moyennes surfaces. Que ce soit pour des campagnes de télévision, des pages de pub dans la presse, ou même des publications de supérettes sur Facebook. Auchan, Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U ou Casino sont tous épinglés, à différents niveau.
Leclerc, par exemple, met en avant dans une opération publicitaire et un communiqué les "artisans de ses rayons frais traditionnel".
Un argument également développé sur le site de l'enseigne, où est détaillé le métier de ses "chefs". A chaque fois, les termes de "savoir-faire", "passion", sont largement utilisés, véhiculant ainsi une image proche de celle du "vrai" artisan boucher de quartier.
Je suis formel : il n’y a pas d’artisan au rayon-boucher de chez Leclerc. Ce sont des ouvriers bouchers
Jean-François Guihard, boucher
Sollicitées, la plupart des enseignes n'ont donné suite ou ont refusé de s'exprimer sur le sujet. Seul Carrefour indique "ne pas utiliser le terme 'artisan' dans ses affiches publicitaires ou ses spots TV au niveau national". Pourtant, au niveau local, des exemples existent, comme le rapporte La Voix du Nord, qui narre l'opération coup-de-poing du Syndicat de la boucherie du Nord dans un Carrefour pour dénoncer une campagne de ce type. "Venez rencontrer nos artisans et partager leur passion", indiquait en effet l'annonce pour une "journée découverte exceptionnelle autour des métiers de nos artisans". Les bouchers ont rencontré le directeur du magasin et leur échange, filmé par un membre du syndicat, laisse songeur : le directeur évoque d'abord un choix "pas fait exprès", puis le fait que cette communication était réalisée au niveau national...
Utiliser ce terme "votre artisan boucher" peut certes paraître anecdotique. Mais ça ne l’est pas du tout pour Jean-François Guihard, qui y voit "une utilisation abusive à titre de fins commerciale et promotionnelle". "L’artisan bénéficie d’une image de savoir-faire, de travail de qualité. En utilisant ce terme, les grandes et moyennes surfaces (GMS) jouent sur cette image, alors qu’ils n’ont pas le droit", s'offusque-t-il. "Il y a des décrets qui définissent ce qu’est un artisan. Et je suis formel : il n’y a pas d’artisan au rayon-boucher de chez Leclerc. Ce sont des ouvriers bouchers. Comme le cariste ou celui qui met les produits en rayon." Dans beaucoup de GMS, poursuit-il, "la viande arrive toute découpée et sous vide. Ils ne font que la redécouper. Nous, on reçoit la bête entière. On connaît le produit, on le travaille."
Le président y voit même de la "publicité mensongère" : "En jouant sur cette image, la grande distribution sème le trouble auprès du consommateur". Autre exemple d'"ambiguïté", celui des animaux primés : "Ils vont acheter une bête à concours, et communiquer en affirmant que c'est elle qu'ils vont vendre. Alors qu’évidemment, cette viande n’est pas partout. On induit le consommateur en erreur en lui donnant de fausses informations." Jean-François Guihard, qui insise par ailleurs sur le "rôle social" des bouchers traditionnel dans les villes et villages, alerte aussi la qualité du produit vendu. "Question traçabilité de la viande, rien à dire : en France, on est au top. Mais il y a qualité et qualité. La majorité des bouchers travaillent uniquement de la race à viande, blonde aquitaine, limousine. Mais dans certains rayons de GMS, on a des viandes qui sont de la vache laitière, donc la qualité n’est pas là."
Pour eux, un steak, c'est un code de distribution
Jean-François Guihard
Longtemps, les artisans ont laissé la grande distribution venir les chatouiller sur leur terrain. Mais ils ont désormais choisi d’attaquer. Et d’informer le grand public. Même si "c’est David contre Goliath". Si les artisans bouchers ont choisi comme moyen d’action une lettre ouverte au ministre et des actions ciblées dans les supermarchés, les boulangers, eux, vont en justice. Car eux aussi, comme les fromagers ou les fleuristes, sont affectés par les grandes enseignes qui déploient des rayons baguette ou des dépôts de pain, jouant eux aussi sur les codes des boulangeries traditionnelles. "Ils essaient d’imiter à fond le métier d’artisan, lance Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française. Pendant un moment, par exemple, la grande distribution sortait des baguettes surgelées, même parfois faites à l’étranger dans des sacs marqués 'baguette tradition' ou 'façon tradition'. Ils tournent toujours autour du concept."
Artisan, pain de tradition, c'est strictement encadré
Alors que, là encore, tout est strictement encadré : "Un décret de 1993 stipule que pour un pain tradition, il faut de la farine de tradition, une baguette façonnée et vendue sur place, sans additifs", soulignele boulanger. De même que l’appellation "boulangerie" ne peut être utilisée par un revendeur de pain. Mais certains rusent en utilisant des noms proches - "une histoire de baguette", "le fournil traditionnel"... - qui, évidemment, prêtent à confusion. "Dans leurs rayons, c’est dans le meilleur des cas du pain apporté précuit ou surgelé, qu’ils cuisent sur place et vendent", peste encore Dominque Anract. Et les boulangers doivent faire face à une concurrence démultipliée. Car les hyper développent les supérettes. Ce qui fait autant de points de vente ouverts sept jours sur sept, à des horaires étendus. Ce qui n’est pas sans conséquences.
"A Paris, on est passé de 330 à 670 supérettes en 10 ans. Dans le même temps, le nombre de boulangeries a baissé de 8%", détaille Dominique Anract. Pour lutter, le syndicat parisien a déposé une requête en juin dernier : il demande à l'Etat et à la préfecture de faire respecter une réglementation existante, celle selon laquelle tous les revendeurs de pain ont l'obligation de fermer une fois par semaine. Un arrêté respecté par les boulangeries, qui profitent de ce jour pour souffler. Mais, selon Me Aline Simard, avocate en charge du dossier, "absolument pas par les supérettes", qui peuvent faire touner leurs salariés.
"Cette action est aussi une manière d’alerter l’opinion publique, explique-t-elle. L’intérêt premier des gens est d’avoir du pain tous les jours. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que sur le long terme, tout cela va tuer l’artisanat, faire disparaître les petits artisans au profit des gros, des groupements, où ce n’est pas forcément la qualité qui est privilégiée." Et pour elle, le petit commerce de bouche est aussi une source d’attractivité. "C’est notre image de marque ! Le pain est l’emblème de la France. Savez-vous que ce dossier a intéressé les Anglo-saxons ? Il faut défendre les valeurs françaises, sinon on va être lissé comme tous les pays du monde." Mais pour les petits artisans, se battre prend du temps. Le jugement dans l'action des boulangeries ne sera pas rendu avant septembre ou octobre prochain. Quant à Bruno Le Maire, il n'a toujours pas répondu à la lettre des bouchers. Ni même fait signe qu'il l'avait reçue.
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