RENCONTRE - Alexandre Jollien éveille ses lecteurs à la curiosité de l'autre. Atteint d'un lourd handicap à la naissance, il a découvert la joie grâce à la philosophie. Celui qui vient de réaliser le film "Presque", à l'affiche fin janvier, s'est livré à Audrey Crespo-Mara dans "Sept à Huit".
Dans la rue, certains se moquent encore de lui, d'autres le reconnaissent. "On peut dire que j’ai le cul entre deux chaises, ce n’est pas facile : il y a des regards qui tuent et des regards qui sauvent, qui guérissent et pansent les plaies", confie le philosophe Alexandre Jollien dans la vidéo de "Sept à Huit" en tête de cet article, un "Portrait de la semaine" diffusé ce dimanche 16 janvier. Étranglé par le cordon ombilical à la naissance, c’est un bébé mort-né au cerveau asphyxié. "J’ai failli claquer, ma mère dit que j’étais tout bleu, j’ai frôlé la mort à cet instant inaugural. Alors question confiance, il faut ramer après", sourit l'écrivain suisse.
Atteint depuis d'athétose, il peine à contrôler les mouvements de son corps. Mais son cerveau, lui, jongle avec les notions les plus compliquées de la philosophie. Auteur de nombreux ouvrages, devenus best-sellers et auréolés pour certains de prix littéraires, spécialiste de la philosophie helléniste, Alexandre Jollien donne des conférences qui sont des triomphes.
Arraché à trois ans à sa famille, il est placé dans une institution pour enfants handicapés, dont il garde le souvenir d'un "univers carcéral" et dans lequel il passera toute son enfance et son adolescence. On lui apprend à ranger des boîtes de cigare mais à 14 ans, sa vie bascule : il découvre Socrate et sa pensée, le "Connais-toi toi-même", lors d'un passage en librairie. "La grande liberté, c’est d’essayer de sortir de ces cases", assure-t-il. Un tour de force urgent, vital : "Je crois que le tragique de l’existence m’a fait prendre conscience que c’était soit philosopher, soit crever", déclare-t-il.
"Être généreux n’est pas un diktat, c’est une fidélité à la vie"
"Au début, j’avais l’illusion que la philosophie m’aiderait à accepter ma condition, mais elle a fait beaucoup mieux : elle m’a donné une vocation, le goût des autres, une boussole, une invitation à vivre non pas mieux, mais meilleur", raconte le philosophe. "Qui sommes-nous réellement et comment aimer l’autre sans aliénation, c’est vachement ardu comme boulot."
Si cette rencontre avec la philosophie grecque l'a mené sur un autre chemin que celui auquel il était destiné, il ne cesse de penser à ceux qui n'ont pas sa chance. "Grâce aux autres, je suis parvenu à m’échapper à quelques déterminismes", et ses ouvrages restent "une invitation à la solidarité, ne pas laisser une personne sur la touche". "Je n’ai pas la prétention d’être un apôtre, mais peut-être introduire dans le débat d’idées et dans les cœurs une certaine curiosité pour l’autre", glisse-t-il.
Une solidarité particulièrement précieuse en cette période de crise sanitaire, défend-il. S'il n'a pas attendu la pandémie de Covid-19 pour que "la précarité de l’existence [lui] saute aux yeux chaque matin", il appelle ses lecteurs à préserver "l’amour, le don de soi, la joie, l’insouciance" contre "toutes les passions aliénantes", "la haine, le ressentiment et la colère". "Être généreux n’est pas un diktat, c’est une fidélité à la vie", lance-t-il. "La joie est dans le lien, le progrès intérieur, la solidarité. On vit malheureusement dans un monde hyper individualiste, on a besoin parfois de se rappeler qu’il faut revenir à l’essentiel."
Presque, un film pour "apprendre à sortir des préjugés" et "faire péter les mécanismes de défense"
C'est cette recherche de l'essentiel qu'il a cherché à mettre en scène en écrivant et réalisant aux côtés de Bernard Campan le film Presque, qui sera à l'affiche dès le 26 janvier, et qui marque son premier pas dans le 7e art. Au fil de cette histoire d'amitié poignante, deux personnages perdus, désabusés et solitaires apprennent ensemble à vivre : un croque-mort incarné par Bernard Campan, et un homme handicapé, féru de philosophie. "C’est une quête spirituelle : comment apprendre à sortir des préjugés, apprendre à aimer, faire péter les mécanismes de défense, explique Alexandre Jollien. Grâce à l’autre, on se libère."
L'acteur qui lui donne la réplique est l'un des amis proches de l'écrivain, qui l'a rencontré il y a 18 ans, quelques jours après la mort de son père. "Il y a eu comme une passation, Bernard a un côté très paternel, fraternel, amical", salue le philosophe, qui dit avoir trouvé en lui "une âme sœur, quelqu’un d’hypersensible, de généreux, (...) sans arrière-pensée."
Le film évoque notamment la difficile acceptation de leur propre corps par les personnes handicapées. Aujourd'hui épanoui au sein de sa famille, auprès de sa femme et de ses trois enfants, Alexandre Jollien a pourtant cheminé pour dépasser ses propres angoisses. "Lorsque ma fille m’a fait un bisou pour la première fois, j’avais peur qu’elle soit salie tellement j'avais été nourri à l’idée que le corps d’un handicapé était dégueulasse", se souvient-il. "C’est de la maltraitance, qu’on finit par intérioriser, mais la bonne nouvelle, c'est qu’on peut s’en départir." Pour ce faire,"j’ai dû m’accoutumer avec le fait qu’une vie peut s’étaler comme un long fleuve tranquille", conclut-il dans un sourire.
Sur le
même thème
même thème
Tout
TF1 Info
TF1 Info
- 2Le salaire des profs débutants est-il passé de 2,3 SMIC en 1980 à seulement 1,1 SMIC aujourd'hui ?Publié le 25 mai 2022 à 15h59
- 3Cannes 2022 : Bilal Hassani, méconnaissable sur le tapis rougePublié hier à 12h50
- 4"Je me retrouve avec un terrain inconstructible" : la colère de propriétaires de GirondePublié le 25 mai 2022 à 16h51
- 5Cannes 2022 : le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa juge le boycott des artistes russes "grotesque"Publié le 25 mai 2022 à 8h16
- 6Cannes 2022 : les propos de Lola Quivoron sur les rodéos urbains déclenchent un tolléPublié le 25 mai 2022 à 14h42
- 7Meurtre d'une fillette de 10 ans en Haute-Savoie : appel à témoin pour retrouver son pèrePublié le 25 mai 2022 à 18h11
- 9Procès Johnny Depp vs Amber Heard : une femme assure que l'acteur est le père de son bébéPublié le 25 mai 2022 à 12h25
- 1Tuerie dans une école du Texas : Joe Biden se rendra dimanche à UvaldePublié hier à 23h56
- 3Salmonelles dans les Kinder : plus de 3000 tonnes de produits retirésPublié hier à 22h33
- 4Décès à 60 ans d'Andy Fletcher, membre fondateur de Depeche ModePublié hier à 22h21
- 5VIDÉO - Smartphones : méfiez-vous des applications malveillantesPublié hier à 22h03
- 7
- 9Météo du 26 mai 2022 : Prévisions météo à 20h50Publié hier à 21h00
- 10Le 20 heures du jeudi 26 mai 2022Publié hier à 20h41
- 1Le salaire des profs débutants est-il passé de 2,3 SMIC en 1980 à seulement 1,1 SMIC aujourd'hui ?Publié le 25 mai 2022 à 15h59
- 3Est-ce que "seulement 1% des viols sont condamnés", comme l’affirme Sandrine Rousseau ?Publié le 25 mai 2022 à 18h04
- 4Noyades : le message du moniteur de surf qui a sauvé la vie de deux ados à AngletPublié le 25 mai 2022 à 17h02
- 5VIDÉO - Chasseurs de tornades : que donne la nouvelle attraction du Futuroscope ?Publié le 24 mai 2022 à 10h14
- 6Un modèle de trottinette électrique rappelé pour risques d'incendiePublié hier à 14h13
- 7VIDÉO - Sécurité routière : à quoi servent les radars-leurres ?Publié le 22 mai 2022 à 7h30
- 8Un "crédit social" à la chinoise va-t-il être instauré dans la ville italienne de Bologne ?Publié le 25 mai 2022 à 18h27
- 9Un pont de l'Ascension en rouge et noir : les conditions de circulation sur les routesPublié le 24 mai 2022 à 17h06
- 10La question de la semaine : pourquoi rêve-t-on que l’on perd ses dents ?Publié le 6 mai 2016 à 20h40
- InternationalFusillade aux États-Unis : 19 enfants tués dans une école au Texas
- Police, justice et faits diversUn grand patron incarcéré pour "traite d'êtres humains" et "viols sur mineure"
- Trafic d'êtres humains
- Olivia Grégoire
- PolitiqueDamien Abad accusé de violences sexuelles, un ministre dans la tourmente