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REPORTAGE - À Mayotte, l'enfer quotidien des habitants privés d'eau potable

par V. F Reportage TF1 : François-Xavier Ménage et Olivier Cresta
Publié le 7 octobre 2023 à 0h07, mis à jour le 18 novembre 2023 à 0h59

Source : JT 20h WE

Le 101ᵉ département français s'enfonce dans une crise sans précédent en raison d'une pénurie d'eau potable due à la sècheresse.
Face à la gravité de la situation, le gouvernement prévoit notamment "d'élargir progressivement" jusqu'à la mi-novembre la distribution de bouteilles gratuites.
Le JT de TF1 a rencontré plusieurs habitants qui vivent un enfer au quotidien.

Le département le plus pauvre de France est actuellement confronté à sa plus importante sécheresse depuis 1997, alors que son approvisionnement dépend largement des eaux pluviales. Résultat, depuis le 4 septembre, la population mahoraise est privée d'eau deux jours sur trois

Alors dans la cuisine, pour faire la vaisselle, il faut compter sur les réserves : de l'eau stockée dans des bouteilles en plastique quand le robinet veut bien fonctionner. Et parfois, des dépôts grisâtres assombrissent le précieux nectar avec des doutes certains sur sa qualité. "C'est inadmissible et insupportable ce qui se passe à Mayotte", se plaint une habitante dans le reportage de TF1 en tête de cet article. 

16 euros les 6 litres

Pour tenter d'endiguer cette crise, le gouvernement prévoit "d'élargir progressivement" jusqu'à la mi-novembre la distribution de bouteilles d'eau gratuites, limitée à ce jour à 50.000 personnes parmi les plus vulnérables, grâce à davantage d'acheminements de bouteilles depuis La Réunion et l'Hexagone. Des packs qui sont désormais précieusement gardés. 

Dans un hangar communal, sous surveillance policière, une distribution se prépare vers un quartier défavorisé. Dès l'ouverture, ce vendredi matin, plusieurs centaines de bénéficiaires font la queue pour six bouteilles chacun. Pour encadrer l'opération, l'armée a été appelée en renfort. 

Il y en a qui profitent du malheur des autres...
Un habitant de Mamoudzou

Un ticket est nécessaire pour obtenir ces précieuses bouteilles d'eau. Les personnes âgées, les mères de familles nombreuses et les individus à la santé fragile sont priés de s'enregistrer auparavant. L'eau ici est gratuite alors que dans les commerces, les prix sont parfois délirants : "16 euros les 6 litres, alors qu'en métropole, ça coûte même pas 1,50 euro les 6 litres", lâche, écœuré, Said Maoulida, un habitant de Mamoudzou. "Il y en a qui profitent du malheur des autres..." 

Confirmation dans une épicerie. Malgré les appels des autorités pour bloquer les prix, ici les six bouteilles d'eau coûtent 12 euros. "Certains clients n'ont pas assez d'argent donc ils achètent juste une bouteille. Ceux qui ont les moyens prennent le pack entier", avance la vendeuse. 

Hausse des ventes de médicaments anti-diarrhée

Sur les hauteurs de Mamoudzou, dans le plus grand bidonville de France, où vivent des milliers d'habitants, personne ou presque ne peut s'acheter d'eau en bouteille. Avec la crise actuelle, les raccordements d'eau courante ne fonctionnent plus. Seule une fontaine est encore en activité pour toute la population. Il faut ensuite marcher parfois des kilomètres pour regagner les domiciles avec des bidons ou des jerricans remplis à ras bord. 

Deux mères de famille ont ainsi radicalement modifié leur manière de vivre. "Faire la lessive, se doucher, pour moi, mes enfants, être propre… maintenant, c'est quasi terminé. On a un vrai problème", assure la première. "On ne peut pas vivre sans eau", ajoute la deuxième. 

Comment vous voulez que les conditions minimales d'hygiène puissent être respectées ?
Pierre-Emmanuel Ancenys, pharmacien

Les autorités locales assurent qu'il n'y aurait pas d'impact notable sur la santé pour le moment. Faux, rétorque Pierre-Emmanuel Ancenys qui, dans son officine, observe une recrudescence des ventes de médicaments anti-diarrhée pour les plus jeunes. "On passe de douze boîtes vendues au cours du mois de juillet à 56 boîtes au cours du mois de septembre", affirme-t-il. 

Le manque d'eau touche désormais toutes les localités de l'île. Pas une n'est épargnée. "Imaginez une mère de cinq enfants qui travaille et qui n'a pas d'eau à son domicile pour laver ses enfants, pour faire à manger et pour entretenir son foyer", interpelle le pharmacien. "Comment vous voulez que les conditions minimales d'hygiène puissent être respectées ?"

Des enfants sans école

Mayotte a déjà connu ces dernières années plusieurs pénuries d'eau, mais les travaux promis ne suivent pas tous, alors que l'île connaît une démographie bouleversée. De 23.000 habitants en 1960, elle est passée à 350.000 en 2023. Et l'Insee envisage jusqu'à 750.000 habitants à l'horizon 2050. Avec un problème principal : il n'y aura pas d'eau pour tout le monde. 

Cette surpopulation est en partie liée à l'immigration illégale en provenance des Comores. Des milliers de sans-papiers qui construisent des logements en toute illégalité, avec comme conséquence un assèchement accéléré des approvisionnements, dénonce Safina Soula, la présidente du Collectif des citoyens de Mayotte. 

L'État n'a plus le contrôle de cette île
Safina Soula, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte

"Ce sont des gens qui sont arrivés clandestinement, qui ont accaparé des lieux et ont commencé à construire plusieurs maisons avec des enfants, avec des familles. En France métropolitaine, on ne verra jamais des maisons pousser comme ça illégalement, de manière sauvage", dénonce-t-elle. "Ici, à Mayotte, tout est possible, tout peut se faire sans que ça fasse réagir personne. L'État a perdu le territoire de Mayotte. L'État n'a plus le contrôle de cette île." 

L'une des conséquences les plus marquantes de cette crise de l'eau se constate dans les écoles. Safina montre un établissement fermé pour plusieurs semaines, car ne pouvant pas être raccordée au réseau. Des centaines d'élèves privés d'enseignement, des parents et des professeurs désespérés. "Le souci, c'est de voir des enfants errer dans certains endroits alors qu'ils auraient dû être à l'école. Les enfants sont en train de perdre injustement leur scolarité", s'inquiète la responsable associative "Et quand on fera le bilan à la fin de l'année, forcément, ce sont ces enfants-là qui auront perdu beaucoup de connaissances." 

Élus, autorités locales, habitants, tous attendent désormais la saison des pluies pour espérer un retour à la normale. Les restrictions d'eau, elles, devraient encore s'accélérer. 


V. F Reportage TF1 : François-Xavier Ménage et Olivier Cresta

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