Réveillon du Nouvel An : sommes-nous vraiment tous obligés de faire la fête le 31 ?

Publié le 29 décembre 2022 à 12h28, mis à jour le 31 décembre 2023 à 12h06

Source : JT 13h Semaine

Chaque année s'exprime le fantasme d'une soirée du 31 décembre envisagée comme LA soirée du siècle.
Mais faut-il nécessairement céder à cette injonction sociale ?
Philosophe, sociologue et écrivain nous ont répondu dans cet article que nous vous proposons à la veille de l'entrée en 2024.

"Et toi, tu fais quoi pour le 31 ?". C'est LA question récurrente monopolisant toutes les discussions du mois de décembre. Pour Olivier Remaud, philosophe et directeur d'études à l'EHESS, rien de plus normal : "Le réveillon du 31 reste encore en 2023 une grande fête populaire, l'équivalent de Noël sans la dimension famille-enfants". 

Certes, mais d'où vient ce "besoin de faire la fête le 31 décembre" ? Selon Laurent Fournier, maître de conférences H.D.R. (sociologie du sport et des loisirs), il y a des causes lointaines, culturelles et historiques, correspondant au passage du solstice d'hiver, marquant culturellement le cycle naturel de l'année. Depuis, cette fête correspond à "une logique d'éclate pure et dure, un défouloir frisant avec un sens réjouissant de fin du monde, une façon symbolique de dire qu'on est sorti indemne de l'année qui vient de s'écouler" assure Olivier Remaud à TF1info. Et tant pis pour la gueule de bois du 1er janvier où tout (re)devient gris. 

Un "bonheur artificiel, socialisé, calculé"

De fait, réfléchir à la manière dont on va participer à cette grande fête des semaines à l'avance ressemble pour bon nombre de personnes à une course à l'échalote ("Passer la soirée en solo, c'est la lose, nous sommes à la mi-décembre et je suis toujours à la recherche d'un lieu pour la teuf ultime", avoue Alexandre, 26 ans). Pourquoi nous sentons-nous obligés de passer une "soirée extraordinaire" le 31 décembre ? "Parce que cela nous donne le sentiment d’exister", constate auprès de LCI le sociologue Rémy Oudghiri. "Personne n’ose assumer le fait qu’il ne fera rien de spécial le 31 décembre, car cela veut dire qu’on n’existe pas vraiment, qu’on ne vit pas des choses intenses, que sa vie est ennuyeuse."

Pour autant, cet enjeu peut aussi laisser de marbre celles et ceux, les "rebelles", qui n'ont pas envie d'"attendre une date" pour faire la fête, ne considérant pas cet acte cérémoniel comme une "affaire d'État". Pour l'écrivain Paul Vacca, "prendre ce réveillon à la légère est une façon de ne pas se conformer à un modèle, de ne pas adhérer à l'exposition d'un bonheur artificiel, socialisé, calculé et tout simplement de ne pas souscrire à l'obligation de fête obligatoire, antithétique par essence avec la spontanéité d'une fête", affirme-t-il à TF1info.

Refuser la pression sociale

De nos jours, le réveillon du 31 décembre est considéré comme "une norme sociale", le "marqueur indispensable" d'une société. Mais au-delà du rejet d'une norme sociale, existe-t-il d'autres raisons à cette aversion ? Pour le philosophe, ce que les rétifs pointent du doigt, "c'est une forme de marketing à l'aune des pratiques de tourisme où l'on explique aux Français qu'ils doivent absolument faire quelque chose d'extraordinairement intense le 31 décembre, si possible dans des lieux exceptionnels, avec une "exotisation" outrancière." Une quête d'extraordinaire ouvrant souvent sur une consommation excessive : "Cette fête peut être perçue comme un symptôme, peut-être celui d'une société trop ordonnée, où les individus reprennent momentanément une possibilité de trouver du plaisir dans une consommation extraordinaire", note de son côté Laurent Fournier. 

Pour exister, il faut se mettre en scène aux yeux des autres. Donc, autant que cela soit unique, original, différent. Plus c’est unique, original, différent, plus cela fait le buzz.
Rémy Oudghiri, sociologue

Effet pervers, cette pression sociale est renforcée par le poids des réseaux sociaux, pouvant incidemment ajouter au refus : "C’est tout le contraire du "Pour vivre heureux, vivons cachés, soit l'une des manifestations de "l’instagramisation" de nos comportements", ajoute Rémy Oudghiri. "Dans le contexte contemporain, il existe un effet d'entraînement, ou de surenchère", constate également Laurent Fournier. "On essaie de faire mieux que les autres pour ne pas perdre la face et aussi pour pouvoir raconter son expérience à ses proches ensuite, en famille, au travail, aux amis. Là, les explications sont plutôt psycho-sociologiques. C'est la rivalité d'émulation qui est au principe de la fête. Il s'agit d'une forme spécifique de compétition."

En réaction aux diktats de la "fête obligatoire"

En réaction à ces pressions, de plus en plus de gens échappent au "gros collectif" pour privilégier le "petit collectif" et donc "passer la soirée avec des amis". Selon Olivier Remaud, "les gens organisent de plus en plus de fêtes ou de dîners entre amis, surtout lorsqu'ils ont fait le tour de la question et arrêté de chercher la soirée du siècle". D'autant que, selon l'écrivain, "dans une fête immense, bondée, on se retrouve souvent avec des gens que l'on croisera une seule fois dans sa vie et très souvent, on ne partage pas les mêmes sensibilités, les mêmes affinités." Et l'abus d'alcool d'exacerber des sentiments : "On ne retrouve pas l'effet centripète d'une soirée habituelle, plus intime, que l'on se mettra à regretter".

L'écrivain va plus loin, arguant que "le rejet de la fête obligatoire pourrait devenir une mode sur les réseaux sociaux" : "Avec le côté très contemporain du "on démythifie tout" et du "non aux injonctions", le refus de faire la fête du 31 décembre pourrait devenir une mode, questionnant le caractère sacré du rituel. Avant, celui qui ne fêtait pas le 31 décembre passait pour un psychopathe. Aujourd'hui, ça n'est plus nécessairement le cas.


Romain LE VERN

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