Vidéosurveillance dans les abattoirs, poules en cage, protéines dans les cantines : pourquoi les associations s'agitent autant

par Sibylle LAURENT
Publié le 21 mai 2018 à 17h08, mis à jour le 21 mai 2018 à 22h40
Vidéosurveillance dans les abattoirs, poules en cage, protéines dans les cantines : pourquoi les associations s'agitent autant

Source : Capture écran L214

ANIMAUX - Les députés débutent ce mardi l’examen du projet de loi Agriculture, qui comprend notamment un volet sur le respect du bien-être animal. Mais les associations estiment que le texte a été détricoté de son contenu.

Des poules entassées les unes sur les autres. Des cadavres empilés dans les seaux. Des palmipèdes aux ailes déplumées. Des corps en décomposition au milieu des vivants. L'association L 214 n’a pas chômé ces derniers jours. Lundi et jeudi dernier, deux vidéos épinglant les pratiques de deux élevages de poules en cages dans la Somme et la Manche ont lancé l’attaque. Dimanche, ça a été une autre vidéo-choc, d’une usine des Côtes d’Armor, commentée par Sophie Marceau. Ce lundi, ce sont Brigitte Bardot et Rémi Gaillard, qui ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour demander la vidéosurveillance dans les abattoirs. Dans le même temps, Greenpeace dévoile ce lundi toujours une étude estimant que les enfants consomment trop de protéines animales à la cantine, sans véritable offre alternative végétarienne.  Bref, une véritable attaque groupée en défense de la cause animale.

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Pourquoi une telle profusion ?  Parce que c'est cette semaine qu'est est discuté à l’Assemblée nationale le projet de loi Agriculture "pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable". Le texte, né dans le sillage des Etats généraux de l'Alimentation, vise  à mieux rémunérer les agriculteurs et alimenter plus sainement les Français, tout en interrompant la "guerre des prix" entre distributeurs et producteurs. Et ce projet de 18 articles en comprend deux  relatifs au bien-être animal. Le 11 sur la qualité de l'alimentation, et surtout le 13, tendant à une meilleure prise en compte du bien-être animal.

Un article 13 qui marque quelques avancées : les associations de protection des animaux auront ainsi la possibilité de se constituer partie civile à un procès. Un nouveau délit visant à réprimer les mauvais traitements envers les animaux commis dans les transports et les abattoirs est prévu. En outre, les sanctions seront accrues en cas de mauvais traitements sur les animaux.

Louable, mais insuffisant pour les associations, qui cherchent à peser en amont des débats. Pour elles, le texte a en partie été "détricoté" de son contenu. 

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Deux importantes mesures sont en effet passés aux oubliettes lors du passage en commission.

La première, était un amendement LaREM, qui visait à une interdiction de la production d’œufs en cage pour les œufs destinés à la vente au détail à compter de 2022. Cette interdiction constituait en effet un engagement de campagne d'Emmanuel Macron. Mais le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travers, n’a pas souhaité l’inscrire dans la loi, préférant renvoyer le sujet aux plans de filières. La seconde est l’obligation de la vidéosurveillance dans les abattoirs afin de lutter contre les dérives épinglées par les associations. L’amendement, porté par le député NI (non-inscrit) Olivier Falorni, initialement validé en première lecture à l’Assemblée, a été retiré dans le projet de loi, le ministre de l’Agriculture, encore lui, indiquant qu’il laissait aux entreprises le volontariat dans la démarche. 

Face à ces "reculs", les quelques nouveautés du texte paraissent bien maigres à L214 : "Ce sont de petites choses qui ont été gagnées. Mais visiblement, dans la majorité, il n’y a pas de volonté d’aller plus loin", résume Sébastien Arsac, de L214, contacté par LCI ce lundi matin. "Le gouvernement choisit de plutôt suivre le plan des filières, alors qu’elles sont responsables du système qui existe aujourd’hui."

Lutter contre la maltraitance animale sans vidéo, c’est comme dire qu’on lutte contre l’insécurité routière en enlevant les radars

Olivier Falorni

En janvier dernier, les associations s’étaient étranglées en découvrant la suppression de la vidéosurveillance. "Cette loi a été expurgée de l’essentiel. C’est dramatique !", s’était indigné Reha Hutin, présidente de la fondation 30 Millions d’amis, sur LCI. Car pour tous, le délit de maltraitance ne peut fonctionner que si les moyens sont donnés d’apporter des preuves. "Et sans caméra, comment voulez-vous qu’on apporte la preuve, qu’on sache ce qu’il se passe derrière les murs ?" 

Olivier Falorni, auteur de l’amendement, ne disait pas autre chose : "Lutter contre la maltraitance animale sans vidéo, c’est comme dire qu’on lutte contre l’insécurité routière en enlevant les radars. La disposition sur le délit pénal s'accompagne de l'outil nécessaire pour le caractériser : le contrôle vidéo. Et l’un ne va pas sans l’autre ! Sinon, c'est une hypocrisie."

Un autre reproche concerne l’article 11, et l’introduction de repas végétariens dans les cantines, là aussi oublié. Dans une tribune publiée le 16 mai dernier sur le site du magazine Que Choisir, une cinquantaine d’associations de la société civile listent les "nombreuses priorités" qui sont "passées à la trappe" dans ce texte "sans grande ambition". Et demande aux députés de les inscrire à nouveau dans la loi. Un des manquements épinglés et regrettés est l’introduction de ces repas végétariens dans la restauration collective. "En terme de bien-être animal, c’est une manière de prendre le problème à la base, en développant les protéines végétales", estime Sébastien Arsac.

Ce n’est pas forcément gagné, mais ce n’est pas perdu d’avance

Sébastien Arsac (Attac)

Les associations tentent donc de peser sur les députés, à travers tribunes, sondages, pétitions, incitation à écrire à son député, ou prises de parole de people. 

Alors que s’engage maintenant le temps de débats à l’Assemblée, qui doit durer jusqu’à mardi prochain, Sébastien Arsac reste pourtant positif. Car des amendements déposés par plusieurs députés, dont François Ruffin (France Insoumise), Olivier Falorni, Rémi Delatte (Les Républicains) et même les élus de la majorité, Annie Vidal, Typhanie Degois et Pierre Cabaré, vont tenter d'infléchir le projet de loi. 

"Ce n’est pas forcément gagné, mais ce n’est pas perdu d’avance. Et sinon, ce sera pour la prochaine fois", résume Sébastien Arsac. Car le porte-parole estime que le sujet progresse dans la société. "Au niveau politique, la question animale n’était pas posée jusqu’ici. On voit que le sujet avance, que la société est avec nous. Et les entreprises de plus en plus : sur la question des œufs, on a ainsi obtenu énormément d’engagements de la grande distribution et de la grande industrie pour, à l’horizon de 2025, ne plus utiliser d’œufs issus de poules en cage."

La petite musique de Cédric Villani

Comment voteront donc les députés de la majorité ? Impossiblede le prédire. Mais L214 veut croire que certains députés prendront leurs distances avec la logique de groupe. Pour preuve, peut-être, le médiatique député Cédric Villani, qui a confessé dimanche sur LCI "faire partie des gens qui ont eu ou qui ont des poules dans leur jardin et qui pensent qu'on ne peut pas se satisfaire d'une situation dans laquelle certains animaux ont le droit de souffrir pour notre bien-être." 

Lui a indiqué qu’il voterait pour l’interdiction des œufs de poules en cage, mais "je n'émets pas de pronostics sur ce qu'il va se passer" : "Il y a 312 députés dans le groupe LaREM, il y a beaucoup, beaucoup de monde qui va voter. (...) Quand je vous dis que je voterai pour l'interdiction, ça ne veut pas dire qu'une majorité votera pour. (...) Sur ces questions en particulier, il est naturel qu'il y ait un peu plus de liberté au sein du groupe."


Sibylle LAURENT

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