ETAT DE LIEUX – La question du déplacement de fêtes foraines vers la périphérie des villes est au cœur de la protestation qui a conduit à des affrontements ultra-violents avec les forces l'ordre ce lundi dans la Sarthe. Alors que les organisateurs accusent la municipalité de discrimination, la réalité semble plus nuancée qu’il n’y parait.
"Une fête foraine, c’est dans les centres-villes, c’est une tradition depuis des centaines d’années et on ne peut pas délocaliser comme ça". Au lendemain d’affrontements qui ont opposé forains et forces de l’ordre ce lundi au Mans, Philippe Métairie, créateur et administrateur du groupe Facebook "Soutien aux forains de France", met le doigt sur un conflit qui ne date pas d’aujourd’hui. Alors que la municipalité de la Sarthe prône une nouvelle implantation des manèges à la périphérie du centre-ville, les concernés y voient une forme de "discrimination". Les forains chassés des villes, vraiment ?
"Par expérience, à chaque fois qu'on est relégués à l'extérieur de la ville, la fête foraine meurt : les gens n'ont pas le moyen de locomotion pour aller à l'extérieur, ils recherchent la proximité et ce n'est plus un passage passant", expliquait ce mardi Martial Gouin, président de l'association bretonne Le manège enchanté, à l'AFP. Selon lui, 250 fêtes foraines ont disparu en Bretagne ces 25 dernières années.
"Le commerce meurt"
Concrètement, ces éloignements se traduisent par une perte d’exploitation et feraient perdre plus de 50 % de recettes aux organisateurs. "Le commerce n’est plus le même : en gros, il meurt. Vous travaillez éventuellement le samedi et le dimanche s’il fait beau mais la semaine, vous ne voyez personne", illustre pour sa part Philippe Métairie, forain de 1988 à 2012.
Derrière cette tendance à la décentralisation des foires vers la périphérie des villes, les causes sont multiples. "On assiste aujourd’hui à des renouvellements urbains, c’est à dire que les élus aménagent les voiries et les places et créent un manque de disponibilité. On voit alors disparaître des grands champs de foire sur lesquels pouvaient s’installer auparavant les forains ou les cirques", explique Arnaud Thenoz, président délégué de la Fédération nationale des comités et organisation de festivités (FNCOF).
"Une évolution de notre société vers une sécurisation maximum"
"D’une façon générale, on observe qu’ il y a une volonté de mettre ces activités un peu en dehors de la ville, à l’entrée de zones industrielles, des zones d’activité, ou sur les parkings de supermarchés", concède Pierre Hérisson, conseiller municipal d’Annecy et membre désigné par l’AMF de la Commission nationale consultative des cirques et fêtes foraines, tout en regrettant que les concernés "pensent qu’il y a une volonté de les faire disparaître".
Et de poursuivre : "derrière ce problème d’aménagement urbain, il y aussi la volonté de mettre un peu en périphérie un certain nombre de nuisances et entre autres la production d’énergie électrique avec les groupes électrogènes, l’odeur des animaux, etc". A ces différents éléments d’explication, l’élu ajoute "une évolution de notre société vers une sécurisation maximum", évoquant "des morts dans des accidents de manèges depuis quelques années", en plus de la taille grandissante des attractions.
"Le métier de forain doit évoluer"
Mais pour la Fédération nationale des comités et organisation de festivités, habituée à jouer le rôle de médiateur entre les collectivités et le monde de la fête foraine, "l’attitude de certains forains" n’est peut-être pas à exclure non plus des pistes qui conduisent, dans certaines villes, à ce changement d’implantation. "C’est un métier à part, de père en fils, qui est basé sur une certaine tradition et même si certains en sont déjà conscients, leur métier doit évoluer dans le temps", estime Arnaud Thenoz. "On ne peut plus gérer une activité foraine comme on la gérait il y a cinquante ans, il faut s’adapter à la société", poursuit-il.
Quant à la question de savoir si le changement d’implantation des foires vers la périphérie tend à se généraliser, les différents acteurs ne semblent pas de cet avis. "Ça existe et ça continuera mais cela ne concerne pas la majorité des villes, chacune s’aménageant différemment dans le temps, et le mouvement de chaque commune étant indépendant", analyse Arnaud Thenoz. Et de citer l’exemple des villes de Nancy qui "a réussi à concilier aménagement urbain et conservation de la culture populaire en centre-ville", ou encore d’Epinal où "les élus sont attentifs à ce que la fête foraine de plus de 200 ans, reste où elle a toujours été".
"La pression monte depuis bien trop longtemps"
Dans l’Orne, la commune de Vimoutiers fait également figure d’exemple. "Toute la place a été refaite à neuf, avec des lampadaires et des bancs démontables", se réjouit l’administrateur du groupe Facebook "Soutien aux forains de France", soulignant qu’en amont des travaux, la municipalité avait même pris le soin de contacter tous les forains pour les en avertir.
Alors que des solutions semblent bel et bien possibles, l’AMF et la FNCO, respectivement membres de la commission nationale des professions foraines et circassiennes créée en 2018, misent beaucoup sur le dialogue entre les protagonistes. "La pression monte depuis bien trop longtemps", regrette Pierre Hérisson, rappelant que le rôle de la commission qui se réunit régulièrement est "d’essayer, autant que faire se peut, de faire comprendre à l’ensemble des 35000 maires de France qu’il faut que l’ensemble du pré de foire reste un lieu facilement accessible par la population." Une réunion doit justement avoir lieu ce jeudi.
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