Violences conjugales : vers la création d'une aide financière d'urgence pour les victimes ?

par Emilie ROUSSEY
Publié le 16 janvier 2023 à 18h39

Source : JT 20h WE

La proposition de loi de Valérie Létard a été adoptée à l'unanimité au Sénat en octobre.
Elle prévoit la création d'une aide financière d'urgence universelle pour les victimes de violences conjugales.
Le texte, revu par le gouvernement, a été débattu à l'Assemblée nationale, lundi 16 janvier.
La sénatrice du Nord explique à TF1info comment cette mesure pourrait s'appliquer.

C'est une mesure à vocation "universelle". Une proposition de loi prévoyant la création d'une aide financière d'urgence pour aider les victimes de violences conjugales à se séparer de leur conjoint abusif a été adoptée à l'unanimité du Sénat en octobre dernier. Un texte examiné lundi 16 janvier à l'Assemblée nationale et porté par la sénatrice centriste Valérie Létard. 

L'élue souhaite que cette aide vienne combler "un trou dans la raquette" dans les dispositifs déjà mis en place pour aider les victimes et compléter le "pack nouveau départ" présenté par le gouvernement en fin d'année 2022 pour permettre à celles et ceux qui subissent des violences conjugales de fuir le domicile. Si le texte présenté au Sénat a été réécrit par le gouvernement, le "mécanisme semble rester le même", estime la sénatrice du Nord, dans un interview à TF1info.

Il existe plusieurs dispositifs pour aider les femmes victimes de violences conjugales, qu'apporterait la loi que vous portez si elle est adoptée ?

Je travaille depuis de nombreux mois dans le département du Nord avec les acteurs qui œuvrent pour la lutte contre les violences conjugales sur les outils à disposition pour accompagner une personne victime à quitter le domicile et se libérer de l'emprise de quelqu'un. Nous nous sommes rendus compte qu'il y a un sujet qui n'a pas de solution et qui n'est pas traité, c'est l'emprise et la dépendance financière des victimes face à l'urgence de la situation. 

Quand une victime se retrouve dans une situation dangereuse pour elle et, le cas échéant, pour ses enfants, et qu'elle souhaite quitter le domicile, il y a toute une série de solutions qui sont envisageables et atteignables, mais il y en a une qui manque, c'est celle de l'obtention d'une aide financière pendant le délai qui est nécessaire pour rétablir ses droits sociaux. [...] Donc il faut créer cette aide universelle d'urgence, déblocable dans les 72 heures, quelle que soit la situation financière des victimes, pas seulement pour les bénéficiaires du RSA. Je peux être salariée, gagner 2500 euros par mois et ne pas avoir accès à mes propres ressources, et être en difficulté, surtout si j'ai des enfants, et ne pas oser partir, car je ne sais pas ce qui va se passer pendant le mois qui arrive.

Cette aide viendra compléter le "pack nouveau départ" sur lequel l'État réfléchit, [...] et qui comporte un trou dans la raquette : un dispositif pour toutes celles dans cette situation d'emprise financière.

Une aide déblocable en 72 heures

Comment les personnes victimes de violences conjugales pourront-elles concrètement bénéficier de cette aide financière d'urgence ?

La demande se fera au moment du dépôt de plainte ou d'un signalement qui pourrait être fait par un hôpital au parquet ou par un travailleur social au procureur. L'idée initiale de la proposition de loi, c'est qu'on puisse sous 72 heures mobiliser la caisse d'allocations familiales (CAF) ou la mutualité sociale agricole (MSA), qui elles-mêmes informeront le département pour qu'on puisse enclencher une instruction administrative de la demande et un accompagnement social dans les délais les plus courts possibles, pour que la personne victime puisse bénéficier d'une aide financière et de l'accompagnement social nécessaire à faire à côté. 

Dans l'esprit du projet de loi, comme il a été voté au Sénat, on parle d'une aide universelle sous forme de prêt, et non soumise à des conditions de ressources qui exclurait certaines victimes du dispositif. En fonction de la situation sociale, familiale et financière de la personne, cette aide peut bénéficier d'une remise totale ou d'une réduction. L'idée, c'est que ce prêt soit non remboursable pour ceux qui ont le RSA ou des revenus précaires. On laisse à la commission d'action sociale et au décret le soin de définir les seuils des caractères remboursables et non remboursables. Le gouvernement parle lui dans son texte réécrit d'une aide non remboursable, ou d'un prêt remboursable partiellement ou totalement en fonction de la situation, il écrit différemment les choses, mais l'intention est exactement la même. 

Il faut aussi aider les personnes dans les démarches qui suivent, c'est pour ça qu'on a proposé qu'au moment du signalement ou du dépôt de plainte, on puisse envoyer un formulaire simplifié pour signaler à la CAF que cette personne, avec son accord, sollicite l'aide. Car si on dit à la personne d'aller se débrouiller avec la CAF, je crains qu'elle n'y aille pas.

Une aide remboursée par l'auteur des violences "dès qu'il le peut"

Quel en sera le montant ?

Dans l'esprit du Sénat, c'est une aide d'un montant minimum mensuel qui devra être fixé par décret, équivalente au RSA, et prenant en compte la situation et notamment les enfants à charge. En sachant qu'il est difficile de moduler une aide pour une personne qui arrive sans ressources, sans papiers, elle a besoin d'une aide qui corresponde à un minimum vital qu'est le RSA, pendant un à trois mois, une aide à la hauteur de quelqu'un qui n'a rien, et des droits sociaux connexes maintenus. Ce sont des amendements qui sont en débat à l'Assemblée. 

Le gouvernement veut aussi maintenir, comme nous l'avions souhaité, le remboursement de cette aide par l'auteur des violences, mais via un mécanisme différent. Le tout c'est que ce soit possible, que l'auteur paie dès qu'il le peut. 

Une aide partiellement expérimentée dans le Nord

C'est une aide que vous avez déjà mise en place dans le département du Nord, où vous êtes élue. Quelles conclusions en tirez-vous ? 

J'ai proposé cette expérimentation au département et à la CAF du Nord, depuis trois-quatre mois, uniquement avec des personnes bénéficiaires du RSA, car le droit ne nous permet pas d'aller plus loin. Cette aide d'urgence a permis d'accélérer l'accès aux droits sociaux, de débloquer des situations, mais on se rend compte que c'est insuffisant, parce qu'il y a beaucoup de femmes victimes qui ne sont pas au RSA, qui peuvent être au SMIC, retraitées, âgées de moins de 25 ans, avoir l'allocation adultes handicapé, et avoir besoin de cette aide. L'état actuel de la loi ne nous permet pas de rendre universelle cette aide d'urgence que nous avons mis en place au niveau départemental, il faut une loi pour créer un dispositif universel et trouver une enveloppe, que l'État viendrait abonder. 

Dans le Nord, le fait de mettre tout le monde autour de la table a permis de résoudre des problèmes d'emprise financière et d'accélérer tout l'accompagnement global des victimes. Le "pack nouveau départ" ça doit être ça, cet accompagnement global. L'aide financière d'urgence proposée doit permettre la libération de l'emprise financière de trop nombreuses femmes. Car c'est quand même un sacré bataillon de femmes, et d'hommes, qui sont dans cette réalité. 


Emilie ROUSSEY

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