DÉCRYPTAGE - Dans son interview à "Brut" vendredi 4 décembre, Emmanuel Macron a repris à son compte l’expression "violences policières", suscitant une vive polémique dans une partie de l'opposition et chez les syndicats policiers. Pourquoi ce terme dérange-t-il tant ? La linguiste Michelle Lecolle nous éclaire.
C'est une expression qui ne passe pas. Dans son interview à Brut, vendredi 4 décembre, Emmanuel Macron a repris à son compte les "violences policières" au sujet de l'agression dont a été victime le producteur Michel Zecler. Il a indiqué qu'il n'avait "pas de problème à répéter le terme" tout en voulant le "déconstruire", estimant que l'expression était "devenue un slogan pour des gens qui ont un projet politique".
Une nuance qui n'a pas suffi à contenir l'ire d'une partie de l'opposition (Eric Ciotti demande des excuses pour son emploi par le chef de l'Etat), comme celle des syndicats de police.
Depuis les Gilets jaunes, le gouvernement marche en effet sur des œufs avec cette expression. Il l'a d'abord récusée. "Ne parlez pas de 'répression' ou de 'violences policières', ces mots sont inacceptables dans un État de droit", disait Emmanuel Macron aux journalistes en mars 2019. "Quand j’entends le mot 'violences policières', personnellement, je m’étouffe", assurait Gérald Darmanin, le 27 juillet, en commission à l'Assemblée nationale. Avant de tempérer, comme le chef de l'État, face aux vidéos incriminantes, de l'affaires Cédric Chouviat à celle de Michel Zecler, respectivement tué et tabassé lors d'un contrôle de police. "Dire que la République a un problème avec les violences policières, ce n’est pas vrai, mais chaque violence policière est un problème pour la République", avait ainsi prolongé le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti sur LCI le 26 novembre.
Pourquoi cette expression embarrasse-t-elle les autorités ? Et si on la juge tendancieuse, quelle serait la formulation la plus adéquate face aux flambées de violence ? Michelle Lecolle*, maitresse de conférences à l'Université de Lorraine, qui a écrit et publié un texte sur les violences policières, répond à nos questions.
Le terme dans la pluralité est fort, la réalité l'est aussi
Michelle Lecolle, linguiste
Pourquoi tant de crispations autour de l'expression "violences policières" ?
En sémantique, il existe plusieurs interprétations de "violences policières". Celle qui crispe, c'est celle qui signifie "la violence de la police". La police étant une institution de la République, n'étant pas en cela censée agir de sa propre initiative, il est bien évident que, pour des raisons politiques, les différents ministres et les autorités ne peuvent que récuser cette interprétation du terme. Autrement, ce serait avouer qu'il y a des violences répondant à des ordres et accréditer l’existence d’une sorte de système violent instauré au sein des forces de l’ordre. Une seconde interprétation vient aussi du fait qu’on peut interpréter "la police" comme "ensemble des policiers" et c'est une interprétation problématique pour le pouvoir parce qu'elle signifierait que l'ensemble des policiers aurait pris une autonomie par rapport à l'institution. La troisième interprétation, celle privilégiée par Emmanuel Macron dans son interview à Brut et qui se révèle très récurrente, c'est la "violence de certains policiers". Dès qu'il y a des images, ils ne peuvent pas le récuser, c'est donc cette interprétation qui s'impose comme la porte de sortie.
Diriez-vous que la force de cette expression va de pair avec la puissance des images que nous voyons avec les affaires récentes comme celles de Cédric Chouviat et Michel Zecler ?
Les événements récents filmés en vidéo font qu'Emmanuel Macron ne peut pas récuser ces violences. Tout le monde les a vues, ainsi qu'à l'étranger, où l'on est très sensibles à ce sujet, me semble-t-il. David Dufresne documente ces violences depuis les Gilets Jaunes et c'est, je crois, Le Monde qui, parmi les grands médias, a commencé à en parler de manière officielle. À un moment donné, on ne peut plus nier cette réalité. Si on emploie l'expression "violences policières" de manière directe, cela veut dire que l'on ne discute plus les termes. Si on dit "il y a des violences policières", votre interlocuteur peut toujours disputer le terme. Par contre, si vous dites par exemple "les violences policières ont connu une recrudescence cette année", l'attention est portée sur "recrudescence" et non plus sur "violences policières", qui passera comme lettre à la poste.
Pour autant, en l'employant, n'y a-t-il pas un vrai risque de banaliser cette expression, d'en faire une généralité ?
L'expression "violences policières" dans la pluralité est forte, parce que la réalité l'est aussi. Si elle venait à être banalisée, ce serait à travers l'inter-discours. Soit la circulation des discours faisant que certaines expressions finissent par s'ancrer dans la pratique discursive et que, du coup, on n'y fasse plus attention. Ce qui est à double-tranchant. On peut citer le linguiste Antoine Meillet qui, au début du XXe siècle, parlait d'une "spirale", ce qui est très juste. En d'autres termes, on emploie des termes hyperboliques pour frapper et ces termes deviennent courants, se banalisent, ne frappent plus tellement l'esprit et demandent à ce que l'on ajoute des superlatifs, des adverbes etc. il se peut ainsi que le terme "violences policières" se banalise, mais attention dans ce cas pour notre démocratie : le rapport entre les mots et les choses est certes complexe. Mais quand les mots forts ne viennent plus frapper l'esprit et deviennent banals, cela ne signifie-t-il pas que cette réalité est devenue banale ?
Peut-on sortir de ce débat ? Existe-t-il un terme plus consensuel que "violences policières" ?
Cette expression n'a pas été choisie par le pouvoir, il doit faire avec. L'expression éventuelle "force de la police" ne fonctionne pas d'un point de vue sémantique. Dire "l'exercice de la police" serait une manière neutre d'en parler, mais cela n’empêchera pas les responsables d'être rattrapés par la "parole de l'autre", soit celle des citoyens, celle de la presse, celle de l'opposition politique... Ce qui pourrait être proposé à la place, ce serait "violence des policiers" ou "violence de certains policiers"… si cela correspond à la réalité. Le plus "facile" serait la "modalisation", c'est-à-dire mettre à distance, atténuer... Et pour ce faire, il existe plusieurs moyens : guillemets, conditionnel, citations... Mais comme la réalité n'est jamais neutre... "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" a dit, parait-il, Albert Camus. Cela rappelle à quel point, parfois, il faut mettre des mots sur les choses.
*Auteure de Les noms collectifs humains en français. Enjeux sémantiques, lexicaux et discursifs, Limoges, Lambert Lucas.
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