Voitures, bus, vélos, trottinettes : les rues sont-elles devenues trop petites ?

par Mathilde ROCHE
Publié le 5 juin 2019 à 12h20, mis à jour le 11 juin 2019 à 14h51
Voitures, bus, vélos, trottinettes : les rues sont-elles devenues trop petites ?
Source : CHRISTOPHE SIMON / AFP

MOBILITÉ - Les villes sont en pleine mutation concernant leur offre de transport. Alors que de nouveaux moyens de déplacement envahissent rues et trottoirs, provoquant régulièrement des accidents, est-ils encore possible de partager l'espace public entre les différents usagers ?

Gyropodes, hoverboard, trottinettes électriques, ces nouveaux moyens de déplacement envahissent les rues des grandes villes en quelques années, si ce n'est quelques mois. Ils font partie de la "micro-mobilité", des machines portatives sur batteries électriques, permettant de gagner du temps dans les centres urbains surchargés.

Les politiques, d'abord dépassés par la multiplication des accidents, ont finalement tenté d'encadrer l'usage de ces engins, filant parfois jusqu'à 30 km/h sur les trottoirs. Paris a notamment mis en place une sévère réglementation concernant les trottinettes électriques, dont l'offre en libre service a démocratisé l'utilisation et dont le nombre est actuellement estimé à 15 000 à Paris et qui pourrait croître à 40 000 d'ici à la fin de l'année. 

Mais quelles sont les solutions à long terme pour se partager l'espace public ? Edouard Malsch, urbaniste et géographe, à la tête du site Urbanews, tente de nous apporter des réponses.

LCI : Quels changements impliquent l’arrivée des trottinettes électriques en libre-service dans le partage des rues ?

Edouard Malsch : La problématique de l’espace public trop restreint se posait déjà il y a cinq ou six ans, avec l’arrivée des skateboards et vélos électriques. Aujourd’hui le problème est encore plus criant : dans les métropoles les voiries sont trop encombrées et peu adaptées aux mobilités douces. Les villes commencent à peine à se transformer. Mais on est encore majoritairement dans une logique archaïque où tout est segmenté : les voitures, puis les bus, puis les vélos. Sauf que pour caricaturer, tous les quinze jours il y a un nouveau moyen de transport qui sort sur le marché. Trottinettes électriques mais aussi gyropodes, hoverboards, et on ne sait pas où les mettre. Il ne reste plus que le trottoir, qui récupère tous les engins de mobilité “autres” alors que ce ni suffisant ni adapté. 

LCI : Faut-il nécessairement faire de l’espace pour ces nouveaux modes de transport ? La réponse actuelle est plutôt d’en restreindre l’utilisation, voire de les interdire...

Edouard Malsch : Ce serait vraiment dommage car ces nouveaux moyens de déplacement combinent plusieurs avantages. Ils sont électriques et portatifs, car grâce aux évolutions technologiques les batteries sont de plus en plus petites. Ils permettent de répondre à un besoin de mobilité sur les petites distances et sont complémentaires des transports en commun. Ils permettent de remplacer les 15 ou 30 minutes à pieds qui vous séparent d’une station de métro ou d’un arrêt de bus. Ce sont des moyens de faciliter le “dernier kilomètre” non desservi, qui décourage certains et les incite à préférer la voiture. Interdire ces modes de transport n’est donc pas la bonne solution, il faut plutôt chercher à les inclure. Pour l’instant, on parle d’encadrer la vitesse, de brider les trottinettes, et c’est nécessaire pour des raisons de sécurité. Tant que l’espace n’est pas adapté, c’est évidemment dangereux de faire cohabiter des trottinettes à 25 km/h et des piétons. Mais ce sont des solutions à court terme. Sur le long terme, il paraît nécessaire de repenser notre système de déplacement urbain pour inclure tout le monde de manière cohérente.

Trottinettes électriques : faut-il les interdire ?Source : JT 20h Semaine

LCI : A l’inverse, est-ce-que la voiture a encore une place dans les centres-villes ?

Edouard Malsch : La question de l’interdiction se pose pour la voiture. Il paraît délicat de la faire complètement disparaître, mais elle tend à prendre de moins en moins de place dans les villes. Des voies anciennement dédiées aux voitures sont maintenant ouvertes pour les bus ou les pistes cyclables. Mais ce ne sont pas les trottinettes électriques qui poussent les voitures hors de la ville ! L’espace dédié à l’automobile a diminué progressivement dans nos centres-villes car il y a eu une prise de conscience sur le caractère peu écologique de ce moyen de déplacement, surtout en autosolisme. Cela se concrétise seulement maintenant dans certaines villes, le temps que les politiques d’aménagements urbains se mettent en place. Mais la diminution de l’emprise de l’automobile sur l’espace public se fait indépendamment de l’apparition de nouveaux modes de transport. Toute la question est de savoir comment réattribuer cet espace libéré pour inclure la micro-mobilité.

LCI : Quelles sont les solutions pour partager l’espace public dans des villes déjà saturées ?

Edouard Malsch : Il faut repenser tout le système de voirie mais aussi interroger cet encombrement généralisé de l’espace public, par les lampadaires, les poteaux, les panneaux publicitaires, les poubelles, les boîtes aux lettres, etc. Les solutions viendront en réfléchissant plus globalement à tout l’espace interstitiel entre les bâtiments, pour construire des espaces publics plus flexibles, plus inclusifs, et permettre ainsi une diversification des usages. Rassembler tous les usagers de la mobilité douce sur une même voie ne fonctionnerait pas, notamment à cause des écarts de vitesses. A l’inverse, il est impossible de fragmenter complètement l’espace et d’attribuer une voie exclusive à chaque engin, il y en a trop et c’est encore amené à évoluer. Il faudra trouver un juste milieu. Une première idée pourrait être de faire des voies spéciales “véhicules doux et électriques” avec une vitesse qui pourrait être limitée ?

LCI : Comment rattraper notre retard en terme d’infrastructures ?

Edouard Malsch : C’est toute la difficulté : le délai entre l’idée et sa concrétisation, est toujours long. L’exemple du vélo est particulièrement criant, cela fait très longtemps qu’on le met en avant, que les villes veulent lui donner de la place, mais on ne concrétise tout cela qu’aujourd’hui. Maintenant il y a de vrais réseaux cyclables urbains, avec des obligations de créations de pistes cyclables lorsque les routes sont réaménagées. Mais on se rend compte que c’est déjà dépassé parce qu’on leur attribue des voies exclusives alors qu’il faudrait déjà inclure les trottinettes, gyropodes, etc. Il y a une inertie à faire changer les choses et la technologie va beaucoup plus vite que la mise en oeuvre des politiques en matière de déplacement. Donc, malheureusement, le retard risque d’être perpétuel. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à une amélioration de l’espace public.


Mathilde ROCHE

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