VOS SOUVENIRS DE MAI 68 – "Dans le Puy-de-Dôme, c’était une fête permanente avec barbecue trois fois par semaine"

par Sibylle LAURENT
Publié le 11 mai 2018 à 8h00

Source : JT 20h WE

50 ANS APRÈS – Alors que la France célèbre Mai 68, LCI a sollicité des acteurs ou témoins anonymes de ces événements pour qu’ils nous racontent les souvenirs qu’ils en gardent, l’anecdote ou la scène qui les a marqués. Aujourd’hui, retrouvez le témoignage de Michel. En mai 68, il préparait les concours pour entrer en école d’architecture.

"Pendant l’année 67-68, j’étais en classe préparatoire au concours de l’école d’architecture à Paris ; les épreuves écrites et dessinées avaient lieu en avril pour permettre le déroulement des oraux en mai et juin pour les admissibles. Jeune étudiant, récemment arrivé à Paris,  j’étais accaparé  par mes concours et coupé du contexte ambiant.

Or, début mai, ayant terminé les écrits, je rentre chez moi, à Riom dans le Puy-de-Dôme, pour préparer mes oraux. On était à la veille des grandes manifestations qui allaient bloquer le pays. J’ai commencé mes révisions au moment où le pays se bloquait. Dans l’impossibilité de retourner à Paris et sans nouvelle des dates des épreuves, j’étais particulièrement énervé. Pour me passer les nerfs, j’ai planté quatre piquets dans la luzerne dans la propriété familiale et j’ai commencé à creuser dans le but de faire une piscine. Tous mes amis, bloqués pour une raison ou une autre dans notre petite ville de province, sont venus nous donner la main et nous avons fait pendant un mois un énorme chantier qui nous a permis de creuser une piscine de 80 m cube.

Impossible de rallier Paris

C’était une fête permanente, coupée du monde, avec méchoui et barbecue trois fois par semaine. Tous nos parents et les fournisseurs de matériaux étaient en admiration devant ces jeunes qui travaillaient au lieu de manifester. Ce qu’ils n’avaient pas forcément compris, c’est qu’il n’y avait pas de moyens de transport pour nous rendre là ou s’écrivait mai 68.

C’est en septembre et toujours sans date pour les oraux que j’ai réussi à rejoindre Paris en stop (j’étais fauché). J’ai découvert l’école d’architecture en effervescence et en pleine révolution. L’atelier auquel j’étais inscrit l’année précédente n’avait pas survécu à une grande réforme de l’enseignement qui avait éclaté l’école d’architecture en une dizaine d’unités pédagogiques (UP). J’ai rejoint mes condisciples de prépa, qui était située quai Malaquais, un des centres de gravité de la révolution estudiantine. 

Beaucoup de contestations, toujours pas de dates pour les résultats des écrits et pour les oraux... Avec huit autres camarades dans la même situation, nous décidons de prendre notre formation en mains avec l’aide de quelques professeurs, qui étaient eux-mêmes incapables de nous indiquer quels enseignements nous devions suivre. Nous avons introduit dans notre cursus les sciences sociales et comportementales, et mis un peu de côté les principales disciplines de l’enseignement académique. La fin de l’année arrivait, et j'étais toujours sans nouvelle des oraux. C'est finalement par le journal officiel que j'ai appris mon admission, sans oraux, à l’Ecole nationale supérieure d’architecture. 

"J'ai bu le whisky du ministre Chalandon"

L’année 1969 a été marquée par de l’autoformation tout azimut : unités de valeurs aux Arts et Métiers, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à l’Université de Vincennes, entrecoupée de manifestations diverses. L’une d’elle m’a d’ailleurs conduit à participer à l’occupation du ministère du Logement boulevard Raspail. Nous nous sommes introduit jusqu’au bureau du ministre Chalandon, où j’ai même pu déguster son whisky ! Mais nous avons vite été rattrapés par la police arrivée en renfort, et avons été conduits en fourgon cellulaire au centre de rétention de Beaujon. On nous y a retenu 24 heures, entrecoupés d’’interrogatoires. Ce coup d’éclat n’a pas eu de conséquence sur ma vie universitaire. 


Sibylle LAURENT

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