VOS SOUVENIRS DE MAI 68 - "Les policiers les ont tabassés à coups de matraque"

par Antoine RONDEL
Publié le 8 mai 2018 à 8h00
VOS SOUVENIRS DE MAI 68 - "Les policiers les ont tabassés à coups de matraque"
Source : Claudine Tixier

50 ANS APRÈS – Alors que la France célèbre Mai 68, LCI a sollicité des acteurs ou témoins anonymes de ces événements pour qu’ils nous racontent les souvenirs qu’ils en gardent, l’anecdote ou la scène qui les ont marqués. Aujourd’hui, retrouvez le témoignage de Claudine, adolescente de la Creuse, que la distance n'a pas empêché de vivre pleinement les événements... pour le meilleur et pour le pire

"Dans mes souvenirs de Mai-68, il y a 80% de positif et 20% de souvenirs très durs. En tout cas, je peux vous dire que j’ai vécu tout ça de manière très forte.

J'allais avoir 14 ans. J’habitais à Aubusson, dans la Creuse, au fin fond de la France profonde, dans une école, où étaient logés mes parents instituteurs. On était toute une bande d’enfants d'instits, toujours ensemble. Ma mère faisait classe dans l’école, au rez-de-chaussée, et nous habitions à l’étage. Quand les événements ont commencé, avec mes 'collègues' enfants d’instits, on s’est mis à fond dedans, pour tromper l'ennui né de la grève dans notre école. La fièvre n'a pas atteint ma petite ville. Alors, mes copains et moi, avions décidé de mettre un peu d'animation et de réveiller cette ville endormie. 

Notre première cible était l'école. Nous avions fabriqué des drapeaux noirs, de toutes sortes, qu’on accrochait dans les couloirs de l’école, dans les salles de classe, etc. Des affiches, aussi, sur lesquelles nous recopiions les slogans inventés par les étudiants parisiens, pimentés de quelques fautes d'orthographe : 'Il est interdi d’interdire', 'Faite l'amour pas la guerre !', 'Ce n'est qu'un début, continuons le comba !' On avait meublé l’école de toutes sortes de choses, au grand dam de de l’inspecteur de l'Education nationale qui chaque matin, quand il arrivait pour recevoir des gens dans son bureau, faisait savoir tout le bien qu’il en pensait. Enfin... il avait beau être scandalisé de voir nos banderoles dans le couloir, il ne les enlevait pas.

A l'époque, je passais le brevet et, si mes souvenirs sont bons, je n'ai pas eu cours pendant un mois. J'ai fini par le passer et ensuite, il a été dit que l'examen avait été donné à tout le monde... bon, ils le donnent aujourd'hui à tout le monde aussi, donc c'est pas très grave. Pour mon frère, c'était pareil. Il a passé le bac et il a été beaucoup dit qu'en 1968, les diplômes avaient été donnés à tout le monde. Est-ce que c'était vrai ? En tout cas, le taux de réussite au bac à l'époque, qui était beaucoup plus rude que maintenant, avait fait un bond, cette année-là (59,6% en 1967, 81,3% en 1968, ndlr).

Il y avait un jeune homme, peut-être un étudiant, qui avait été frappé si fort qu'il était en sang. (...) Ça nous a sidérés !
Claudine

C'est une période très particulière, très exaltante, même du fin fond de la Creuse, même s'il ne se passait rien dans ma commune. J'entendais mes parents, profondément de gauche, tendance SFIO (l'ancêtre du Parti socialiste, ndlr) critiquer l'ordre établi, quand bien même ils étaient plutôt obéissants, en tant qu'instituteurs. Je me souviens de mon père hurlant contre Michel Droit, un présentateur de télé très critique envers les manifestants, sur l'ORTF, où nous suivions les événements parisiens. Pour eux, Mai-68 soulevait des espoirs - bien retombés depuis, il faut l'avouer. Le mouvement était très général : on ne se contentait pas, comme aujourd'hui, de manifester pour sauver les services publics, ou de demander une augmentation des salaires. Les mots d'ordre n'étaient pas seulement politiques - sauf à considérer que tout est politique : il y avait beaucoup de liberté dans les revendications. A titre personnel, j'avais senti que je recevais une éducation différente de celle de mon frère : lui avait le droit de tout faire, et moi, je n'avais pas le droit de sortir. Mai 68 a insufflé un esprit qui a pu faire changer cela.

Mais il n'y a pas eu que du positif. Comme ce jour où, pour aller rendre visite à mes grands-parents, qui habitaient dans le Puy-de-Dôme, nous étions passés par Clermont-Ferrand. A l'époque, il n'y avait pas de boulevard périphérique, et il nous fallait donc traverser la ville. Nous nous sommes alors retrouvés coincés par une énorme manifestation. A côté de nous, des gens regardaient tout ça depuis le trottoir, jusqu'à ce que trois cars de policiers arrivent à grande vitesse, s'arrêtant juste à côté, nous barrant la route. Ils ont attrapé ces gens-là, et les ont tabassés à coups de matraque, avant de les mettre dans le panier à salade. Il y avait un jeune homme, peut-être un étudiant, qui avait été frappé si fort qu'il était en sang. Il y avait même des traces sur le trottoir. Ça nous a sidérés : mon père était blanc comme un mort. Ça a dû durer une demi-heure. C'était stupéfiant. Cet épisode m'a renforcé dans mes convictions, moi qui avais toujours eu un petit côté rebelle. Vous imaginez, avoir 14 ans et être témoin de pareille violence ? Résultat, j'ai fini par faire de la politique. A un niveau local, puis j'ai commencé à militer quand François Mitterrand a quitté le pouvoir, en 1995. Et aujourd'hui, je suis engagée auprès de Génération·s."


Antoine RONDEL

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