VOS SOUVENIRS DE MAI 68 - "Parfois, les messieurs qui me prenaient en stop voulaient s'arrêter à Boulogne..."

par Antoine RONDEL
Publié le 9 mai 2018 à 8h00, mis à jour le 9 mai 2018 à 11h06
VOS SOUVENIRS DE MAI 68 - "Parfois, les messieurs qui me prenaient en stop voulaient s'arrêter à Boulogne..."
Source : AFP

50 ANS APRÈS – Alors que la France célèbre Mai 68, LCI a sollicité des acteurs ou témoins anonymes de ces événements pour qu’ils nous racontent les souvenirs qu’ils en gardent, l’anecdote ou la scène qui les ont marqués. Aujourd’hui, retrouvez le témoignage de Danielle, qui devait faire du stop pour se rendre de son domicile à son travail à Neuilly.

Je suis né le 11 août 1949. J'avais terminé mes études, je vivais avec ma mère, nous venions de l'Aveyron. Ma mère m'avait émancipée alors que j'avais tout juste 18 ans, et il a donc fallu que je travaille très vite. Il n'y avait pas grand amour de sa part, mais bon, je me suis débrouillée. Je tenais ainsi un magasin "Félix Potin", à Neuilly, rue de Chartres. Je vendais de la farine, du sucre, des œufs... Ça tombait bien, vu ce qui se passait à ce moment-là. 

Pour aller au travail, je passais toujours dans Paris puisque maman habitait dans le XVIIIe arrondissement, rue Leibniz, dans une cité ouvrière, qui a depuis été détruite. Comme il n'y avait pas de transports en commun, je faisais du stop. Et forcément, c'était compliqué, car il m'arrivait de passer dans le quartier latin, notamment, là où ils avaient lancé des pavés contre les policiers : les voitures étaient à l'arrêt, les rues étaient dans un état... C'est vrai que ce n'était pas très direct, pour moi (le XVIIIe est au Nord de Paris, Neuilly à l'ouest, et le quartier latin, dans l'autre direction), mais avec la pénurie d'essence, les automobiles étaient rares et j'étais prête à faire des détours pour me rendre à mon travail. 

Quelques fois, j'ai été importunée par les personnes qui me prenaient en stop. C'étaient souvent des messieurs qui me prenaient en voiture et, parfois, ils voulaient s'arrêter à Boulogne ou à un autre endroit pour... j'ai su me défendre, quand même, mais ce n'était pas facile. Même s'il ne m'est pas arrivé de grosses bêtises, ce n'était pas drôle. Enfin, c'est la vie...

Au bout de deux jours, je n'avais plus rien, ce qui fait que j'ai dû fermer boutique
Danielle, gérante de magasin Félix Potin

Malgré tout, j'étais contente de travailler chez "Félix Potin" et d'avoir la gérance du magasin, si jeune. C'était une grande chaîne d'épicerie, ça n'existe plus, maintenant ! En mai 68, j'ai été dévalisée très vite. Les gens craignaient la pénurie, ils râlaient contre les grévistes et les étudiants. Il faut dire que j'étais installée dans un très beau quartier de Neuilly. Moi, je leur parlais, et je leur disais que si elle était en colère, la jeunesse avait bien le droit de manifester, parce que son mal de vivre, qui la poussait dans la rue, ça résonnait en moi . En tout cas, au bout de deux jours, je n'avais plus rien, ce qui fait que j'ai dû fermer boutique. L'avantage, c'est qu'étant gérante du magasin, j'avais pu provisionner de quoi me fournir. 

J'ai beaucoup aimé cette époque, même si mon souvenir est flou. C'était à la fois beau et moche. C'était dur, mais en un sens, ça m'a fait grandir très vite. A 18 ans, j'étais déjà grande, sur le plan moral : grâce aux responsabilités dans le magasin et à ma proximité avec les événements. Je n'ai pas participé aux grèves, aux manifestations, n'étant pas étudiante, mais j'y étais, en spectatrice. Ça m'a beaucoup marquée, j'en retire beaucoup de nostalgie, d'émotion et de fierté : peut-être que ça m'a amené à m'émanciper de ma mère un peu plus. J'ai fini par rencontrer quelqu'un et, à l'âge de 20 ans,  j'avais déjà mon premier enfant, et tout au long de ma carrière, j'ai ouvert d'autres magasins, une station service. Ça a été une période charnière, parce que j'ai vraiment dû apprendre à faire pleins de choses, toute seule.


Antoine RONDEL

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