L'info passée au crible

Vrai ou faux pompier ? Nous avons retrouvé le manifestant blessé à la jambe lors de la manifestation du 15 octobre

Claire Cambier et Cédric Stanghellini
Publié le 16 octobre 2019 à 17h46, mis à jour le 17 octobre 2019 à 10h51
JT Perso

Source : JT 13h Semaine

A LA LOUPE - Une vidéo d'un pompier blessé lors de la manifestation du mardi 15 octobre à Paris a été relayée des milliers de fois, suscitant de nombreuses réactions. Certains internautes remettent en doute l'identité du manifestant ainsi que sa blessure. A La Loupe est parti sur ses traces.

Il est devenu l'un des symboles du ras-le-bol des pompiers. Une vidéo tournée ce mardi lors de la manifestation des soldats du feu, montre un manifestant, très remonté, montrer une blessure à la jambe. "Je me suis fait tirer dessus à bout portant, il m’a regardé droit dans les yeux, comme ça, pan !" dénonce le jeune homme. Il accuse les forces de l'ordre de l'avoir blessé alors qu'il cherchait à "récupérer un copain". Et d'annoncer, face caméra, qu'il compte démissionner, en insultant copieusement au passage le président de la République : "Je suis pompier, c'est terminé ! Ça fait onze ans que je fais ce métier, c'est fini ! Macron va te faire enc**** ! Va ramasser les gens dans la rue tout seul ! [...] Ta police, elle me tire dessus !" 

Scepticisme sur Twitter

Postée sur le compte Twitter de Cerveaux Non Disponibles, la vidéo enregistre ce mercredi après-midi plus 485.000 vues mais aussi de fortes réactions. Certains se montrent horrifiés et dénoncent de nouvelles violences policières. D'autres remettent en cause la véracité du témoignage. 

"Ce monsieur fait de la politique et non de l'assistance aux personnes en danger. Il était pompier et est devenu membre du RHaine (RN, ndlr)", accuse, en réponse à la vidéo, un internaute. "Reprocher à un président élu depuis 2 ans ses conditions de travail depuis 15 ans démontre bien que ce message n'est pas crédible mais juste politique". Connait-il l'identité du manifestant blessé ? Contacté par LCI, cet utilisateur n'a pas donné suite.

Abdoulaye.Kant, un policier dont le compte est très suivi sur Twitter, estime que le manifestant n'est même pas un pompier. "Simplement un pompier ne tiendrait pas des propos comme ça, un pompier ne viendrait pas avec des gants coqués...Malheureusement aucune crédibilité...", indique-t-il. A un internaute qui lui demande des explications, il répond : "Je maintiens ce que j'ai dit sur cette personne qui se fait passer pour ce qu'il n'est pas.. Je trouve même triste qu'il profite de la manif des pompiers pour son cinéma. Autant je déplore les violences contre les pompiers qui ne sont pas acceptables mais lui..."

D'autres estiment qu'il s'agit d'un Gilet jaune venu semer le trouble et dénonce ses "gants coqués" et une "fausse plaie maquillée".

Alors qu'en est-il ? Qui est ce manifestant et que s'est-il passé ? Nous avons interrogé le média alternatif Cerveaux non disponibles, qui nous indique que la personne qui a filmé cette scène est "une personne de (leur) entourage" - "Nous (...) n'aurions pas publié cette vidéo si son auteur n’était pas connu de nous" - et nous renvoie vers la première publication, sur le compte de Nnoman, un photojournaliste indépendant. La vidéo - vue 315.000 fois - est créditée. 

Contacté par LCI, l'auteur Anto Nino nous explique qu'il ne participait pas à la manifestation mais passait à proximité de la place de la Nation : "J'étais un simple passant, j'ai vu que ça a chauffé et je suis resté un peu". "J'étais choqué que les forces de l'ordre s'en prennent à des pompiers et j'ai discuté avec des personnes présentes sur place." Le pompier qui témoigne dans la vidéo n'était pas loin etn en les entendant, leur a raconté sa mésaventure. "Ça a été très spontané, je lui ai demandé si je pouvais le filmer pour qu'il raconte et il m'a dit 'oui avec plaisir'".

Concernant l'identité de ce témoin, il ne peut rien confirmer : "Ce que je peux dire, c'est qu'il était habillé comme un pompier mais je n'ai pas son nom, je ne le connaissais pas, je lui ai juste demandé l'autorisation de le filmer et après, on le voit à la fin de la vidéo, il est reparti vers la place de la Nation". Pour ce qui est de la blessure, même prudence : "Je l'ai vue, mais je ne suis pas médecin, je ne l'ai pas touchée."

Lorsque l'on regarde de plus près la tenue du manifestant, on remarque un autocollant "CGT SDIS 77". Il s'agit d'un syndicat du Service Départemental d'Incendie et de Secours de la Seine-et-Marne (77). Nous interrogeons donc en parallèle cette antenne locale. Le cégétiste Jean-Christophe Cantot - qui a lui-même participé à la manifestation - nous confirme qu'il connait bien le jeune homme, pompier dans le département voisin de l'Essonne, et que ce dernier a effectivement été blessé à la jambe. Il nous livre son identité. 

Le Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de l'Essonne nous confirme également qu'il s'agit "de quelqu'un de chez (eux)", mais ne peut ni confirmer ni infirmer la blessure. En fin d'après-midi, le Sdis 91 est d'ailleurs revenu sur cet événement, dans un communiqué, pour "condamner fermement ces faits et débordements contraires à l’image du service public et aux valeurs des sapeurs-pompiers". 

En quelques clics, nous retrouvons sa trace sur les réseaux sociaux. Son compte Facebook comporte notamment plusieurs photos personnelles ainsi que des emblèmes des pompiers de Paris et des pompiers de Corbeil-Essonne. Ce manifestant souhaite garder l'anonymat. "Oui, c'est bien moi sur la vidéo, nous confie-t-il. Je suis bien pompier - à Corbeil-Essonne - et avant cela, j'ai été pompier de Paris pendant 6/7 ans". Son engagement chez les soldats du feu a même commencé très tôt : "J'étais jeune pompier à l'âge de 12 ans en Seine-et-Marne". Fait-il partie des Gilets jaunes ? "Je n'avais jamais manifesté auparavant", assure-t-il. Quant au fait qu'il soit équipé de gants coqués et de lunettes de piscine, celui-ci explique : "C'était pour me protéger". 

Il nous livre sa version des faits qui lui sont arrivés place de la Nation : "Les forces de l'ordre ont traversé le cortège (pour bloquer les manifestants), moi j'ai réussi à passer mais pas mes collègues". Ce père de deux enfants aurait alors voulu aider un pompier tombé à terre, avant qu'un CRS ne lui tire dessus avec ce qui semble être un LBD. "C'est vrai que des pompiers ont cherché à bloquer le périphérique, mais la manifestation était totalement pacifique. Personne n'a brûlé de poubelles ou caillassé qui que ce soit. Cela ne méritait pas cette violence."

"Aujourd'hui, j'ai la peau de la cuisse dure, noircie, ça suinte", et à ceux qui mettraient en doute sa plaie, "je les invite à venir voir chez moi", tance-t-il. Nous avons pu visionner d'autres photos de la blessure, prises sous d'autres angles le jour de la manifestation et ce mardi, qui l'authentifient.  

Ce n'est pas le pompier qui parle, c'est un homme en colère qui vient de se faire tirer dessus

Le pompier blessé

Le ton est bien plus apaisé que dans la vidéo, au sujet de laquelle le jeune homme reconnait d'ailleurs s'être emporté : "Ce n'est pas le pompier qui parle, c'est un homme en colère qui vient de se faire tirer dessus", contextualise-t-il. Il nous confie regretter les insultes au président de la République ainsi que l'annonce de sa démission. Il a également bien conscience qu'il pourrait être sanctionné par sa hiérarchie. "J'espère qu'on n'en arrivera pas là. Je ne suis pas un bagarreur, je n'ai jamais insulté un policier. En arrivant à la manifestation, on a serré la main des forces de l'ordre avec des collègues". 

Il souligne qu'il n'a pas été interpellé et assure, pour prouver une fois encore sa bonne foi, que "dans la minute qui suit la vidéo", il a apporté assistance à un CRS. "Il convulsait par terre. Avec un collègue on lui a donné notre sérum physiologique, notre eau, nos gâteaux et on l'a accompagné à proximité d'une pharmacie. Je suis sûr qu'il se reconnaîtra". S'il regrette aujourd'hui le ton employé, son message reste identique : il dénonce les violences commises par les forces de l'ordre à l'encontre des manifestants et surtout "les dégradations" subies par sa profession "depuis trente ans", sans que le gouvernement n'agisse.

Contacté par LCI, la préfecture n'avait pas, à l'heure de la publication de cet article, donné suite à nos sollicitations.

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Claire Cambier et Cédric Stanghellini

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