INTERVIEW - En conférence de presse, les footballeurs Cristiano Ronaldo et Paul Pogba ont écarté tour à tour des boissons sponsors de la compétition, qu’ils n’ont pas jugé à leur goût. L’économiste Luc Arrondel nous éclaire sur ces gestes, inédits dans une compétition internationale comme l'Euro.
Ce sont deux séquences qui ont retenu l’attention, en marge des matches disputés mardi 15 juin. En conférence de presse, le footballeur star Cristiano Ronaldo a écarté deux canettes de soda placées sur la table devant lui, demandant à ce qu’elles soient remplacées par de l’eau. Un peu plus tard, le joueur des Bleus Paul Pogba lui a emboîté le pas face à la presse en cachant une bouteille de Heineken sous la table, sans un mot. Des gestes qui semblent n’avoir jamais été vus auparavant dans une compétition internationale de football, sponsorisée par de nombreuses marques. Alors, effet d’annonce ou réelle prise de position ? Sommes-nous face à un début de rébellion des joueurs contre certains sponsors choisis par l’UEFA ? Luc Arrondel, économiste et spécialiste du football, a répondu à nos questions.
Est-ce que de tels gestes peuvent avoir de l’influence sur les compétitions ou doivent-ils être pris comme de la pure communication ?
Luc Arrondel : Il faut d’abord rappeler que Ronaldo est un influenceur, il est le footballeur le plus actif sur les réseaux sociaux. On met souvent en avant sa longévité, qui serait liée à son hygiène de vie irréprochable. Quand il fait un geste pareil, ce n’est pas anodin. Ça peut être un coup de com’, sachant que sur les 120 millions d’euros qu’il touche, 50 millions sont des revenus commerciaux. Après, cela pourrait remettre en cause le contrat entre l’UEFA et Coca. On n’en est pas là, mais c’est une hypothèse. Quand Coca investit dans le foot, c’est pour gagner en visibilité. Si son image véhiculée par l’UEFA est négative, il risque d’arrêter sa collaboration. Sauf que la part des revenus commerciaux de l’UEFA au niveau de l’organisation d’un Euro équivaut à peu près à 20% des recettes. Ce n’est pas quand même pas rien.
N’est-ce pas un peu paradoxal compte tenu des sommes gagnées par les joueurs grâce aux marques ?
LA : Bien sûr qu’il y a une hypocrisie. À partir du moment où une partie de leurs revenus sont des revenus commerciaux…. Mais en réalité, l’argent qui est généré par le foot va aux joueurs. Si à l’avenir, il y a moins d’argent dans le foot, les footballeurs en auront moins. Est-ce qu’ils l’accepteront ? C’est toute la question. Ce sont eux qui profitent du système pour l’instant. Est-ce qu’ils ne se tirent pas une balle dans le pied ? En réalité, on en est encore loin. Et puis il n’est pas impossible que d’autres marques, plus compatibles socialement, viennent se substituer à ces marques qui n’ont plus le vent en poupe.
Est-ce que ça s’est déjà vu dans de grandes compétitions ? On se souvient de Johan Cruyff, joueur néerlandais, qui avait fait retirer les bandes Adidas de son maillot….
LA : C’est exact. En 1974 pendant la Coupe du monde, Johan Cruyff était sous contrat avec Puma et avait caché une bande de son maillot Adidas. Il était donc le seul joueur à jouer avec deux bandes alors que tous les autres jouaient avec trois bandes, parce que l'équipe néerlandaise était sous contrat avec Adidas. Il y a eu d’autres épisodes de ce genre, comme Zlatan qui avait caché la marque de ses chaussures (lors d’un entrainement en 2014, le joueur suédois avait arboré des chaussures noires Nike Tiempo, un modèle ne laissant pas apparaître le célèbre logo de la marque, ndlr). Mais les motivations n’étaient pas les mêmes, car il était question d’équipementier dans ces cas de figure.
Peut-on le voir comme le début d'un mouvement de rébellion des joueurs à l'égard de certains sponsors ?
LA : Ici, ce qui était marquant, c’est que Pogba y va de son geste aussi. Ce n’est sans doute pas le même message, mais c’était assez original. Ronaldo est une telle star qu’il peut se permettre ce genre de choses. Pogba peut être un peu moins, il n’a pas la même carrière pour l’instant. De manière plus générale, il se passe beaucoup de choses dans le foot en ce moment, avec la Super Ligue (la tentative de sécession de l'UEFA de 12 clubs de football européen, ndlr), l’arrivée des GAFAN (Amazon a été choisi par la LFP pour diffuser certains matchs de Ligue 1)… On peut citer aussi la Coupe du monde féminine et les mouvements féministes, le geste de Griezmann et son refus de sponsoring avec Huawei en soutien aux Ouïghours… Il y a quand même des prises de conscience, qu’elles soient politiques ou de santé dans le cas de Ronaldo. On est peut-être à l’aube d’une nouvelle période.
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