Pourquoi la Coupe du monde des Bleus nous fait voir la vie rose

par Maëlane LOAËC
Publié le 14 décembre 2022 à 10h00, mis à jour le 14 décembre 2022 à 13h49

Source : JT 20h Semaine

En dépit des appels au boycott, les matchs de la Coupe du monde enregistrent des records d'audience.
Un engouement d'autant plus fort que les Bleus figurent dans le dernier carré.
Tant sur le plan collectif qu'individuel, la compétition offre provisoirement une parenthèse d'exaltation et d'apaisement, nous expliquent deux spécialistes.

Températures hivernales, inflation et crise énergétique, guerre en Ukraine, épidémies croisées... la Coupe du monde 2022 s'est ouverte le 20 novembre dernier au Qatar dans un contexte loin d'être festif. Sans compter les nombreux appels au boycott lancés à travers la France, après une pluie d'accusations contre le pays du Golfe, des milliers de morts présumées sur les chantiers au non-respect des droits de l'homme dans le pays, en passant par l'empreinte environnementale colossale de la compétition. Les audiences télévisées de cette édition hivernale, pourtant, atteignent des sommets, au fur et mesure que les Bleus grimpent les marches vers la finale. 

Le match France-Angleterre diffusé samedi soir sur TF1, qui a envoyé l'équipe de France en demi-finale, a rassemblé 17,7 millions de téléspectateurs, un chiffre record depuis 2018, qui marque même la meilleure performance pour un quart de finale de Mondial depuis 2006. "C'est comme si le phénomène d'engouement s'était accentué cette année, en dépit de ses conditions très particulières", estime auprès de TF1info Jean-François Pradeau, professeur de philosophie à l'université de Lyon et auteur de l'ouvrage Dans les tribunes - Éloge du supporter (édition Belles Lettres, 2010). 

Une communion sentimentale et affective qui n'a aucun équivalent
Jean-François Pradeau, professeur de philosophie

"C'est donc qu'il y a quelque chose de très profond derrière : le Mondial est un fantastique moment de réjouissance, il produit une forme de communion sentimentale et affective qui n'a aucun équivalent", explique-t-il. Une exaltation liée selon lui à la popularité inégalée du football à travers la planète, mais pas seulement : il s'agirait aussi d'adoucir une société "crispée"

"Dans ce moment particulièrement pénible, les gens se retrouvent en famille ou dans des lieux collectifs, les bars ou les cafés. Le foot répond à un besoin, celui de tout simplement prendre plaisir à se réjouir ensemble, de manière pacifique et apaisée, y compris avec des inconnus et sans tenir compte des différences de classe", développe-t-il. De quoi faire "le contre poids des querelles sociales et politiques". Les joueurs, eux, incarneraient même en quelque sorte des représentants pour les Français : "ce ne sont pas des modèles pour tout le monde, mais ils portent les couleurs de la nation là-bas et nous donnent des motifs de satisfaction qui, par comparaison, ne sont pas du tout ceux que donne la classe politique", avance prudemment le philosophe.

"Le Mondial peut être véritablement fédérateur, d'autant plus quand on s'avance dans la compétition : même ceux qui ne sont pas de grands amateurs de foot s'y intéressent", abonde Jean-Paul Labedade, psychologue du sport. Premier évènement d'ampleur depuis la crise sanitaire, il est aussi "un baume, un antalgique" pour ceux qui ont le plus souffert des restrictions. 

Envie de revanche et goût du spectacle

À l'échelle plus personnelle, les matchs peuvent également offrir une "parenthèse salutaire". "Si certains sont malheureux dans leur quotidien et peinent à trouver leur place, ils peuvent tirer de cet évènement et l'exaltation du pays qui en découle une sorte de revanche. Cela dépasse largement le cadre du sport", ajoute le psychologue. Quant au sportif, "on s'identifie à lui, on court et on marque avec lui", jusqu'à épouser complètement sa joie ou sa peine, quitte à provoquer parfois des débordements.

Sans oublier le spectacle des matchs, "leur suspense, le stress et l'émotion" : "La dramaturgie, la scénographie, les chorégraphies des joueurs sur le terrain, mais aussi toute la narration autour des équipes... Chaque confrontation est un récit dans laquelle le supporter est partie prenante. Et contrairement au cinéma ou au théâtre, on ne sait jamais comment cela va finir, tout peut basculer dans les dernières minutes", détaille le psychologue. 

Une séquence enivrante que même une défaite de l'équipe de France ne pourrait pas ternir, s'accordent à dire les deux spécialistes. Ni même la culpabilité d'appels manqués au boycott : "le gain collectif et affectif est bien trop considérable", estime Jean-François Pradeau. 

Attention toutefois pour les plus grands amateurs au contrecoup de la fin de la compétition, suivie d'une "période d'abstinence", note Jean-Paul Labedade. La cohésion collective, elle, risque de s'émousser rapidement. Janvier 2023 s'annonce aussi particulièrement tendu sur le plan social, "le gouvernement semblant prêt à décaler la réforme des retraites après les fêtes", le temps que l'effet Mondial ne s'estompe, ajoute de son côté le professeur de philosophie. Reste néanmoins des vocations que la compétition aura peut-être créées chez les plus jeunes, et plus largement tous les bienfaits psychologiques qu'elle aura laissés : "un pansement, c'est momentané, mais ça fait du bien, ça soulage de la douleur"


Maëlane LOAËC

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