Droits TV de la Ligue 1 : comment le football français peut-il être rentable ?

Publié le 13 mars 2021 à 7h05, mis à jour le 15 mars 2021 à 16h29
Droits TV de la Ligue 1 : comment le football français peut-il être rentable ?

Source : FRANCK FIFE / AFP

ENQUÊTE - Un mois après la fin du fiasco Mediapro, les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 doivent impérativement retrouver de l'oxygène afin d'éviter un naufrage. Mais difficile de dénicher un diffuseur capable de rentabiliser des centaines de millions de droits TV avec le modèle d'abonnement actuel. Les idées d'un paiement au match ou d'une plateforme unique de diffusion germent dans la tête des dirigeants.

Qu'il semble loin le temps où tout souriait à la Ligue 1. Celui où le football français signait le plus gros contrat de son histoire. Depuis février, Mediapro et son éphémère chaîne Téléfoot ont baissé le rideau, et les clubs ne verront jamais les 814 millions d'euros promis chaque année par le groupe sino-espagnol jusqu'en 2024. La faute à une ambition démesurée qui met à mal leurs finances. Pour atteindre la rentabilité, le groupe dirigé par Jaume Roures visait plus de trois millions d'abonnés à 25 euros par mois, en échange de la diffusion de 85% de la L1 et de la L2, et la co-diffusion des Coupes d'Europe la première année. Un objectif loin d'être atteint, avec officiellement 600.000 abonnés avant la fermeture de la chaîne.

"L'offre et le modèle économique proposés par Mediapro ont participé à son défaut, 25€ n'est pas un prix considéré comme acceptable par le consommateur", commente Cédric Roussel, député (LaREM) et coprésident du groupe d'études sur l'économie du sport à l'Assemblée nationale. Après un appel d'offres infructueux, c'est le partenaire historique Canal+ qui a alors raflé la mise, sans véritable concurrence, jusqu'en fin de saison. "Canal a fait sa mue stratégique en devenant encore plus qu'une chaîne, mais une vraie plateforme", visible sur tous les supports, permettant de voir du sport comme des films et des séries, explique Arnaud Simon, ancien directeur général d'Eurosport France. "Pour une chaîne, le sport est encore un élément qui permet d'attirer des abonnés, mais il est moins décisif qu'auparavant. Cela explique pourquoi Canal se sent en position de force : le groupe propose une offre exhaustive."

"Le football est désormais challengé par d'autres contenus"

L'expérience Mediapro, en revanche, témoigne des difficultés à trouver un modèle viable quand la L1 reste la seule exclusivité de diffusion. À l'étranger, aucun des diffuseurs des grands championnats européens n'est axé que sur le ballon rond. "Le sport n'est jamais directement rentable", argue Bruno Fraioli, directeur de la rédaction de SportBusiness.club. "Le football continue d'avoir une valeur forte mais est beaucoup plus challengé par d'autres types de contenus", comme Netflix ou Twitch. "À savoir des éléments de concurrence qui n'existaient pas jusqu'alors", poursuit Arnaud Simon.

Car les usages se diversifient quand la population se délaisse des soirées foot. Selon Capital, les audiences des rencontres diffusées par la chaîne cryptée décroissent sur une décennie : les matchs retransmis par Canal+ ont fait deux fois moins d'audience en 2019/2020 que douze ans plus tôt. Mais les téléspectateurs ne se sont pas tournés vers la diffusion illégale de rencontres pour autant, contre laquelle un article de loi, porté par Cédric Roussel, vient d'être adopté à l'Assemblée.

"La baisse d'audience moyenne du direct de sport baisse partout dans le monde et sur tous les écrans, c'est structurel", analyse l'ancien DG d'Eurosport France et fondateur de la société In&Out Stories. "Nous avons moins de temps pour regarder le sport, concurrencé par des contenus distribués, produits et écrits de manière incroyable. Il ne faut pas s'attendre à des miracles ni espérer changer les usages."

De nouveaux modèles facteurs d'inégalité ?

Pour parvenir à la rentabilité, d'autres modèles de distribution doivent émerger. Celui du "pay-per-view" est évoqué. Le principe : plutôt qu'un abonnement mensuel à un tarif à deux chiffres, le fan de football paierait uniquement pour regarder les matchs de son choix. C'est ce qu'envisageait Canal+ avant de récupérer les droits. Ce modèle "répond exactement à ce que le consommateur recherche" et qu'il trouve déjà pour regarder des films à la demande, analyse Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora. "L'offre du sport ne correspond plus aux attentes des consommateurs, qui se retrouvent prisonniers de multiples abonnements. Ce n'est pas tenable."

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Mais cette formule est encore loin de faire l'unanimité. La mettre en place "reviendrait à tuer financièrement la L2 et je ne suis pas certain que la L1 s'enrichisse", avertit Fulvio Luzi, président du FC Chambly (L2), pour qui les droits TV représentent 60% du budget. "Partout à l'étranger, les deuxièmes divisions n'ont quasiment pas de valeur par rapport aux élites. C'est aussi le cas en France. Personne ne regardera un match de L2, à part le fan, mais qui est un week-end sur deux au stade. Pourtant, une partie des joueurs de L1 vient de L2 : il nous faut des moyens de solidarité."

Ce modèle pourrait aussi avoir du mal à renverser la formule actuelle. "Je ne suis pas certaine que le 'pay-per-view' soit suffisamment rentable pour une chaîne, ou alors il faudrait vendre un paquet de rencontres", craint Magali Tézenas du Montcel. Pour Luc Arrondel, économiste du sport, il permettrait surtout de mieux contenter les téléspectateurs. "La plupart des abonnés veulent voir leur équipe favorite, les grosses affiches et éventuellement la Ligue des champions", estime-t-il. "Il faudrait donc créer des produits un peu plus à la carte. Toutefois, c'est un système complexe pour un investisseur car il ne sera alors jamais certain de ses recettes. Mais la rentabilité du produit passe peut-être par là."

La France, petit poucet européen

Autre piste pour augmenter les revenus du football français : l'étranger, en s'appuyant sur les droits TV internationaux. Sur ce point, la France accuse un retard conséquent vis-à-vis de ses voisins. "Ils sont de l'ordre de 80 millions d'euros, alors qu'ils dépassent le milliard en Premier League et les centaines de millions dans la plupart des championnats européens", indique Luc Arrondel. "C'est une anomalie."

Pour y parvenir, la LFP pourrait changer de modèle et s'appuyer sur une société commerciale, sa création ayant été rendue possible en décembre après un vote lors de l'assemblée générale. "Structurer une société commerciale pour organiser une meilleure valorisation du championnat, dans un modèle très télé-dépendant, cela s'étudie", assure Cédric Roussel. "Il y a quelques années, elle était moins justifiée. Mais la situation de crise oblige à réfléchir autrement."

"Il faut un Spotify ou un Deezer du foot"

Confrontés à cette réalité, certains soumettent d'autres solutions. Le président de l'Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas, propose même la création d'une plateforme qui regrouperait toutes les grandes compétitions, à l'image des nouveaux usages pour la musique. "Il faut un Spotify ou un Deezer du foot", expliquait-il en octobre dernier dans les colonnes du Parisien, évoquant "une offre unique avec un prix attractif" pour "que le public n'ait plus à se poser la question de la chaîne du match." "Il conviendrait d'associer à cette réflexion tous les acteurs, en particulier les représentants de tous nos fans et clubs de supporters", argumentait sur Twitter le patron de l'OL, qui veut profiter de cette formule pour "adapter l'offre à la demande" et "définir un produit issu des utilisateurs."

Magali Tézenas du Montcel estime toutefois qu'une telle idée mettra du temps avant de se concrétiser. "Créer une plateforme unique nécessiterait que toute la cacophonie du football se mette d'accord", analyse-t-elle, "il faudrait aussi une redistribution juste, afin que les écarts entre les clubs attractifs et les autres" n'augmentent pas. D'autant que pour la musique, ce modèle économique a aussi ses limites : la rémunération dépend du nombre d'écoutes et favorise les plus grandes stars. Finalement, "le football risque d'avoir du mal à se tourner vers un modèle très différent, puisqu'il faudrait aligner tous les acteurs et garder cette solidarité entre les clubs".

"Nous arriverons un jour à un guichet unique" avec une plateforme regroupant toutes les rencontres, veut plutôt croire Bruno Fraioli. De nouveaux entrants comme Amazon ou DAZN, un service anglais de streaming, qui commencent à s'implanter dans le football à l'étranger, pourraient le permettre, "mais arrivent à tâtons et ne dépensent pas des centaines de millions d'un coup. Ce n'est donc pas pour demain".

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