Le Mondial 2019 à domicile avait suscité un fort engouement autour de l'équipe de France et du football féminin en général.Trois ans plus tard, après une épidémie de Covid lourde de conséquences pour le sport hexagonal, le soufflet semble être retombé.Longtemps pionnier en la matière, notre pays perd-il du terrain face à ses voisins européens ?
"On a eu une Coupe du monde fantastique en 2019, mais on n'a pas su surfer dessus, en tout cas pas à la hauteur de ce que l’on espérait. [...] Il y avait un écart trop important entre la Coupe du Monde et ce que la D1 féminine peut proposer. Mais c'est normal, ça va prendre du temps, il y a des contraintes et le parcours est loin d'être terminé". Ces mots signés Laure Boulleau - ancienne latérale gauche du PSG - dans les colonnes de Paris Match illustrent à quel point la transition entre le Mondial 2019 en France, remarquable par l'engouement suscité, et le développement du football féminin dans l'Hexagone n'a pas été évidente.
Des infrastructures aux contrats de sponsoring ou aux droits télévisés, la France n'a pas vraiment converti l'essai. Pour ne rien arranger, le Covid-19 est passé par là, plombant un microcosme économique encore loin d'être autonome. Longtemps dotée d'une longueur d'avance sur le Vieux Continent, elle n'est cependant pas (encore ?) larguée. Alors que débute pour elles un Euro 2022 dans lequel les Bleues n'auront d'autres ambitions que la victoire finale, où le football féminin français se situe-t-il par rapport à ses voisins ? État des lieux.
Les signaux toujours au vert du côté des licenciées
Premier constat qui saute aux yeux, la France se trouve toujours à de nombreux égards dans le peloton de tête européen en termes de licenciées. Avec 197.779 licenciées en 2022, le football féminin poursuit son essor. C'est simple, le nombre de footeuses a doublé en l'espace d'une dizaine d'années (moins de 90.000 en 2010-2011).
Malgré un léger moins bien en raison du Covid-19, les chiffres sont repartis à la hausse. Tant et si bien que la fédération et son président Noël Le Graët visent les 250.000 d'ici à 2024. Si elle resterait loin des États-Unis (1,7 million de licenciées en 2019), la France se rapprocherait ainsi doucement des autres nations où le football féminin est très populaire, comme le Canada (289.000).
La France se situe d'ores et déjà parmi les leaders européens en la matière, juste derrière l'Allemagne (210.000 licenciées en 2021, en hausse par rapport aux 197.000 de 2019). Elle devance nettement l'Angleterre (121.000, selon les derniers chiffres disponibles, en 2019), les Pays-Bas (162.000 en 2019) ou encore la Norvège (107.000 en 2019). L'écart est même abyssal par rapport à l'Espagne (67.000 en 2021, en nette baisse par rapport aux 71.000 de 2019) et l'Italie (31.000 en 2019).
En parallèle, avec 163.717 pratiquantes en France en 2022, la croissance continue. Même si la comparaison est partiellement tronquée du fait de la pandémie, cela représente une augmentation de 15,9% par rapport à l'année précédente (141.279). Surtout, analyse la FFF, "il s’agit de la catégorie de licences (joueuses) qui a subi la plus forte hausse depuis 2012". Elles n'étaient que 58.565 en 2011-2012 et encore 85.933 en 2014-2015.
Les jeunes filles de mieux en mieux encadrées
De même, un réel travail de fond est effectué pour la jeunesse. 1887 femmes occupant des fonctions d'encadrement (éducatrices, animatrices, techniques) officient désormais dans l'Hexagone. C'est plus du double que 10 ans plus tôt (831 en 2011-2012, soit une hausse de 127%). Un grand nombre de sections sportives scolaires, labellisées FFF, sont également dédiées aux féminines (173 sur 1044, soit environ 15%). Cela représente 5600 élèves en 2022 (contre 4700 l'année précédente). Ces classes se sont particulièrement développées dans les collèges (103 contre 93, +11%) et les lycées (70 contre 65, +7%) au cours des derniers mois.
En outre, huit Pôles Espoirs féminins (Blagnac, Clairefontaine, Liévin, Lyon, Mérignac, Rennes, Strasbourg et Tours) ont vu le jour dans l'Hexagone. Ils accueillent chaque saison près de 200 joueuses "pour les former et les préparer au football d’élite", rappelle la FFF. À partir de la saison 2022-23, ces centres vont prendre une dimension encore plus importante puisqu'ils seront accessibles aux jeunes filles dès 13 ans. Seules les joueuses de 16 à 18 ans y avaient accès jusque-là.
Une situation qui n'en reste pas moins périlleuse
Malgré tout, la situation du football féminin français est plus précaire qu'il n'y paraît. Il semble stagner à de nombreux égards, là où il se développe dans nombre de pays en Europe. "On est en train de prendre du retard, car d'autres ont accéléré plus vite. En mettant des moyens économiques et financiers de manière prioritaire sur le football féminin, il est indéniable que des nations avancent plus vite", se désolait en mars dernier Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique Lyonnais, l'un des piliers du footb féminin en France.
Je tire la sonnette d’alarme
Sonia Bompastor, entraineuse de l'OL
"Là où il faut qu’on se réveille, c’est surtout au niveau de la fédération. Il faut améliorer les infrastructures, les stades, les conditions de retransmission à la TV. On a besoin aujourd’hui d’avoir une D1 forte avec le plus de clubs compétitifs possibles pour nous permettre de performer au haut niveau. Il y a une urgence, je tire la sonnette d’alarme", confirme Sonia Bompastor, l'entraîneuse de l'équipe féminine des Gones, qui a réussi le doublé Ligue des champions-championnat cette saison.
Un fossé qui s'élargit sur le plan financier...
C'est d'abord et avant tout une question d'argent. Outre l'épisode Mediapro, qui a fait beaucoup de mal à lui seul, les diffuseurs peinent à sortir le chéquier quand il s'agit du football féminin. Ainsi, les droits TV restent encore relativement modestes, grevant les capacités d'investissement potentiel des clubs.
Au contraire, Sky Sports et la BBC ont signé, en 2021, garantissant la diffusion de 66 matchs du championnat anglais par saison pour un montant record d'environ 7 millions de livres (8,1 millions d'euros) par an. À cela s'ajoute un contrat de sponsoring - signé en 2019 par la banque Barclays avec la Women's Super League (SL) pour une somme supérieure à 10 millions de livres (11,5 millions d'euros) pour les trois prochaines saisons - qui donne au football féminin anglais une surface financière bien supérieure à celui de son homologue français.
Autant de millions d'euros que les clubs hexagonaux ne peuvent pas investir dans l'amélioration de leur infrastructure ou pour séduire certaines des meilleures joueuses du monde. Et ce n'est pas le "naming" de la D1 Féminine "Arkema", qui pèse 1,2 million d'euros par saison, qui est susceptible de faire une quelconque différence.
... et de la structure des championnats
Mais c'est sans doute au niveau de la structuration de ses championnats de haut niveau - D1 et D2 notamment - que la France semble perdre du terrain. Si la première division tend à s'homogénéiser, de nombreuses formations tardent toujours à se professionnaliser. Les joueuses doivent donc composer avec différents types de statuts, parfois au sein d'une même équipe. Les joueuses sous contrat fédéral (régi par la convention nationale collective des sports) ou de semi-professionnelles (un contrat d'apprentissage ou contrat de travail hybride qui permet de vivre de leur football, mais souvent à l’extrême-limite) côtoient des amatrices quant à elles sans aucun contrat de travail. Accorder un véritable statut professionnel aux footballeuses permettrait d’uniformiser ces situations.
Le grand écart des salaires
C'est d'autant plus urgent qu'un immense fossé s'est creusé entre les joueuses des grands clubs - à commencer par l'OL et le PSG - et les autres. Le top 20 des plus gros salaires est exclusivement composé de joueuses des mastodontes parisien et lyonnais. Ces deux clubs occupent aussi les deux premières places du classement des salaires mensuels bruts moyens, avec respectivement 12.000 et 9000 euros. Mais, dans le même temps, une large frange des joueuses perçoit toujours des salaires de quelques centaines ou milliers d'euros (2000 euros de salaire moyen en D1 féminine). Le troisième club à la masse salariale la plus élevée est Bordeaux avec... 3200 euros mensuels en moyenne. Ce montant descend à 1600 euros à Guingamp.
Ces (grands) écarts ont commencé à se résorber à l'étranger. Les premières divisions espagnole et italienne sont récemment devenues pleinement professionnelles. Même chose outre-Manche où la WSL a été professionnalisée. Un accord a même été signé de l'autre côté des Pyrénées pour garantir aux joueuses un salaire annuel minimum de 16.000 euros, des congés payés et des congés de maternité.
On tend vers la professionnalisation du foot féminin
Anaïs Bounouar
Pour y remédier, la France a dernièrement acté une réorganisation de ses championnats. Aucun changement n'est prévu pour la D1, qui reste à 12 clubs, mais la D2 va être totalement refondue. Comportant jusqu'à présent deux poules de 12 équipes, elle va être réduite à une poule unique à partir de la saison 2023-24. Le resserrement de l'antichambre de l'élite se poursuit, ce qui doit permettre d'en accélérer la professionnalisation.
Un troisième échelon "new look", qui sera composé de 24 équipes réparties en deux groupes de douze, verra aussi le jour. "On tend vers la professionnalisation du foot féminin. J’espère que la D1 sera rapidement un championnat professionnel et que la D2 l’imitera dans les années futures. Ça ne peut être que bénéfique. Les niveaux de compétitions seront plus homogènes", s'est réjouie Anaïs Bounouar, qui va quitter le SM Caen pour Lorient, dans les colonnes d'Actu.fr.
Des affluences record en Espagne et en Angleterre
Dernier aspect, mais pas négligeable pour autant : l'affluence dans les stades. L'engouement et les guichets fermés de la Coupe du monde 2019 ont laissé place au quotidien de la D1 Arkema. Passé la vague, les audiences comme les affluences aux différents matchs de l'élite n’ont pas décollé. La moyenne reste même très faible lorsqu’on supprime le choc PSG-OL, qui draine la plus grosse partie des foules et fait tomber, année après année, les records dans l'Hexagone.
De l'autre côté de la Manche pourtant, les marques de référence sont dépassées tous les week-ends, ou presque, avec des rencontres attirant régulièrement plus de 20.000 personnes. En avril dernier, un match entre Newcastle et Burnley a même réuni 22.000 spectateurs... en quatrième division.
L'Espagne s'est également démarquée cette saison. Le FC Barcelone est parvenu à réunir au Camp Nou 91.553 personnes, en quart de finale de la Ligue des champions contre le Real Madrid, puis 91.648 spectateurs, en demi-finale de cette même C1 contre Wolfsburg. Un constat qui doit, néanmoins, être nuancé puisque la moyenne d'affluence pour les matchs des "Blaugranas" - qui ont la plus grande affluence de l'autre côté des Pyrénées - reste inférieure à 3000 spectateurs.
Si, par certains aspects, le football féminin français semble sur le bon chemin, le risque d'être distancé par certains voisins n'a jamais été aussi fort. En accueillant l'Euro 2022, et alors que tous les voyants sont au vert, l'Angleterre pourrait notamment basculer dans une autre sphère dans les mois à venir. Une rupture définitive ?