Les Bleus éliminés de l'Euro

Karim Benzema et l'équipe de France, une histoire mouvementée

Publié le 18 mai 2021 à 20h30, mis à jour le 19 mai 2021 à 9h18
Karim Benzema en discussion avec Didier Deschamps à l'entraînement, le 14 juin 2014.

Karim Benzema en discussion avec Didier Deschamps à l'entraînement, le 14 juin 2014.

Source : RODRIGO ARANGUA / AFP

DANS LE RÉTRO - À la surprise générale, Karim Benzema a été rappelé, mardi 18 mai, par Didier Deschamps pour l'Euro. L'attaquant du Real Madrid n'avait plus été sélectionné depuis octobre 2015 et sa mise en examen dans l'affaire de la sextape. Pour lui, la vie en Bleu, encore plus sous l'ère Deschamps, n'a jamais été de tout repos.

"On non, même ici ! C'est un journaliste français qui vous a soufflé la question." Même cinq ans et demi après, même jusqu'au fin fond du Kazakhstan, Didier Deschamps n'a jamais réussi à se débarrasser de son ombre. Le 28 mars dernier, alors qu'il s'apprêtait à quitter la salle de presse après la victoire des Bleus (2-0) à Noursoultan, un journaliste kazakh a tenté de l'emmener sur un terrain glissant. Sans parler le dialecte local, seulement en percevant, entre deux mots, le nom de Karim Benzema, le sélectionneur de l'équipe de France a vite compris que la question revenait sur ses années d'absence sous le maillot tricolore. Hilare, il s'était levé et avait quitté la table, laissant croire qu'on ne l'y reprendrait pas sur ce sujet. 

Une sortie qui s'inscrivait dans la droite lignée de Noël Le Graët, lorsque le président de la Fédération française de football (FFF) a estimé, en novembre 2019, que "l'aventure" avec les Bleus était "terminée" pour l'attaquant du Real Madrid. Une façon non-équivoque d'acter le divorce entre le joueur formé à l'OL et les champions du monde en titre. Pourtant, au moment où l'on s'y attendait sans doute le moins, la porte de l'équipe de France s'est rouverte pour Benzema. À la surprise générale, il fait partie des 26 Bleus retenus par Deschamps pour disputer l'Euro, cinq ans et demi après sa 81e - et dernière - sélection.

Mis à l'écart suite à l'affaire de la sextape

Karim Benzema en Bleu, ce n'est plus arrivé depuis un soir d'octobre 2015, face à l'Arménie (4-0). Après le Mondial 2014, où la France a vu sa route s'arrêter en quarts, malgré trois buts en poules, "KB9" s'était enlisé dans une nouvelle année stérile, d'octobre 2014 à octobre 2015, après avoir déjà été muet pendant plus de 1200 minutes entre juin 2012 et octobre 2013. Durant cette période, il avait toutefois pu compter sur le soutien de "DD", comme en a bénéficié plus tard Giroud malgré ses errances en clubs, à Arsenal puis à Chelsea, en lui confiant même le brassard pour la première fois face au Brésil (1-3), le 26 mars.

Le 5 novembre 2015, brusquement, son avenir avec la tunique tricolore s'était obscurci avec sa mise en examen dans l'affaire du chantage à la sextape exercé sur Mathieu Valbuena, dont le procès aura lieu en octobre 2021, après six ans de démêlées judiciaires. À la mi-décembre, Noël Le Graët avait décrété qu'il "n'est plus sélectionnable" tant que sa situation judiciaire "n'évolue pas".  Redevenu sélectionnable, après la levée de son contrôle judiciaire le 11 mars 2016, Benzema n'avait pas été rappelé pour autant.  Au nom de l'exemplarité, le 13 avril, Deschamps et Le Graët avaient décidé de s'en passer pour l'Euro.

Karim Benzema et Mathieu Valbuena, ensemble sous le maillot tricolore, le 8 juin 2014.
Karim Benzema et Mathieu Valbuena, ensemble sous le maillot tricolore, le 8 juin 2014. - PHILIPPE HUGUEN / AFP

Je ne peux pas oublier. Je n'oublierai jamais

Didier Deschamps, sélectionneur de l'équipe de France - le 16 janvier 2021

À la veille du début de l'événement, organisé en France, la ligne de front s'était agrandie après une interview d'Eric Cantona estimant que Karim Benzema et Hatem Ben Arfa n'étaient pas convoqués en raison de leurs origines. Questionné à ce sujet par le quotidien espagnol Marca, le Madrilène avait jugé, le 1er juin, que Deschamps avait "cédé à la pression d'une partie raciste de la France". Deux jours après, la résidence bretonne de "DD" avait été vandalisée, avec un tag le traitant de "raciste" sur un mur d'enceinte. Une accusation de passivité face au racisme restée, aujourd'hui encore, en travers de la gorge du sélectionneur. 

"C'est une trace. Même si avec le temps, ça s'apaise un peu, je ne peux pas oublier. Ce n'est pas lié qu'à Karim Benzema. Il y a des déclarations d'autres personnes aussi qui ont amené à ce fait violent et qui touche à ma famille", a raconté le champion du monde 1998, marqué dans sa chair, le 16 janvier dernier sur les ondes de RTL. "Là, ça franchit la ligne blanche. Ça touche mon nom, ma famille. Pour moi, c'est inacceptable". "Tenir certains propos, ça amène forcément à une agressivité verbale ou physique. J'en subis les conséquences. On ne peut pas oublier. Je ne peux pas oublier. Je n'oublierai jamais", a-t-il asséné.

Le sportif plus fort que les principes

Répudié définitivement - pensait-on alors - chez les Bleus, "KB9" a traîné derrière lui une image de tête brûlée, dont il peine encore à se défaire auprès d'une partie des supporters français. Il lui est accolé l'étiquette de "bad boy". Dans l'imaginaire collectif, il est parfois même associé aux événements de Knysna en 2010... alors qu'il n'était même pas sélectionné par Raymond Domenech. Sans lui, en équipe de France, la vie a continué. Sans "Benzegoal", Deschamps a réussi à bâtir une équipe qui a atteint la finale de l'Euro 2016 puis qui a soulevé la Coupe du monde en Russie, deux ans plus tard. En le laissant sur la touche, c'est cette logique de groupe, qui lui était chère depuis son intronisation, que "DD" avait voulu préserver. 

En face, malgré son envie inlassable de revenir, Benzema s'est heurté à un mur. Ses sorties plus ou moins contrôlées, comme lorsqu'il s'était plaint dans L'Équipe d'être persona non grata, avaient eu l'effet inverse de celui qu'il espérait. Quelques jours après, il avait en effet "liké" un montage de son ami rappeur Booba, le montrant en train de dribbler Olivier Giroud, Manuel Valls et Didier Deschamps. Il n'a pas été plus inspiré lors d'un live Instagram, en moquant le même Giroud. "On ne confond pas la F1 et le karting", avait-il lancé. Malgré ses tentatives ratées d'apaisement, expliquant que "sa phrase (sur le racisme) avait été mal comprise", il s'était vu adresser des fins de non-recevoir. Jusqu'à ces derniers jours, ces dernières heures...

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Cette parenthèse s'est donc refermée, ce mardi 18 mai, quand Didier Deschamps a prononcé son nom dans la liste des 26 joueurs appelés pour l'Euro. Ses performances avec le Real Madrid ces deux dernières saisons et la petite forme d'Olivier Giroud, en manque de temps de jeu à Chelsea depuis l'arrivée de Tuchel, auront convaincu Didier Deschamps de revoir son jugement. La possible association alléchante, avec Antoine Griezmann et Kylian Mbappé, aura sûrement fini de le convaincre, au point de mettre ses principes de côté. "On s'est vus. On a discuté longuement. Je ne vais pas dévoiler un mot, ça ne nous regarde que tous les deux. J'en avais besoin, il en avait besoin", a-t-il expliqué. Par le passé, le sélectionneur avait déjà prouvé qu'il savait pardonner (Gignac, Rabiot...). Il en a, de nouveau, été capable avec Karim Benzema.

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Yohan ROBLIN

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